Amateurisme, trahisons et états d'âmes : l'ex-conseiller Gaspard Gantzer raconte ses trois ans dans les coulisses de l'Elysée
Dans "La politique est un sport de combat", Gaspard Gantzer dévoile des facettes méconnues du pouvoir sous la présidence de François Hollande.
"J'ai passé trois ans en veille, sur la brèche, à l'affût du moindre événement. La nuit, je dormais avec mes téléphones portables sous mon oreiller, de peur de manquer un appel." Entre avril 2014, moment où il a rejoint les ors de l'Elysée, et le 14 mai 2017, dernier jour du mandat présidentiel de François Hollande, Gaspard Gantzer a pris des notes quotidiennes de sa vie effrénée aux premières loges du pouvoir. Une vie à 100 à l'heure, qu'il raconte dans La politique est un sport de combat (éd. Fayard), en librairies jeudi 2 novembre.
Entre trahisons, coups bas et anecdotes édifiantes, Gaspard Gantzer chronique longuement la "tragédie shakespearienne" à laquelle il a assisté, autour de trois personnages centraux : François Hollande, Emmanuel Macron et Manuel Valls.
Sur François Hollande : "Je me demande si le président va vraiment pouvoir s'en sortir"
"Jamais je n'aurais pu imaginer un tel déferlement d'épreuves (...) Dès que je tentais de quitter Paris pour me reposer, une catastrophe survenait." A lire le récit de Gaspard Gantzer, on lui concède aisément le titre de son livre : être le conseiller en communication de François Hollande est un combat de tous les instants.
L'une des plus grandes crises qu'il doit affronter est sans doute la sortie du livre de l'ancienne campagne de François Hollande, Valérie Trierweiler, Merci pour ce moment (éd. Les Arènes), le 4 septembre 2014. "Je m'attendais à tout sauf à ça." Avec l'expression dévastatrice des "sans-dents", c'est "son identité politique et personnelle qui est mise en cause". Au même moment éclate l'affaire Thomas Thévenoud (l'éphémère secrétaire d'Etat chargé du Commerce extérieur, qui ne payait pas ses impôts) : "Je me demande si le président va vraiment pouvoir s'en sortir". C'est à la conférence de presse de clôture du sommet de l'Otan qu'Hollande sera obligé de se justifier publiquement : "Le président sait qu'il doit parler de lui, de ses émotions et sentiments. Tout ce qu'il déteste".
Dans son livre, Gantzer revient particulièrement sur les couacs liés au rapport qu'entretient Hollande avec les journalistes. Il affiche une grande proximité avec beaucoup d'entre eux, omettant souvent d'en informer son conseiller. C'est ainsi, par hasard, alors qu'il se promène dans une librairie de la gare de Lyon, qu'il découvre le livre de Karim Rissouli et Antonin André, Conversations privées avec le président (éd. Albin Michel, 2016). Des conversations qui reposent pourtant sur une trentaine d'entretiens entre les deux journalistes et le chef de l'Etat !
Autre exemple édifiant : le jour de l'anniversaire de l'appel du général de Gaulle, le 18 juin 2015, Gaspard Gantzer aperçoit Julie Gayet descendre d'une voiture : "Je n'en crois pas mes yeux". Les journalistes se déchaînent, pensant que le président officialise enfin sa relation. François Hollande n'avait pas pris la peine d'informer son conseiller en communication de la venue de l'actrice, qui est désormais sa compagne : "Son grand-père est compagnon de la Libération. C'est pour ça qu'elle est là ! Rien de plus !" rétorque Hollande quand Gantzer lui demande des explications.
Mais le point d'orgue de ces cafouillages intervient avec la publication du livre de David Lhomme et Gérard Davet, Un président ne devrait pas dire ça (éd. Stock), en octobre 2016. Gantzer est effaré : "Les phrases, les citations du président sont tout bonnement abominables". L'effet est cataclysmique, et d'autant plus terrible pour Gantzer qu'il en découvre les bonnes feuilles dans la presse. Pour ne rien arranger, Manuel Valls se met à parler du livre dans tous les médias où il se rend. Une journaliste indique même au conseiller élyséen que le Premier ministre est "le meilleur attaché de presse" du livre.
Le 29 novembre 2016, François Hollande prend finalement la lourde décision de ne pas se représenter aux élections présidentielles. Ce jour-là, il lâche à Gaspard Gantzer, ironiquement : "Quand j'y pense, heureusement qu'il y a eu le livre de Davet et Lhomme, sinon j'aurais été contraint de me représenter."
Sur Emmanuel Macron : "Ce rival que personne ne considère encore est fort, presque trop"
Le 8 janvier 2015, au lendemain des attentats contre Charlie Hebdo, François Hollande reçoit Nicolas Sarkozy à l'Elysée, en signe de rassemblement. Selon Gaspard Gantzer, celui-ci ne manque pas de lui demander : "Comment peux-tu supporter ce banquier dans ton gouvernement ? Aucun sens du politique. Rien. Tu devrais t'en méfier."
Emmanuel Macron est, depuis août 2014, ministre de l'Economie. Il a été choisi à la grande surprise de Gaspard Gantzer, grâce aux recommandations insistantes de Jean-Pierre Jouyet, le secrétaire général de l'Elysée. François Hollande n'est pas plus emballé au départ. Puis il "y a finalement vu une opportunité pour faire un coup de communication : le moyen de faire un contre-feu en concentrant le regard des médias sur le jeune homme et non sur la sortie tonitruante d'Arnaud Montebourg [du gouvernement]". Sans percevoir les ambitions de l'ancien banquier de chez Rothschild, ami proche de Jacques Attali.
C'est d'ailleurs ce qui étonne dans ces chroniques. Gaspard Gantzer décrit avec précision l'aveuglement général face aux intentions d'Emmanuel Macron, à commencer par celui de François Hollande. Celui-ci lui fait une entière confiance, basée en partie sur le fait que le trentenaire lui doit tout : Emmanuel Macron est entré au gouvernement en 2012 comme secrétaire général adjoint et s'est vu offrir Bercy deux ans plus tard, à seulement 36 ans.
Gaspard Gantzer se rappelle du discours d'Emmanuel Macron pour les 587es fêtes johanniques, le 8 mai 2016, au pied de la cathédrale d'Orléans. "Elle était un rêve fou, elle s'impose comme une évidence." Les médias reprennent en boucle la formule du ministre. "Il parle de Jeanne d'Arc et il parle de lui, affirme Gantzer, amer. En écoutant Emmanuel s'époumoner en mémoire de Jeanne la Pucelle, même si j'ai presque envie de rire, je réalise combien sa mécanique est implacable. Ce rival que personne ne considère encore est fort, presque trop".
Même si Gantzer digère très mal la candidature de Macron à la présidentielle, il confirme que ce dernier est toujours resté loyal envers Hollande. Le 30 août 2016, c'est par SMS qu'il annonce sa démission au président : "Son départ ressemble plus à une séparation affective qu'à une rupture politique", constate le conseiller. Le coup est très dur : "François Hollande est abattu (...). Je sens sa tristesse, je sens sa colère."
Le lendemain de la victoire d'Emmanuel Macron, le 8 mai 2017, jour du défilé sur les Champs-Elysées au côté de François Hollande, Macron envoie ce message à Gantzer : "Merci à toi. Merci à lui. C'était pour moi bouleversant. Je t'embrasse."
Sur Manuel Valls : "Un faux dur, et vrai timide"
Le 31 mars 2014, Manuel Valls est nommé Premier ministre par François Hollande. L'arrivée à Matignon de celui qu'on surnomme parfois le "Sarkozy de gauche" amorce un tournant dans le quinquennat dont témoigne Gaspard Gantzer dès la première page de ses chroniques. Le conseiller en communication le dépeint comme un personnage autoritaire et colérique, "faux dur et vrai timide". Il rapporte que les conseillers de François Hollande l'ont surnommé 'Rami', "en hommage à Adolfo Ramirez [dans le film] Papy fait de la résistance".
Manuel Valls s'emporte régulièrement, parfois pour très peu, comme lors de la parution d'un article du Parisien où François Hollande est décrit par Gaspard Gantzer comme étant attaché au monde rural. Le conseiller subit alors le courroux du Premier ministre : "Tu ne refais plus jamais ça ! (...) Tu me prends pour qui ? Je ne suis pas l'élu des villes quand le président serait l'élu des champs !"
Manuel Valls est inquiet de sa propre popularité et ne cache pas ses ambitions pour 2017. Il repère rapidement un rival de taille –Emmanuel Macron– dont il ne supporte pas l'influence grandissante auprès du président. Le 6 avril 2016, Emmanuel Macron organise une rencontre citoyenne à Amiens (Somme) pour le lancement officiel d'En marche !. Au téléphone, Hollande confie à Gantzer : "J'espère qu'il restera prudent. C'est surtout Manuel qui est très remonté et qui ne va pas le rater. Au moindre mot, il sort."
Le 12 juillet 2016, lors du premier meeting d'En marche ! à la Mutualité, à Paris, Gaspard Gantzer écrit : "Le Premier ministre est hors de lui. Saisi au vol par une caméra au Sénat, les yeux au fond des orbites, la mâchoire écrasée par la colère, il lâche : 'Il est temps que cela s'arrête'."
Pour compenser la campagne médiatique d'Emmanuel Macron, Manuel Valls court les plateaux des télés et des radios, répétant que "la France est en guerre" depuis les attentats du 13 novembre 2015. François Hollande affirme à Gantzer : "Mieux vaut laisser faire. C'est lui que cela perdra."
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