Procès des assistants parlementaires du FN : Marine Le Pen et son parti peuvent-ils sortir renforcés de cette affaire ?
Les mines sont graves, mercredi 13 novembre au soir, au tribunal de Paris où se tient depuis six semaines le procès de l'affaire des assistants parlementaires européens du Rassemblement national (RN). Au premier rang sur le banc des prévenus, Marine Le Pen tente de conserver un visage impassible lorsque le parquet requiert à son égard une peine de cinq ans de prison, dont deux fermes, mais aménageables, une amende de 300 000 euros et cinq ans d'inéligibilité avec exécution provisoire.
Après quelques secondes de flottement, la députée du Pas-de-Calais enclenche sa contre-attaque face aux caméras postées devant la salle d'audience. "La seule chose qui intéressait le parquet, c'était Marine Le Pen pour pouvoir demander son exclusion de la vie politique, (...) et puis le Rassemblement national pour pouvoir ruiner le parti", dénonce-t-elle, à propos de l'amende ferme de 2,3 millions d'euros réclamée par les procureurs. Une rhétorique reprise lors de son passage sur TF1 vendredi 15 novembre : "C'est ma mort politique qui est réclamée", a martelé la dirigeante.
De la minimisation à la "contre-offensive médiatique"
C'est un changement de ton notable par rapport au début du procès démarré le 30 septembre. Avec son état-major, Marine Le Pen, avocate de formation, avait d'abord choisi de mettre en avant sa bonne foi et de préserver l'image du parti en insistant sur deux points. "Il n'y a pas eu d'emploi fictif ni d'enrichissement personnel, contrairement à l'affaire Fillon, explique un cadre du RN. C'est un débat sur la fonction des assistants parlementaires d'un eurodéputé. Nous, on pense qu'il est normal qu'il fasse de la politique, et qu'il travaille pour le parti." Le Parlement européen poursuit le Rassemblement national pour avoir rémunéré des collaborateurs d'eurodéputés avec les fonds de Bruxelles, alors qu'ils n'effectuaient pas réellement de travail auprès des parlementaires, mais plutôt au service du RN. "Un dossier complexe, dont les gens se foutent un peu", continue-t-on de croire dans l'entourage de Marine Le Pen.
Mais le couperet judiciaire qui pourrait mettre Marine Le Pen hors jeu en 2027 a fait changer le RN de braquet : la stratégie de dédramatisation a été remplacée par une communication tous azimuts pour dénoncer un procès politique. "On ne s’attendait pas à des réquisitions aussi dures et disproportionnées, ni à la demande d'exécution provisoire", reconnaît un conseiller. Sonnées, les troupes se sont mises en ordre de bataille rapidement pour organiser une "contre-offensive médiatique".
Le vice-président du mouvement, Sébastien Chenu, a ainsi ciblé sur BFMTV-RMC "un parquet au service d'une mission politique", tandis que sur France 2, Jean-Philippe Tanguy, député de la Somme, a dénigré "des réquisitions quasi fanatiques". Les élus RN ont en outre relayé massivement une petite phrase prononcée par la procureure à propos de l'un des prévenus, l'ancien eurodéputé Jean-François Jalkh, contre qui elle ne voulait pas demander de relaxe parce que "ça [lui] ferait trop mal". La preuve, selon eux, que le parquet "veut se payer le RN".
"Une posture trumpiste"
Des discours de nature à mobiliser leurs électeurs, selon le politologue Luc Rouban, spécialiste de l'extrême droite et directeur de recherches au CNRS. "Ce procès leur permet d'appuyer leur rhétorique d'un parti qui se bat contre un système s'acharnant contre eux. Le RN peut s'en sortir renforcé." D'autant qu'il a reçu le soutien de son allié Eric Ciotti et de l'adversaire Eric Zemmour, à la tête du parti Reconquête.
"Depuis hier, la boucle de ma circo déborde", raconte Philippe Ballard, député RN de l'Oise. "C'est scandaleux, honteux", lui écrivent les 300 militants réunis dans cette messagerie. "Ça soude les militants et les sympathisants comme pas possible. On reçoit énormément de mails aussi, les trois quarts sont des messages de soutien", poursuit le parlementaire. Au parti, on mise sur cette mobilisation et on compte même l'alimenter. "Je pense que l'indignation est un moteur très puissant en politique", théorise Philippe Olivier, eurodéputé et conseiller de Marine Le Pen.
"On a eu 11 millions d'électeurs, ils vont se remobiliser et vont certainement en entraîner d'autres avec eux."
Philippe Oliviereurodéputé RN
Pour organiser cette mobilisation militante, le parti a lancé une campagne sur les réseaux sociaux à l'effigie de sa candidate, avec le mot-clé #JesoutiensMarine, ainsi qu'une pétition intitulée "Soutenez Marine !". Selon le siège, elle a recueilli vendredi plus de 100 000 signatures, soit autant que le nombre d'adhérents revendiqués par le parti.
"La victimisation est un procédé qui permet de mobiliser ses troupes", analyse Noëlline Castagnez, professeure d'histoire contemporaine à l'université d'Orléans*. "Marine Le Pen risque gros du point de vue judiciaire et politique, c'est pour cela qu'elle doit avoir un comportement exemplaire pendant le procès, pour que la victimisation soit d'autant plus grande si le tribunal prononce une sanction. Elle permet ainsi à son parti de se souder face à l'adversité."
Dans une lettre envoyée jeudi aux adhérents du parti, son président, Jordan Bardella, avance un argument supplémentaire pour interpeller sa base. Il écrit que le parquet "veut priver des millions de Français de leur vote".
Pour l'historien Pierre Allorant*, "le parti adopte une posture trumpiste de rupture avec l’establishment, en dénonçant une justice aux ordres du pouvoir". Mais il n'est pas sûr que ce discours porte au-delà de ses rangs. "Un parti en voie de dédiabolisation et qui aspire à l’alternance ne peut mettre en cause trop violemment l’institution judiciaire", prévient le professeur à l'université d'Orléans. Deux alliés inattendus se sont néanmoins manifestés pour critiquer la possible inéligibilité de la tête d'affiche du RN. L'ancien ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin estime sur X qu'"il serait profondément choquant que Marine Le Pen soit jugée inéligible". Un autre macroniste, le maire de Nice, Christian Estrosi, écrit sur le même réseau que "l'automaticité des peines d’inéligibilité" est "un principe dangereux, qui ampute le débat démocratique".
L'option Bardella, un "plan B"
Ce procès conforte aussi la mise sur orbite du dauphin de Marine Le Pen. Alors que l'avenir politique de la députée n'a jamais été aussi incertain, son numéro deux est en pleine promotion de son livre et se tient prêt. "Si elle est inéligible, on a un plan B, c'est Jordan Bardella", dit, sans trop vouloir y croire, un cadre du parti. "Je pense que c'est trop tôt pour lui, et qu'il le sait. Aujourd'hui, notre meilleure chance de gagner la présidentielle, c'est Marine."
Mais une candidature précipitée de Jordan Bardella n'aurait pas que des mauvais côtés pour la formation d'extrême droite. "Le nom même de Le Pen est le marqueur qui handicape encore la normalisation du RN", avance l'historien Pierre Allorant. "Cela pourrait être le jackpot pour le parti, qui bénéficierait d'un côté de la victimisation auprès de son électorat plus radical et, de l'autre, de la dédiabolisation grâce à Jordan Bardella."
Au parti, le scénario privilégié demeure celui d'une quatrième candidature de Marine Le Pen. "La plus grande réussite de Marine, c'est d'avoir mis en selle Jordan Bardella", loue le député de Moselle Kevin Pfeffer. "Mais ce n'est pas pour tout de suite, j'espère..." Il faudra attendre le délibéré du tribunal, au premier trimestre 2025, pour savoir si ce passage de relais se trouvera précipité.
*coauteur(e) avec Walter Badier de l'ouvrage Procès politiques : tribune ou tremplin pour l'opposition ? (Presses universitaires de Rennes, 2024)
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