Rassemblement national : comment Jordan Bardella et Louis Aliot s'affrontent en coulisses pour prendre la tête du parti
Pour succéder à Marine Le Pen, deux candidats se font face au RN. Jordan Bardella et Louis Aliot partagent la même ligne politique, mais s'affrontent sur fond de querelles internes.
Sur le papier, tout va bien. Le Rassemblement national prépare son congrès afin de désigner, le 5 novembre prochain, le successeur de Marine Le Pen à la tête du RN. D'un côté du ring, Jordan Bardella, bientôt 27 ans, assure l'intérim de la présidence du parti depuis septembre 2021. De l'autre, Louis Aliot, 53 ans, maire de Perpignan et vice-président du RN, joue la carte de l'expérience d'élu local. Environ 30 000 militants encartés sont appelés à choisir entre ces deux candidats lors d'un vote électronique organisé au cours du mois d'octobre. Pour la première fois, le vainqueur du congrès ne portera pas le nom de Le Pen.
A en croire la majorité des cadres interrogés, aucun nuage ne pointe à l'horizon au RN, encore galvanisé par les 89 sièges de député obtenus aux législatives et les récents sondages sur la cote de popularité de Marine Le Pen. "On est dans une période extrêmement apaisée et on va vivre un grand moment de démocratie. Rien à voir avec le congrès après la défaite de 2017 ou celui après la scission de Bruno Mégret en 1998, s'enthousiasme Jean-Lin Lacapelle, porte-parole du RN et eurodéputé. Il n'y a pas de guéguerre, mais deux candidats avec chacun leur histoire."
Deux candidats, une ligne
"Ils ont la même ligne politique. Ils sont marinistes. C'est surtout une question de profils", confirme Philippe Ballard, député et porte-parole du RN. Jordan Bardella s'appuie ainsi sur son bilan en tant que président intérimaire pour vanter sa candidature. "Je me permets de solliciter votre confiance pour poursuivre le chemin victorieux que nous avons emprunté avec Marine", a écrit le député européen dans une lettre au militant diffusée mercredi 30 août.
"On ne change pas une équipe qui gagne, plaide le député Alexandre Loubet, soutien du président intérimaire. La configuration de la dernière présidentielle était la bonne : avec Jordan Bardella qui, en tant que président-militant du RN, met le parti en ordre de marche pour soutenir la candidature de Marine Le Pen." Au siège du RN, les responsables évoquent les nombreux parrainages des élus qui affluent en faveur de Jordan Bardella. "Il y a un vrai engouement des cadres, mais aussi de la base. Au dernier congrès, il était arrivé en tête des votes pour le conseil national, juste devant Louis Aliot", rappelle le député.
"Je considère que Jordan Bardella est le candidat naturel et légitime."
Alexandre Loubet, député RNà franceinfo
Si le jeune dirigeant du RN part favori, il ne compte pas se reposer sur ses acquis. Après une rentrée médiatique prévue ce dimanche sur BFMTV, il va se lancer dans un tour des fédérations du Rassemblement national pour rencontrer les adhérents. "Jordan Bardella a une bonne capacité de travail et d'organisation. Cela n'enlève rien au mérite de Louis Aliot. Mais Jordan, c'est l'avenir, c'est la relève", vante encore Philippe Ballard, qui fait partie des nombreux cadres à afficher son soutien au président intérimaire.
Un match a priori déséquilibré
Le combat semble déséquilibré et certains s'interrogent même sous couvert d'anonymat sur l'intérêt de la candidature Aliot. "Franchement, entre nous, je ne sais pas pourquoi il est candidat, je ne comprends vraiment pas. Il veut peut-être faire vivre le débat démocratique...", se demande l'un des porte-parole du RN. Le parti d'extrême-droite, qui fonctionne avec une culture du chef incontesté, n'a pas pour habitude de s'épuiser dans des campagnes internes, exception faite du congrès de 2011 qui avait débouché sur l'élection de Marine Le Pen face à Bruno Gollnisch.
Avec Louis Aliot, certains ont pensé au début à une candidature de témoignage. Mais l'ancien compagnon de Marine Le Pen semble avoir réussi à lancer le match au fil de l'été. Pour refaire son retard, il mise sur son ancrage local et son expérience de maire, le seul du RN à diriger une ville de plus de 100 000 habitants. "Si ça marche à Perpignan, pourquoi ça ne marcherait pas ailleurs ?", a lancé le vice-président du RN à ses soutiens réunis, samedi 27 août, devant l'hôtel de ville de Baixas (Pyrénées-Orientales). "J'ai passé trente ans à me battre pour cette formation politique, j'ai occupé toutes les fonctions."
"J'ai parrainé Louis Aliot, parce qu'il est maire, qu'il a une expérience pour accompagner l'implantation local du mouvement dans le cadre des prochaines échéances municipales, explique l'ancien député du Nord Ludovic Pajot. "Il a de l'expérience et un niveau académique important, être doctorant en droit c'est un atout", estime pour sa part Bruno Gollnisch, qui n'a pas encore fait son choix.
La "bande du Pas-de-Calais" à la manœuvre ?
Derrière la bonne entente affichée en public par les deux candidats, des attaques à fleurets mouchetés contre Jordan Bardella se sont multipliées au cœur de l'été. D'aucuns doutent de sa capacité à rassembler sa famille politique, critiquent sa proximité avec la frange identitaire du parti, ou dénoncent "l'ambition démesurée" du jeune député européen.
Selon plusieurs ténors du parti, ces critiques ne proviendraient pas de l'entourage de Louis Aliot, mais plutôt de "la bande du Pas-de-Calais". Comprendre : le maire d'Hénin-Beaumont, Steeve Briois et le député Bruno Bilde, historiquement proches de Marine Le Pen. "Ils ne supportent pas l'ascension politique et le talent médiatique de Jordan Bardella. Ils ne soutiennent pas plus que cela Louis Aliot, mais ils ont trouvé en lui le candidat idéal pour tenter d'empêcher Jordan Bardella d'être élu", peste un proche de Marine Le Pen, qui dénonce "l'aigreur et la jalousie" des deux élus du Nord.
"Quand Marine Le Pen a confié l'intérim du parti à Jordan Bardella, Bruno Bilde et Steve Briois ont boycotté toutes les réunions. Hallucinant !"
Un proche de Marine Le Penà franceinfo
D'autres cadres du RN et soutiens de Jordan Bardella regrettent "une guéguerre personnelle" digne d'une "cour de récréation". "Ce sont des gens qui sont là pour casser la machine comme avec Bruno Mégret en 1998", râle un eurodéputé. "Ce qui ne manque pas de sel dans cette histoire, c'est que Bilde et Briois ont tout fait pour que Louis Aliot ne soit pas notre tête de liste aux européennes en 2019. Aujourd'hui, ils s'en prennent à Jordan parce qu'ils vivent mal sa popularité", ajoute un cadre du parti, très remonté.
"Bardella, il faut qu'il attende son tour"
Dans le viseur du camp Bardella, la "bande du Pas-de-Calais" dément "formellement" être à l'origine des attaques, mais refuse pour le moment d'en dire plus. "Nous nous exprimerons mi-septembre sur le congrès du parti de manière officielle et très explicite", assure Bruno Bilde à franceinfo. Contacté à plusieurs reprises avant la parution de cet article, Steve Briois n'a, lui, jamais répondu à nos sollicitations.
Au Rassemblement national, certains voient dans la candidature surprise de Louis Aliot une façon de freiner les ambitions de Jordan Bardella. "Louis Aliot me semble être entré dans la course pour éviter que Jordan Bardella ne fasse trop d'ombre à Marine Le Pen. Si Jordan Bardella avait été le seul candidat ou s'il devait l'emporter très largement contre Louis Aliot, il ne voudra plus s'arrêter dans son ascension. Il aime le pouvoir, mais il faut qu'il attende son tour", tacle un parlementaire mariniste fraîchement élu. "Ce n'est pas vrai, il n'a pas du tout pris le melon !", rétorque le député pro-Bardella Philippe Ballard.
La course pour la présidence du RN pourrait en partie se jouer lors des journées parlementaires du parti d'extrême droite, organisées le week-end du 17-18 septembre à Agde (Hérault). "Nous allons très vite nous rendre compte si les anti-Bardella parviennent à convaincre et rassembler des troupes assez puissantes autour d'eux", se projette un soutien du jeune candidat à la présidence du RN, qui relativise "ces critiques marginales". "Franchement, quand je vois la popularité de Jordan Bardella chez nos militants et nos élus, je suis convaincu qu'il l'emportera largement et que l'épisode sera clos".
A la suite de la publication de cet article, Steeve Briois, maire d’Hénin-Beaumont, a demandé, au nom de l’article 13 de la loi du 29 juillet 1881, l’exercice d’un droit de réponse. Le voici :
"Vous écrivez que je ne supporterais pas 'l’ascension politique et le talent médiatique de Jordan Bardella'. Cette imputation est sans fondement et ne repose sur aucune de mes déclarations mais sur des sources toutes anonymes, ce que je regrette profondément. Vous indiquez également que je ferais preuve 'd’aigreur et de jalousie'. Là encore, je réfute les sources anonymes. Réélu Maire d’Hénin-Beaumont en mars 2020 dès le 1er tour avec 74% des voix, score qui fait de moi le Maire le mieux réélu de toute la région Hauts-de-France dans les villes de plus de 20.000 habitants, je suis parfaitement accompli et ne jalouse absolument personne. Vous indiquez également que j’aurais 'tout fait pour que Louis Aliot ne soit pas tête de liste aux européennes de 2019', et qu’aujourd’hui je m’en prendrais 'à Jordan Bardella en raison de sa popularité'. En réalité, ces deux imputations sont contradictoires l’une de l’autre et émanent encore et toujours de sources anonymes. Si j’ai effectivement soutenu Jordan Bardella comme tête de liste aux élections européennes, je n’ai en aucun cas changé d’avis s’agissant d’une élections européenne. Pour chaque élection, je choisirai toujours le meilleur candidat en fonction du poste à pourvoir, restant profondément indépendant au-delà des différentes chapelles, ce qui semble beaucoup irriter les différentes sources anonymes que vous citez. Enfin, permettez-moi de rappeler que je ne suis en aucun cas là pour 'casser la machine' puisque je suis aux côtés de Marine Le Pen depuis la création de son association en 2002, point commun que j’ai avec Louis Aliot."
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