Crise France-Italie : derrière les attaques de Gérald Darmanin visant Giorgia Meloni, une stratégie pour contrer Marine Le Pen
Une attaque diplomatique et politique. Invité de RMC, jeudi 4 mai, Gérald Darmanin a accusé la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni d'être "incapable de régler les problèmes migratoires" dans son pays. Le ministre de l'Intérieur reproche notamment à Rome d'être responsable de l'"afflux de personnes migrantes et notamment de mineurs" dans le sud de la France. Selon lui, la dirigeante d'extrême droite arrivée au pouvoir en octobre est confrontée à "une très grave crise migratoire".
En réponse, le chef de la diplomatie italienne, Antonio Tajani, a annulé sa venue à Paris, où il devait rencontrer son homologue, Catherine Colonna. "C'est une insulte gratuite et vulgaire adressée à un pays ami, allié" et "quand quelqu'un offense de façon gratuite une autre personne le minimum est qu'elle présente ses excuses", a enchaîné vendredi l'ancien président du Parlement européen dans un entretien au quotidien Il Corriere della Sera. La France a tenté de calmer le jeu, le Quai d'Orsay "espérant" que la visite d'Antonio Tajani serait "reprogrammée rapidement".
L'immigration, éternel sujet de tensions
L'immigration constitue un sujet brûlant dans les relations entre les deux pays. Des tensions sont survenues en novembre, lorsque le gouvernement Meloni, à peine constitué, a refusé de laisser accoster un navire humanitaire de l'ONG SOS Méditerranée. Le bateau a fini par être accueilli par la France à Toulon avec plus de 200 migrants à bord. La crise de l'Ocean Viking concernait d'abord "les équilibres internes" du gouvernement de coalition italien, analysait à l'époque Gilles Gressani, directeur de la revue Le Grand Continent, estimant que la Ligue du Nord (extrême droite) de Matteo Salvini voulait "survivre aux tentations hégémoniques" de Fratelli d'Italia, le parti de Giorgia Meloni, et "donner des signes à son électorat". L'épisode avait néanmoins suscité la colère de Paris qui avait convoqué une réunion européenne pour que ce scénario ne se reproduise pas.
Depuis, les traversées clandestines par bateaux s'accentuent avec l'essor d'un nouveau couloir maritime entre la Tunisie et l'Italie. Selon le ministère italien de l'Intérieur, plus de 42 000 personnes sont arrivées par la Méditerranée en Italie cette année, contre environ 11 000 sur la même période en 2022.
Les tentatives de passage par voie terrestre "à travers les Alpes" sont également en hausse, a rapporté sur franceinfo Didier Leschi, directeur général de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). Les migrants arrivant en Italie, souvent de nationalité ivoirienne, guinéenne, ou malienne, sont plus enclins à vouloir s'installer en Italie ou en France, où leurs communautés sont déjà présentes, explique le directeur. "C'est pour ça que les tensions entre les deux pays sont fortes."
"Les nationalités qui arrivent en Italie sont pour près de la moitié d'entre elles, des nationalités qui ont un rapport avec l'espace historique francophone des Subsahariens."
Didier Leschi, directeur de l'OFIIà franceinfo
Dans ce contexte, la Première ministre, Elisabeth Borne, a annoncé fin avril la mobilisation de 150 policiers et gendarmes "supplémentaires" pour faire "face à une pression migratoire accrue à la frontière italienne" ainsi que la création d'une "border force", une force aux frontières.
Marine Le Pen renforcée par la crise des retraites
Toutefois, au-delà de la question migratoire, à travers ses attaques contre Giorgia Meloni, Gérald Darmanin a cité la leader de l'extrême droite... en France. "Madame Meloni, c'est comme Madame Le Pen, elle se fait élire sur 'Vous allez voir ce que vous allez voir' et puis ce qu'on voit, c'est que ça ne s'arrête pas et que ça s'amplifie", a affirmé le ministre de l'Intérieur en parlant de l'immigration. Deux jours auparavant, sur BFMTV, le ministre critiquait déjà le RN, "le parti de la flemme", et avait qualifié Marine Le Pen de "petite femme politique". Gérald Darmanin n'en est pas à ses premières critiques contre la finaliste de la dernière élection présidentielle. En février 2021 déjà, lors d'un débat sur France 2, il lui avait déclaré la trouver "un peu molle" sur les questions de laïcité.
Ces attaques interviennent dans un contexte de mobilisations contre la réforme des retraites, où l'exécutif cristallise les critiques depuis des mois. Or, la cheffe des députés RN, souvent restée silencieuse sur le sujet, a progressé dans les enquêtes d'opinion. Selon un sondage Ifop-Paris Match du 5 avril, 52% des sondés l'estiment compétente (soit +6 points en deux mois) et 51% capable de réformer le pays (+8 points).
Le gouvernement et des proches de la majorité ont d'ailleurs apporté leur soutien à Gérald Darmanin, taclant à leur tour l'extrême droite. Sur franceinfo, la députée européenne macroniste Nathalie Loiseau a estimé que Gérald Darmanin "a appuyé là où ça fait mal" et que les promesses de l'extrême droite sur l'immigration étaient un "leurre".
"L'extrême droite ment à ses électeurs quand elle promet qu'il suffit de voter pour elle pour que le problème soit réglé. Ce n'est pas vrai".
Nathalie Loiseau, députée européenne Renewà franceinfo
Le ministre des Transports, Clément Beaune, a donné "raison sur le plan politique" à Gérald Darmanin qui a rappelé "ce qu'est l'extrême droite partout, en Italie comme ailleurs, qui fait beaucoup de promesses et règle peu de problèmes".
Mais le parallèle entre Marine Le Pen et Giorgia Meloni a ses limites. La députée RN, dont l'allié transalpin historique reste Matteo Salvini, a déjà pris ses distances avec la cheffe de l'exécutif italien. "Elle est très FN des années 1980. Conservatrice, libérale, atlantiste", affirmait-elle à l’automne, selon Le Parisien, ajoutant que la femme politique romaine se rapprochait plutôt d'Eric Zemmour. "Meloni n'est pas ma sœur jumelle", a-t-elle encore déclaré dans une interview à La Repubblica (article en italien pour les abonnés) début avril.
De son côté, le RN a fustigé les propos de Gérald Darmanin et soutenu l'Italie. "Avec Gérald Darmanin comme ministre de l'Intérieur, la France bat tous les records d'immigration. Un bilan qui le disqualifie pour donner la moindre leçon de fermeté à nos voisins italiens, qui payent l'appel d'air qu'il a lui-même créé en Europe", a tweeté jeudi le président du RN, Jordan Bardella.
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