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"Il y a un pacte de loyauté de Darmanin vis-à-vis de Macron" : comment le ministre de l'Intérieur étend son influence malgré les polémiques

Le transfuge de la droite est confirmé à Beauvau où il hérite d'un portefeuille élargi. Sa place dans la macronie est plus que jamais confortée. 

Article rédigé par Margaux Duguet - avec Antoine Comte
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, à l'Elysée, le 4 juillet 2022. (ARTHUR NICHOLAS ORCHARD / HANS LUCAS / AFP)

"Mon ministre de l'Intérieur me dit tout." Cette petite phrase glissée par le président de la République à un proche de Gérald Darmanin est révélatrice du lien qui s'est noué entre les deux hommes. Transfuge de la droite, l'ancien maire de Tourcoing (Nord) a bâti avec Emmanuel Macron "une vraie relation de confiance", dixit un député LR, toujours en contact avec le locataire de Beauvau. Nommé ministre de l'Action et des Comptes publics en 2017 puis ministre de l'Intérieur en 2020, Gérald Darmanin s'est vite révélé "indispensable" dans le dispositif gouvernemental. "Il y a un pacte de loyauté de Gérald vis-à-vis de Macron, il est loyal à la main qui le nourrit et il survit très bien à la macronie", résume un proche du ministre.

"ll fait le job qui lui plaît et il n'y avait personne d'autre à mettre à sa place."

un proche de Gérald Darmanin

à franceinfo

D'après un ancien membre de l'équipe de campagne d'Emmanuel Macron, le chef de l'Etat "considère que son bilan à Beauvau est bon, à la fois sur les sujets police mais aussi sur la gestion de la préfectorale."

Le récent fiasco de la finale de la Ligue des Champions au Stade de France – dossier dans lequel le Sénat reproche au ministre d'avoir livré des "premières déclarations [qui] ne correspondaient pas à la vérité" et "une analyse partielle et imprécise" – n'a pas empêché son maintien. Tout comme les accusations de viol, harcèlement sexuel et abus de confiance de Sophie Patterson-Spatz. Dans cette affaire qui dure depuis 2017, le ministre de l'Intérieur a bénéficié d'un non-lieu, le 11 juillet dernier. La plaignante garde néanmoins la possibilité de faire appel de cette décision. A cause de ce dossier qui poursuit Gérald Darmanin depuis le début du premier quinquennat, des associations féministes et plusieurs membres de l'opposition réclament régulièrement sa démission.

Sans faire sourciller Emmanuel Macron, qui non seulement l'a maintenu à Beauvau mais a élargi son portefeuille. A la faveur du remaniement du début du mois, Gérald Darmanin hérite d'un superministère avec trois ministres délégués et un secrétaire d'Etat en charge des différents portefeuilles : l'Intérieur, la Citoyenneté, les Collectivités territoriales et l'Outre-mer.

"The right man at the right place"

C'est sur ce dernier point que les critiques ont été les plus vives. L'Outre-mer, qui bénéficiait jusqu'alors d'un ministère de plein exercice, passe sous la tutelle de Beauvau. De nombreux élus ultra-marins ont déploré cette décision, à l'image du député de la Guadeloupe Olivier Serva qui y voit "un mauvais signal". D'autres députés de l'opposition, comme Marie-Charlotte Garin (EELV), ont aussi fustigé ce choix.

"Cela renvoie un signal sécuritaire dont les territoires ultra-marins n'ont pas besoin."

Marie-Charlotte Garin, députée EELV

à franceinfo

"Darmanin, celui qui a envoyé le Raid et le GIGN lorsque les Guadeloupéens demandaient plus de justice sociale, est aujourd'hui en charge des Outre-mer. Cynisme et mépris de la macronie", a tweeté Mathilde Panot, la présidente du groupe LFI à l'Assemblée. Le ministre de l'Intérieur avait envoyé dans l'archipel des renforts des forces spéciales après plusieurs jours d'émeutes, en novembre 2021, sur fond de contestation contre les mesures sanitaires.

Pas de quoi faire tiquer l'aile gauche de la macronie, qui soutient l'ancien député LR. "Le fait que Jean-François Carenco [ministre délégué aux Outre-mer] soit sous la tutelle de Beauvau ne nous choque pas, ce qui importe ce sont les politiques menées", assure l'ancien ministre Stéphane Travert et membre de Territoires de progrès, le micro-parti de gauche du ministre Olivier Dussopt. "La gauche responsable et pragmatique considère qu'on ne peut pas faire une politique de vivre ensemble et d'égalité des chances si on n'a pas un ordre républicain", ajoute-t-il, considérant que Gérald Darmanin est "the right man at the right place" ("la bonne personne au bon endroit").

De l'avis d'une majorité de macronistes, il était impensable d'écarter le puissant ministre, au style parfois abrupt. Son "Calmez-vous madame, ça va bien se passer" adressé à une journaliste de BFM lui avait par exemple valu d'être accusé d'"agressivité" et de "sexisme". On se souvient aussi de "quand j'entends le mot 'violence policière', je m'étouffe", expression qui avait indigné la famille de Cédric Chouviat, mort asphyxié après son interpellation. Pourtant, un député de la majorité "ne voit pas comment on peut se passer d'un Gérald Darmanin à l'Intérieur, il fait le job tout simplement".

Les relations à droite "très utiles" de Darmanin

Il y en a bien une qui aurait cherché à évincer l'ex-parlementaire. Selon Politico, Elisabeth Borne a tenté de débarquer Gérald Darmanin du gouvernement. Sans confirmer, un conseiller de l'exécutif reconnaît que "c'était un peu tendu au démarrage" : "Matignon voulait tout réglementer, même le sujet police. Et pour Gérald Darmanin, c'est no way. C'est quand même un ministre qui a Macron plusieurs fois par jour par téléphone."

La pression serait désormais retombée entre la locataire de Matignon et son ministre. L'entourage d'Elisabeth Borne a voulu clore la polémique en affichant ostensiblement Gérald Darmanin aux côtés de la cheffe du gouvernement lorsque celle-ci a rejoint à pied le Palais-Bourbon pour sa déclaration de politique générale.

"Le virer du gouvernement en aurait fait un martyr. Macron le sait très bien."

Un proche de Gérald Darmanin

à franceinfo

Surtout, dans un contexte de majorité relative à l'Assemblée nationale, se passer de Gérald Darmanin aurait été compliqué. "Il fait partie des officiers traitants pour convaincre le plus de députés LR", assure un parlementaire de droite. "Il a beaucoup de relations à droite, ce qui sera particulièrement utile", confirme un député Renaissance. Il est très politique et dans le contexte, c'est la capacité des ministres à trouver des majorité sur leurs textes qui va faire la différence, c'est donc très précieux !"

Avec l'éviction de Richard Ferrand et de Christophe Castaner, battus aux législatives, l'aile gauche de la macronie a du plomb dans l'aile. "Le barycentre de la majorité est à droite. Les postes régaliens sont à droite. Et il apporte avec quelques-uns ce que d'autres n'ont pas : un élu local, au contact avec les terrains, qui a gagné les élections", développe un conseiller ministériel. Une influence qui n'a pas empêché les oppositions de raboter la loi sanitaire en première lecture à l'Assemblée, mardi 12 juillet.

Réseaux de parlementaires, soutien des syndicats...

Gérald Darmanin, décrit par un proche comme "un vrai animal politique, mélange d'un Xavier Bertrand et d'un Nicolas Sarkozy" cultive ses réseaux et notamment au Palais-Bourbon. "Il a compris depuis longtemps qu'on avance plus vite en travaillant avec les députés qu'en les ignorant", glisse un élu de la majorité. "Il est l'un des seuls ministres à avoir un vrai groupe de députés fidèles à l'Assemblée", ajoute un autre. Et l'ambitieux ministre cherche à étendre son réseau parlementaire. Il organise actuellement des petits-déjeuners avec les députés de la majorité où tous les sujets sont sur la table. Pas sûr que cela séduise les élus de l'aile gauche de la macronie qui voient parfois "ressortir le Sarko" dans les propositions émises par le ministre.

Au contraire des syndicats de police qui entretiennent d'excellentes relations avec Gérald Darmanin. A commencer par le puissant syndicat Alliance. "Il a notre soutien parce qu'il nous soutient tout simplement", dit Fabien Vanhemelryck, secrétaire général d'Alliance.

"Gérald Darmanin a toujours été de notre côté. Il fait partie de nos défenseurs et de nos avocats."

Fabien Vanhemelryck, secrétaire général d'Alliance

à franceinfo

"Il a toujours été là quand il y a eu des difficultés sur le terrain et il a établi un dialogue social qui a débouché sur des avancées", salue Thierry Clair, secrétaire général de l'Unsa. "C'est un farouche défenseur de la police, c'est vrai, mais il demande beaucoup d'exemplarité", ajoute Grégory Joron.

Les syndicats l'attendent au tournant sur les déclinaisons de la LOPMI [loi d'orientation et de programmation du ministère de l'Intérieur]. "On est capable de se braquer si la loi d'orientation venait à péricliter", prévient Alliance. Là encore, certains députés, anciens de la gauche, ne voient pas cela d'un très bon œil. "Les syndicats tiennent le ministère, ils ont l'oreille de Darmanin", déplore un parlementaire de la majorité qui rappelle la participation du ministre de l'Intérieur à une manifestation des policiers devant l'Assemblée nationale au printemps 2021.

"C'est comme si on achetait la paix sociale avec la police."

Un parlementaire de la majorité

à franceinfo

Au-delà des sujets qui concernent son maroquin, Gérald Darmanin s'émancipe et n'hésite pas à faire entendre sa propre musique. Encore récemment, dans une interview au Monde, il plaidait pour "davantage de pâte humaine et de contact dans notre politique."

"Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen parlent aux tripes. Dans la majorité, nous devons aussi parler aux tripes des Français, mais différemment."

Gérald Darmanin

au Monde

Parler aux tripes des Français depuis… Matignon ? Certains y croient. "Il vise plutôt Matignon que 2027 car sa rencontre avec les Français, il ne l'a pas encore faite, mais il la fera un jour, prédit un député LR. Il y aura un Premier ministre de droite avant la fin du quinquennat." Un proche de Gérald Darmanin assure toutefois que celui qui a gardé un solide ancrage à Tourcoing se verrait bien président de la République. "Ce n'est pas quelqu'un qui s'arrêtera là. Il est jeune et déjà très haut, dit-il. Et Gérald, c'est un patient."

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