D'animateur télé casse-cou à ministre de l'Ecologie : les différentes natures de Nicolas Hulot
Franceinfo vous raconte la vie mouvementée d'un homme qui a longtemps hésité avant de se jeter dans le grand bain de la politique.
Il a finalement dit oui à Emmanuel Macron. Après avoir éconduit Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande, Nicolas Hulot a accepté d'entrer au gouvernement. A 62 ans, l'ancien animateur télé prend donc la tête du ministère de la Transition écologique et solidaire. "Je ne suis pas né écologiste, je le suis devenu", répète pourtant celui qui a contribué à sensibiliser à la protection de l'environnement et à imposer l'écologie dans le débat public. Voici comment.
Une jeunesse "un peu compliquée"
"J'ai un peu peur de mon passé", confie-t-il au magazine "13h15 le dimanche". Nicolas Hulot grandit dans une famille bourgeoise. Son grand-père paternel est voisin de Jacques Tati et, par son tempérament, inspire au cinéaste son mythique et lunaire personnage de Monsieur Hulot. Voilà pour la belle histoire. Viennent ensuite les drames intimes de cette jeunesse "un peu compliquée" sur laquelle il n'aime pas s'étendre, mais qu'il a cependant couchée sur le papier dans deux livres introspectifs : Les Chemins de traverse (éd. JC Lattès) en 1990, puis Plus haut que mes rêves (éd. Calmann-Lévy) en 2013.
Il y a d'abord la séparation de ses parents : Monique, la fille de bonne famille, catholique pratiquante, et Philippe, l'aventurier devenu chef d'entreprise, qui finit par quitter le foyer conjugal, méprisé par sa belle-famille. Il y a ensuite, à 15 ans, la mort de son père, emporté par un cancer. Puis le suicide de son frère aîné, Gonzague, quatre ans plus tard, dont il découvre le corps au sous-sol de la maison familiale le jour de Noël. Il ne révélera sa découverte que le lendemain pour ne pas gâcher la fête...
"Il en a puisé une force de vie, une forme de fuite en avant mais positive", analyse pour France 2 son ami de toujours, Bruno Chaumont. "J'ai conscience de la brièveté de l'existence, résume-t-il. En attendant, soyons curieux, ayons soif de connaître."
Reporter et globe-trotter
L'adolescent abandonne ses études de médecine, multiplie les petits boulots de bord de mer (plagiste, moniteur de voile, serveur...) pour se payer ses premières sensations fortes à motos. Le fondateur de l'agence Sipa l'embauche pour son culot et croit en lui. Au milieu des années 1970, le voici photoreporter et baroudeur. Il couvre un tremblement de terre au Guatemala, une guerre d'indépendance en Rhodésie... "Visiblement, ma nature s'est révélée assez tôt", sourit-il aujourd'hui.
"C'était l'école de la vie", se souvient-il sur France 2. "Ça a été l'école de la démerde aussi, parce que personne ne savait où j'étais." Il comprend aussi qu'on ne parle bien que de ce qu'on connaît : "En photo, vous ne pouvez pas témoigner de quelque chose que vous n'avez pas vu ou vécu."
A Paris, il couvre l'enlèvement du baron Empain, planque pendant 46 jours dans une voiture devant le domicile de l'homme d'affaires, avenue Foch, et rate la photo de sa libération à un quart d'heure près, pour s'être absenté pour rejoindre sa petite amie, raconte L'Express. Il est parmi l'un des premiers sur les lieux de la mort de "l'ennemi public numéro 1", Jacques Mesrine, mais refuse de prendre le cliché. Il promène ensuite son micro à moto sur la radio France Inter.
L'aventure "Ushuaïa"
Mais la grande aventure de sa vie débute en 1987 – et pour presque un quart de siècle – avec "Ushuaïa". Au début, la planète sert surtout de décor à ce magazine de TF1 dédié aux sports extrêmes. Parachute, ULM, voltige aérienne, kayak, plongée sous-marine... L'animateur casse-cou est mis en scène. Et avec lui, ses mésaventures : chutes, pannes de moteur, vertiges, morsures... "C'était du grand n'importe quoi", juge-t-il avec le recul.
Au milieu de ces paysages naturels grandioses, une conscience écologiste voit le jour. A chaque voyage, il éprouve "ce sentiment d'arriver toujours juste à temps". "Il n'y avait plus un endroit où on allait où le scientifique du coin ne tirait pas la sonnette d'alarme. Les urgences locales sont devenues des urgences globales." "Ça nous a submergé", raconte-t-il à France 2.
On est très vite devenus des ambassadeurs de la nature. Elle a pris le dessus et c'est elle qui a éveillé nos consciences. Quand on vit des choses comme ça, ça change définitivement votre regard.
Nicolas Hulotdans "13h15"
Au fil de ses 300 émissions, "Ushuaïa" change de ton. En s'invitant dans les foyers des téléspectateurs qui le chérissent, l'aventurier du bout du monde porte désormais son idéal de protection de l'environnement. "Il y a eu un moment d'incompréhension, reconnaît-il. Brutalement, je passais de quelqu'un qui vous invitait à venir contempler la beauté du monde à quelqu'un qui venait vous exposer à la figure une forme de laideur." "A l'époque, cela m'a vraiment fait mal."
D'autant que le message se dilue dans les polémiques. L'émission coûteuse – un million d'euros par épisode – est financée grâce aux sponsors d'industriels, tel le géant chimique Rhône-Poulenc. Et "Ushuaïa" se décline aussi en produits dérivés (déodorants, gels douche...). Quant à la fondation qu'il lance en 1990 pour porter des projets concrets, on lui reproche ses partenaires accusés de "greenwashing" : EDF, L'Oréal, Atol... "On ne fait pas la guerre avec des miettes", rétorque-t-il, pragmatique.
L'écolo qui murmure à l'oreille des présidents
Le télégénique et populaire militant écologiste attire l'attention des politiques. En 1989, François Mitterrand l'invite à l'Elysée, sur les recommandations de son conseiller, l'influent Jacques Attali. Las, le président reste insensible aux charmes de son hôte. Son rival, le maire de Paris, Jacques Chirac, s'empresse de lui ouvrir la porte de son bureau. C'est le début d'une amitié durable entre les deux hommes.
Il refuse cependant un poste de ministre de l'Ecologie. Deux fois. Il accepte celui moins exposé de conseiller aux questions environnementales. Il est l'un des inspirateurs du fameux "Notre maison brûle et nous regardons ailleurs", lancé en 2002 par le président à Johannesburg (Afrique du Sud), lors du sommet mondial sur le développement durable. En 2004, le téléphone satellite chauffe. Nicolas Hulot se démène avec succès depuis sa tente igloo sur la banquise arctique pour défendre l'adoption de la Charte de l'environnement.
"Nicolas a une stratégie : il essaie d'influencer directement ceux qui sont au pouvoir. Les pouvoirs, en retour, essaient de l'instrumentaliser. C'est la loi du genre. Mais ce qu'il fait est respectable et probablement pas moins efficace que ce que font les élus écologistes", glisse Daniel Cohn-Bendit dans Le Monde.
L'homme est enfin pris au sérieux, notamment par les écologistes. "J'avais beaucoup de prévention au début, raconte à Télérama Dominique Voynet. J'avais l'image du baroudeur consommateur d'espaces naturels. J'ai été surprise de découvrir un type fin, sensible, réfléchi."
Un acteur de la campagne de 2007
En 2007, Nicolas Hulot hésite à se présenter à la présidentielle. S'il recule, il ne renonce pas à influer sur le cours de l'élection et lance un "Pacte écologique" qu'il fait signer à la plupart des candidats. Il parvient à se rendre incontournable pendant la campagne, et impose l'écologie comme enjeu du scrutin. Elu, Nicolas Sarkozy le courtise. C'est l'époque des ministres d'ouverture. Une fois encore, Nicolas Hulot refuse d'être la caution écologiste du quinquennat dans un ministère d'Etat. Il préfère exercer de son influence dans l'ombre du pouvoir.
"C'est resté secret. Mais quand Jean-Louis Borloo a pris les rênes du ministère de l'Ecologie en 2007, il est parti quelques jours à Saint-Lunaire, chez Nicolas Hulot, pour se préparer au poste", révèle au Monde l'écologiste Pascal Durand, compagnon de route de Nicolas Hulot. "Sans Nicolas Hulot, il n'y aurait jamais eu de Grenelle de l'environnement", assure au quotidien du soir Chantal Jouanno, secrétaire d'Etat à l'Ecologie en 2009.
Le sommet de Copenhague sur le climat est un échec. Un an plus tard, en 2010, au Salon de l'agriculture, Nicolas Sarkozy lâche : "L'environnement, ça commence à bien faire." La rupture entre les deux hommes en consommée.
Nicolas Hulot signe en 2009 Le Syndrome du Titanic, un documentaire sur la destruction de la nature par l'homme. Fini les cartes postales façon "Ushuaïa", cette fois, le ton est sombre, dramatique. C'est un échec. "Ce changement de Nicolas, les gens ne l'ont pas compris. Ils ont rejeté le film", explique au Monde l'universitaire Dominique Bourg, vice-président de la Fondation Hulot. "Mais Le Syndrome du Titanic était porté par un sentiment d'urgence. Celui des gens qui voient que la situation se dégrade très fortement."
Candidat "romantique" à la présidentielle en 2012
En 2012, Nicolas Hulot se jette dans le grand bain. Il est candidat à l'élection présidentielle. Cette fois encore, il a tergiversé. "Il avait hésité jusqu'au dernier moment. Je me rappellerai toujours le moment où il est arrivé en scooter avec sa femme à la conférence de presse où il devait annoncer sa décision. Florence est descendue et lui a dit, le casque à la main, 'Tu peux encore changer d'avis'. C'était vrai : il n'y avait qu'une phrase à modifier à la fin du discours. Mais il ne l'a pas fait', relate dans Le Monde Pascal Durand, qui participa à sa campagne.
A la primaire d'Europe Ecologie-Les Verts, les écologistes lui préfèrent l'ancienne magistrate Eva Joly. Ses affinités avec des présidents de droite et ses heures de gloire sur TF1 lui ont coûté des voix. Le coup est rude.
L'histoire a montré que non seulement ils ne m'attendaient pas, mais qu'ils ne me voulaient pas. Et donc j'ai fait un mauvais choix, parce que ça a donné lieu a une campagne calamiteuse, au ras des pâquerettes, pire que tout ce que je pouvais dénoncer dans les autres formations politiques. Et ça a achevé de caricaturer l'écologie.
Nicolas Hulotsur France 2
"C'est un sentimental. Il est parti comme un romantique désespéré", se souvient l'un de ses proches, sa plume et son porte-parole, l'écologiste Jean-Paul Besset, dans Le Monde. Il déscolarise ses deux enfants, Nelson et Titouan, aujourd'hui adolescents, pendant six mois, et sillonne le globe : la Corse, Venise, Madagascar, l'océan Indien.
François Hollande le rappelle et le nomme "envoyé spécial pour la préservation de la planète". Il sera l'un des artisans de la COP21 et de l'accord de Paris sur le climat. Tout comme il choisit de travailler bénévolement pour mieux garantir sa liberté, il refuse encore un maroquin ministériel : "Dans un premier temps, ça vous fait presque sourire. Dans un deuxième temps, ça vous empêche de dormir. C'est toujours plus difficile de dire non."
"Il évolue, mais ne se renie pas"
Ce sera donc oui à Emmanuel Macron en qui il s'est retrouvé, lui qui conçoit son combat comme "supra politique" et veut jouer un "rôle de rassembleur au-delà des partis politiques" autour de sa grande cause écologique et solidaire. Après avoir été lobbyiste, il veut désormais être décideur. Il le sait : il va devoir se faire violence. Celui que ses amis surnomment "le commandant couche-tôt" aura un peu moins de temps pour relire les héros de bandes dessinées de sa jeunesse et Victor Hugo qu'il aime tant et apprend par cœur.
Nicolas Hulot est un homme "pressé", un bosseur qui n'aime pas "être pris de court" sur ses dossiers, mais aussi un timide, qui se force, "jamais à l'aise" devant son auditoire, qui fait "semblant" malgré son "trac fou". "Chaque nuit, je fais le procès de la veille", avoue-t-il au Monde. "Trois fois par jour, j'ai envie de tout abandonner. Et puis je me dis qu'il ne faut pas." Il pourra toujours trouver refuge dans sa belle demeure bretonne de Saint-Lunaire, en baie de Saint-Malo, là où se trouvent ses rares souvenirs d'enfance heureux, face au grand large auquel se mesurer en kite-surf. Car il aime toujours autant ces sensations fortes "qui vous remettent à votre juste échelle" et permettent de "connaître ses limites".
"Il évolue, mais il ne se renie pas, il ne s'est jamais trahi. Son histoire est chaotique, mais il a décidé d'avancer en ligne droite", affirme dans Télérama Bruno Chaumont, son ami de toujours. "Il ne ferait pas ce qu'il fait aujourd'hui s'il n'avait pas cette volonté de laisser une trace", conclut Florence, son épouse, face à la caméra de France 2.
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