Comment Emmanuel Macron s’est résolu à garder pour l'instant Elisabeth Borne à la tête du gouvernement
Elisabeth Borne a signé un nouveau CDD. Dans une confidence lâchée par l'entourage du président de la République à la presse, dans la soirée du lundi 17 juillet, Emmanuel Macron a confirmé sa Première ministre à Matignon. "L'objectif des 100 jours a été tenu et le calme est revenu, explique l'Elysée. Le pays avance. L'exécutif doit travailler et préparer la rentrée." Le chef de l'Etat a quand même demandé à sa cheffe de gouvernement d'effectuer cette semaine des "ajustements" dans son équipe. Comprendre : un remaniement est bien à l'ordre du jour.
La méthode choisie par l'Elysée pour maintenir en poste Elisabeth Borne ne démontre pas en tout cas un excès d'enthousiasme. "La façon dont elle a été prolongée, un pauvre indiscret donné à quelques rédactions à 19 heures… C'est service minimum !", constate un ministre à France Télévisions.
"Si Macron avait voulu renforcer sa Première ministre, il l'aurait laissée démissionner et l'aurait renommée officiellement."
Un ministreà France Télévisions
"C'est une prolongation en catimini. Elle n'a pas de nouvel élan. Borne plaidait pour un remaniement important. Ce ne sera pas le cas. Ce n'est pas un signe de confiance", enfonce un député. "L'ambiance est un peu mi-figue, mi-raisin, en mode 'tout ça pour ça'..., lâche une cadre de la majorité. Cela ne va pas redonner du dynamisme".
"Préserver une continuité et une stabilité"
Depuis son entretien sur TF1 et France 2, à la suite de la séquence conflictuelle de la réforme des retraites, le chef de l'Etat avait laissé planer le doute sur le maintien en poste de sa Première ministre. Après réflexion, le président a donc jugé qu'Elisabeth Borne restait sa meilleure option pour animer l'équipe gouvernementale. "Ce maintien, je l'analyse comme le souhait de préserver une continuité et une stabilité dans une période instable. Ça se comprend", souffle un député de la majorité. "Changer de Premier ministre, c'est griller une cartouche", estimait déjà un ministre en juin. Avec un bouleversement à Matignon, une nouvelle crise politique risquait d'aboutir à une dissolution, selon plusieurs observateurs. "Cela n'aurait pas été un bon calcul de se séparer de Borne. L'automne sera difficile avec beaucoup de 49.3 pour le budget, et le risque de motions de censure", confirme un député Renaissance.
"Si le gouvernement doit être renversé, il vaudra mieux que ce soit elle plutôt qu'un Premier ministre fraîchement nommé."
Un député Renaissanceà France Télévisions
Si l'hypothèse Gérald Darmanin a bien circulé ces dernières semaines, le ministre de l'Intérieur n'est pas parvenu à emporter l'adhésion de l'ensemble du camp présidentiel. "Darmanin est très clivant. Pas sûr qu'il aurait rapporté beaucoup de voix côté LR et les députés Renaissance venant de la gauche n'en voulaient pas", explique un parlementaire de la majorité. Emmanuel Macron a également évité de propulser à Matignon un éventuel successeur à l'Elysée. "Est-ce que le président aurait supporté quelqu'un de plus politique ? Je ne pense pas", glisse un député Renaissance influent.
"Le président veut un collaborateur, comme il en avait un avec Castex. Il ne veut pas quelqu'un qui pense différemment de lui", confirme un poids lourd de la majorité. Elisabeth Borne doit avant tout son maintien à l'absence d'alternative crédible. "Le mouton à cinq pattes n'existe pas", répètent à l'envi plusieurs cadres du camp présidentiel.
Une relation compliquée
Pour autant, la position d'Elisabeth Borne semble précaire. "Macron n'avait pas mieux, personne ne peut ramener une majorité absolue. Après les sénatoriales [le 24 septembre], la situation sera différente", estime un ministre. D'autant que beaucoup évoquent la relation compliquée qu'entretiennent le président et la cheffe du gouvernement.
Emmanuel Macron n'a pas hésité à recadrer Matignon à plusieurs reprises. "Je ne suis pas responsable des interviews à l'AFP de la Première ministre", avait rétorqué le chef de l'Etat quand Elisabeth Borne avait exprimé son intention de ne plus utiliser le 49.3 hors textes financiers. Un peu plus tard, le président s'était aussi démarqué de sa Première ministre quand celle-ci avait désigné le Rassemblement national comme l'"héritier de Pétain". On ne combat pas l'extrême droite "avec les mots des années 90 et des arguments moraux", avait-il lâché en Conseil des ministres.
"Il a beaucoup d'admiration pour ses capacités de travail, mais ils n'ont aucun atome crochu."
Un cadre de la majoritéà franceinfo
"Les relations entre Matignon et l'Elysée, c'est quand même une longue histoire de difficultés, commente Sacha Houlié, président Renaissance de la commission des lois de l'Assemblée. Regardez Chirac avec Giscard, Rocard avec Mitterrand, Fillon avec Sarkozy. Mais ça n'empêche pas les gens de bien travailler ensemble."
"Elle en a quand même pris plein la gueule"
Les partisans d'Elisabeth Borne n'ont de cesse, depuis des semaines, de mettre en avant le bilan de la polytechnicienne, qui a tenté d'avancer en trouvant des majorités de circonstance. "Elle a obtenu des résultats bien plus qu'on ne veut le voir. Elle a quand même fait adopter une trentaine de textes sans le 49.3. C'est une bonne boussole", salue Stanislas Guérini, ministre de la Fonction publique. "Je trouve qu'on a fait plus dans la première année de ce quinquennat que dans la première année du précédent, se félicite aussi Sacha Houlié. Elle a mené à bien les projets les plus délicats de ces dernières années, de la réforme des retraites à celle de l'assurance-chômage, en passant par toute la programmation de l'énergie nucléaire et le renouvelable."
"Elle a résisté à tous les assauts et fait avancer tous les projets avec des vents contraires."
Sacha Houlié, député Renaissanceà franceinfo
"Elle s'est montrée plus solide que ce que beaucoup pensaient au début, alors qu'elle en a quand même pris plein la gueule", constate aussi un député LR. Mais, dans la majorité, le "bornisme" a aussi ses détracteurs. "Avoir réussi à faire passer X textes, c'est le résultat d'une méthode, pas d'une vision politique", raille une députée. Face à l'absence de majorité claire à l'Assemblée, la Première ministre, au profil "techno", a été contrainte de négocier constamment. "Elle a fait plus de politique qu'on ne l'imagine", confie le député LR. "Elisabeth Borne nous a reçus régulièrement. Le café est bon, mais on a vite constaté que l'on a des désaccords, et pour certains d'entre eux, ils sont irrémédiables, insurmontables", martèle pour sa part le patron des députés socialistes, Boris Vallaud.
Les compromis ont surtout vite été éclipsés par la bataille des retraites et une 11e utilisation de l'article 49.3. La Première ministre avait pourtant balayé plusieurs fois l'hypothèse d'un tel passage en force. Pour obtenir un vote favorable sur cette réforme, elle a notamment cédé à plusieurs revendications de LR pour obtenir un accord avec la droite. "Plusieurs ministres et députés se demandent encore pourquoi on n'est pas allés au vote", souffle un conseiller ministériel. Après des semaines de protestations de l'opposition et une forte mobilisation dans la rue, l'absence de vote à l'Assemblée a sonné comme un aveu d'échec.
Pour cicatriser les plaies laissées par la séquence, Emmanuel Macron avait fixé un cap de "100 jours d'apaisement et d'action". Malgré les émeutes dans les banlieues à la suite de la mort de Nahel tué par un tir de policier, la cheffe du gouvernement a réussi à faire la démonstration de sa capacité de résistance et à convaincre l'Elysée. "Le 14-Juillet a été un succès. La loi de programmation pour la Justice a été votée mardi soir à l'Assemblée nationale après le vote définitif de la loi de programmation militaire", constate l'entourage du président. Elisabeth Borne va donc pouvoir continuer à appliquer sa feuille de route présentée en avril... au moins jusqu'à l'automne.
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