Fonds Marianne, "Playboy", Hanouna… Marlène Schiappa, de protégée de l'Elysée à figure déchue de la macronie
C'est un personnage emblématique du macronisme. De son émergence en 2016 jusqu'à ses doutes de 2023, en passant par son triomphe de 2017 et sa réélection sans passion de 2022… Voilà sept ans que Marlène Schiappa est l'une des principales figures de ce mouvement basé sur le dépassement des vieux clivages pour opérer une "révolution" en politique, comme le promettait Emmanuel Macron dans un livre publié avant la conquête de l'Elysée. Depuis mai 2017, elle n'a passé que 45 petits jours en dehors du gouvernement. Seuls Elisabeth Borne, Gérald Darmanin et Bruno Le Maire ont fait mieux qu'elle. "Les trois ministres qui ont duré plus de six ans sont soit Première ministre, soit premiers ministrables", s'enorgueillit aujourd'hui son entourage auprès de franceinfo.
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Mais pour la Parisienne au cœur corse, l'aventure gouvernementale s'est terminée jeudi 20 juillet, à la faveur d'un remaniement dont elle a fait les frais. La sentence était prévisible : l'avenir politique de Marlène Schiappa s'était assombri depuis de nombreuses semaines, en raison de plusieurs écarts qui ont exaspéré l'Elysée, ses collègues du gouvernement et une bonne partie de la majorité.
Il y a un an, elle n'était pas là. Elle ne devait pas être là, d'ailleurs. Marlène Schiappa avait été exfiltrée du gouvernement à l'aube du second quinquennat naissant. Finies les frasques, l'heure était à la page qui se tourne pour le nouvel exécutif, en mai 2022. Mais, un mois et un sérieux revers aux législatives plus tard, pendant qu'elle est en week-end chez sa sœur, l'ex-ministre déléguée à la Citoyenneté est rappelée pour un maroquin de secrétaire d'Etat à l'Economie sociale et solidaire et à la Vie associative. Beaucoup auraient refusé. Pas elle. "J'ai accepté avec beaucoup d'enthousiasme !" raconte-t-elle alors à franceinfo.
Le retour d'une "porte-flingue" prolifique
Pour Emmanuel Macron, c'est le retour d'un "porte-flingue", qui fait des coups et "imprime" dans l'opinion. "Avec peu d'éléments, elle a réussi à exister et à capter comment fonctionne le système médiatique. Elle a incarné", reconnaît Alexis Corbière, qui a débattu avec elle fin août 2022, aux universités d'été de La France insoumise. "Ce n'est pas parce que vous êtes des centaines et peut-être même des milliers aujourd'hui, et que je suis toute seule à défendre mes idées, que j'ai peur et que je vais m'asseoir ou que je vais partir", lâche-t-elle après une heure d'échanges avec le député LFI, face à une foule évidemment loin d'être conquise.
De retour aux affaires, Marlène Schiappa ne change pas sa méthode d'un iota : faire feu de tout bois, ne s'interdire de parler d'aucun sujet, surtout ceux dont elle s'est occupée par le passé. Interview fleuve et intime à Gala, mi-août 2022, lancement du service "Prévention écoute action" contre les violences sexistes et sexuelles au sein du parti Renaissance, fin septembre, démarrage d'un tour de France du bénévolat en octobre… Prolifique, la quadragénaire fait parler d'elle, dans un gouvernement où les figures médiatiques ne sont pas légion et où les grands portefeuilles ont des difficultés à trouver une incarnation solide. "Elle était parfaitement identifiée dans un collectif en manque d'incarnation", résume-t-on parmi ses proches.
Un premier gros couac avec la couverture de "Playboy"
Lors du premier quinquennat, Marlène Schiappa avait détonné en allant débattre chez Cyril Hanouna après la crise des "gilets jaunes" ou en lançant son compte TikTok, avec une communication plus directe que celle des autres membres du gouvernement. Mais entre les coups de communication et la provocation, la frontière est parfois mince. Elle est franchie au début du printemps. Sans demander l'autorisation à Matignon et l'Elysée, Marlène Schiappa pose pour Playboy et accorde une longue interview au magazine de charme. La macronie s'étrangle. "On est tous affligés, lâche alors une députée influente. Poser 'sexy dans le drapeau français'… A quel moment elle ou son équipe se sont dit que c'était une bonne idée et qu'il ne fallait prévenir personne ?" "Ils sont en train de sacrifier le peu de confiance que les Français avaient dans le politique", s'insurge un cadre de la majorité.
"Elle, elle contribue chaque jour un peu plus à la dévalorisation du politique. Hanouna, TikTok et j'en passe… Je ne comprends même pas qu’on l'ait remise au gouvernement."
Un cadre de la majorité, début avrilà franceinfo
Au sein de l'exécutif, l'affaire laisse des traces. "Emmanuel Macron a pété les plombs", se souvient une amie du président. Elisabeth Borne juge quant à elle que poser dans ce magazine n'était "pas approprié". Peu importent les critiques, même si elles viennent du plus haut niveau de l'exécutif, le camp Schiappa assume, jusqu'au bout. "Ce qui nuit à l'action du gouvernement, ce n'est pas faire la couverture de Playboy. Le retour d'Adrien Quatennens a moins fait scandale que ça, on a un problème de curseur", dénonce son amie de gauche Assia Benziane. Ses proches se targuent du succès de l'opération : "C'était sold out en trois heures !"
Dans la galère du fonds Marianne
La veille de l'annonce de la couverture polémique, c'est un autre coup dur, autrement plus sérieux, que doit encaisser Marlène Schiappa. France 2 et Marianne publient conjointement une enquête sur le fonds Marianne, lancé en avril 2021 après l'assassinat de Samuel Paty. Les deux médias révèlent de nombreux dysfonctionnements dans l'octroi et l'utilisation des 2,5 millions d'euros de crédits du dispositif. La machine s'emballe : une commission d'enquête du Sénat est créée pour faire la lumière sur ce fonds qu'avait ardemment défendu la ministre déléguée à la Citoyenneté pour lutter contre le séparatisme.
Une enquête du Parquet national financier (PNF) est ouverte début mai. Si elle ne vise pas Marlène Schiappa, celle-ci est mise en cause par les sénateurs, qui lui reprochent son rôle opaque dans l'attribution des subventions. Le 14 juin, la secrétaire d'Etat est auditionnée et se fait épingler pour l'absence de contrôle dont elle et son cabinet de l'époque ont fait preuve à propos du fonds Marianne. La France insoumise l'appelle à "démissionner". Dans l'opinion, son nom est associé aux dérives de ce fonds, structure politique à l'objet flou. Au sein de la majorité, ses adversaires l'étrillent, toujours anonymement. "Cette affaire, ça fout une ambiance de merde dans le groupe", regrette alors une députée Renaissance, qui l'invite à quitter le navire.
"C'est pénible pour elle, pour nous et surtout pour le président de la République. A un moment donné, en pleine conscience, si je sais que j'emmerde ma majorité, je pars."
Une députée Renaissance, mi-juinà franceinfo
Son avenir semble scellé : après le prochain remaniement, elle ne fera plus partie de l'équipe gouvernementale, parie la macronie. "Je pourrais mettre un billet sur le fait qu'elle parte, anticipait mi-juin une parlementaire. C'est la fin de quelque chose, il faut savoir s'arrêter, il n'y a rien de honteux." Un poids lourd de la majorité redoutait pourtant l'opiniâtreté d'"une punaise qui va rester jusqu'au bout", en l'éreintant : "Je ne l'ai jamais aimée, elle fait du mal à la politique. C'est une escroquerie intellectuelle depuis le début."
Que va maintenant faire Marlène Schiappa si elle ne peut plus "disrupter" au sein du gouvernement ? Dès novembre 2022, elle a affiché sa volonté de s'inscrire dans la campagne municipale de 2026 à Paris, pour laquelle les appétits macronistes sont plus qu'aiguisés. Avant cela, l'ancienne secrétaire d'Etat devrait véritablement lancer un projet en rapport avec l'égalité femmes-hommes. "Je pense qu'elle le remettra en route", glisse son amie Assia Benziane, sans en dire davantage. En revanche, il est plus difficile de l'imaginer redevenir ministre avant 2027 et le départ programmé d'Emmanuel Macron de l'Elysée. "C’est une fonction exposée et difficile", confiait-elle à Gala, en août dernier. Pour elle, cela relève désormais du passé.
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