Hydroxychloroquine, vaccins, homéopathie... Patrick Hetzel, un ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche aux positions scientifiques peu académiques

Article rédigé par Linh-Lan Dao
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Patrick Hetzel a été nommé ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche au sein du gouvernement Michel Barnier, le 21 septembre 2024. (JEREMIE FOURNIER / AFP / SCIENCE PHOTO / SYO / PHOTONONSTOP / AFP GETTY IMAGE)
Le député LR du Bas-Rhin a pris ces dernières années des positions à la marge du consensus scientifique, soutenant par exemple l'usage du traitement vanté par Didier Raoult durant la crise du Covid-19 ou défendant l'homéopathie, alors que leur efficacité n'était pas prouvée.

Une nomination qui interpelle. L'arrivée de Patrick Hetzel au ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, le 21 septembre, a suscité une vague de désapprobation au sein de la communauté scientifique ou dans le cercle politique. Le député LR du Bas-Rhin, qui connait déjà bien ce ministère pour y avoir travaillé comme directeur général de l'enseignement supérieur et de l'insertion professionnelle (DGESIP) entre 2008 et 2012, s'est prononcé plusieurs fois à rebours du consensus scientifique ces dernières années. Notamment en défendant l'usage de l'hydroxychloroquine pour soigner les patients atteints du Covid-19, ou en tentant de repousser le déremboursement de l'homéopathie.

Ses anciennes prises de position lui ont valu le récent soutien de figures de la désinformation, comme le chef d'entreprise Silvano Trotta ou Florian Philippot, dirigeant des Patriotes, qui présente, sur le réseau social X, Patrick Hetzel comme un "fan" du professeur Didier Raoult, en égrenant ses diverses déclarations polémiques ou en rappelant son hostilité à l'obligation vaccinale pendant la pandémie.

"On n'en peut plus de ces nominations de personnes qui ont un parcours qui va à l'opposé de ce que doit être la fonction. On ne peut pas, quand on est ministre de la Recherche, avoir des positions à l'opposé de la science", s'indigne Jérôme Marty, président du syndicat Union française pour une médecine libre (UFML-S).

"Il faut donner l'exemple. Et l'exemple, c'est de respecter la science."

Jérôme Marty, président de l'UFML-Syndicat

à franceinfo

"Quand on est professeur d'université, on s'oblige à respecter une certaine forme de rationalité", abonde Pierre Ouzoulias, archéologue, chargé de recherche au CNRS et vice-président du Sénat, qui vise en creux les prises de position du nouveau ministre durant la pandémie.

Farouche opposant à la politique sanitaire pendant la pandémie

Dans une lettre adressée à Emmanuel Macron le 2 avril 2020, et publiée sur X, Patrick Hetzel avait notamment plaidé pour une autorisation temporaire "de l'hydroxychloroquine (...) dans le traitement précoce du Covid, et ceci jusqu'à ce que soient connus les résultats des essais cliniques en cours". De quoi laisser certains scientifiques perplexes : "La seule façon de minimiser les risques, c'est de faire un essai clinique. Ceux qui disent le contraire ne veulent pas le bien des personnes", tranche Dominique Costagliola, épidémiologiste et directrice de recherche à l'institut Pierre-Louis. "On avait déjà en avril 2020 des essais de traitement à l'hydroxychloroquine sur des malades et des critiques avaient été soulevées", relève de son côté Jean-Michel Constantin, président de la Société française d'anesthésie et de réanimation (Sfar).

Aucune étude scientifique sérieuse n'avait conclu, à l'époque, à l'efficacité du médicament largement vanté par l'ex-directeur de l'IHU de Marseille Didier Raoult. A l'inverse, un mois après la requête de Patrick Hetzel auprès de l'Elysée, deux études avaient conclu à l'inefficacité de l'hydroxychloroquine contre le Covid-19.

Durant la pandémie, Patrick Hetzel s'est aussi opposé au port du masque obligatoire dès l'âge de 6 ans à l'école, faisant état d'"effets négatifs sur le développement et l'apprentissage des enfants ainsi que des effets psychologiques lourds", lors de questions au gouvernement. Cette mesure était pourtant recommandée par la Société française de pédiatrie et le Haut Conseil de la santé publique quelques mois plus tôt.

Le député alsacien s'est ensuite élevé contre le pass sanitaire, interpellant le ministre de la Santé de l'époque, Olivier Véran, en juillet 2021, sur le choix de le rendre obligatoire. Patrick Hetzel avait notamment évoqué des doutes et "un problème juridique" concernant les vaccins, alors en phase 3 de leur essai clinique. Un argument balayé par Dominique Costagliola. Selon elle, affirmer que les vaccins étaient alors "des produits expérimentaux à l'été 2021 est inexact sur le plan scientifique. (...) Les traitements antirétroviraux ont été autorisés avant la fin des essais cliniques, et ça a sauvé des vies", rappelle l'épidémiologiste.

"Des lunettes de 2024 pour juger ce qui a été dit en 2020"

"C'est une sortie de route", juge même Xavier Lescure, infectiologue à l'hôpital Bichat-Claude-Bernard, professeur de maladies infectieuses à l'université Paris-Cité. "C'est ennuyeux pour un ministre de la Recherche qui devrait incarner une approche rationnelle et rigoureuse", estime-t-il. En réalité, l'efficacité du vaccin contre le Covid-19 avait été démontrée dès mars 2021, notamment contre les formes graves de la maladie.

"Les sénateurs qui ont défendu ce genre de positionnement sont ceux qui appartenaient à l'extrême droite, un positionnement en rupture avec la rationalité scientifique et vaguement complotiste", relève Pierre Ouzoulias, admettant aussi que "des élus de gauche se sont compromis" sur l'hydroxychloroquine. 

"En ce qui concerne Patrick Hetzel, il y a une accumulation [de positionnements antiscience] qui fait qu'il y a une suspicion de principe."

Pierre Ouzoulias, sénateur PCF des Hauts-de-Seine

à franceinfo

Au regard de la levée de boucliers que sa nomination a suscitée, l'entourage du nouveau ministre, qui n'a pas répondu à nos sollicitations, demande aujourd'hui de "ne pas lui faire de procès en sorcellerie, en prenant des lunettes de 2024 pour juger ce qui a été dit en 2020", écrit Le Parisien. "Maintenant que les résultats des essais cliniques [sur l'hydroxychloroquine] sont connus, il n'aurait, forcément, plus la même appréciation du sujet", ajoute la même source auprès du quotidien. Mais les critiques ne se limitent toutefois pas à la thématique du Covid-19.

Un soutien à l'homéopathie et aux médecines alternatives

Sa position sur l'homéopathie est également dénoncée par la communauté scientifique. En octobre 2020, Patrick Hetzel a soutenu un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) visant à "créer un organisme spécifiquement dédié à l'évaluation des médecines complémentaires et alternatives dont l'homéopathie, ainsi qu'à la fixation d'un taux de remboursement".

Un mois plus tard, il a cosigné une proposition de loi visant à instaurer un moratoire de deux ans sur le taux de remboursement (15%) de l'homéopathie, plutôt que son déremboursement, afin de ne pas brusquer les industriels du secteur. Mais ces textes ont été rejetés et l'homéopathie, dont l'efficacité a été jugée "insuffisante" par la Haute Autorité de santé (HAS), n'est plus remboursée depuis janvier 2021. Pour rendre son avis, l'autorité sanitaire a passé au crible plusieurs études portant sur près de 1 200 médicaments homéopathiques. "Il y a un consensus scientifique pour dire qu'il ne faut pas prescrire de l'homéopathie. Au mieux ça ne sert à rien, au pire ça détourne d'un traitement utile", rappelle Jean-Michel Constantin, président de la Sfar.

En parallèle, le député s'est aussi battu pour faire reconnaître la maladie de Lyme comme maladie chronique à travers une proposition de loi déposée en septembre 2023. Pourtant, la chronicité de cette maladie reste controversée, reposant sur une hypothèse "non scientifiquement démontrée", dénonçait l'Académie de médecine en 2017.

Un supposé "dogme" de la "science officielle"

Plus récemment, lors du débat sur le projet de loi contre les dérives sectaires, Patrick Hetzel s'est prononcé contre un article visant à créer un délit de "provocation à l'abstention de soins" médicaux. Comme pour le pass sanitaire, il a d'abord évoqué une "raison juridique" avant de livrer une curieuse vision de la science. "Quand vous regardez comment se font les avancées scientifiques, très souvent, les ruptures de paradigmes (...) sont le fait de gens qui sont minoritaires. Donc faisons extrêmement attention, à vouloir là aussi développer, en quelque sorte, un dogme, qui serait celui d'une science officielle. Je pense que c'est extrêmement dangereux" avait-il averti devant l'Assemblée.

Une rhétorique antisystème qui n'est pas passée inaperçue. "Participer au débat sur l'article 4 du projet de loi sur les dérives sectaires [finalement adopté], sous-entendre que la science officielle relève du totalitarisme, et laisser le choix des médecines alternatives aux patients qui n'ont aucun discernement, je trouve ça embêtant. Surtout pour un ministre qui a dans son champ de compétences la recherche scientifique", déplore Pierre Ouzoulias.

"Je suis frappée de voir que chaque fois qu'il monte au créneau, c'est avec des raisonnements complotistes. Cette accumulation dresse le portrait de quelqu'un qui ne comprend pas comment on fait évoluer les connaissances dans le monde de la science."

Dominique Costagliola, épidémiologiste et directrice de recherche à l'institut Pierre-Louis

à franceinfo

"Il y a une cohérence dans ses prises de position : on sent une ligne très conservatrice, estime de son côté l'infectiologue Xavier Lescure.

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