Au Proche-Orient, Chirac a renoué avec la "politique arabe" de de Gaulle
Premier ministre puis président de la République, Jacques Chirac, mort le 26 septembre 2019, a entretenu avec le Proche-Orient une relation intense.
L'action de Jacques Chirac au Proche-Orient dégage une constante : la restauration d’une "politique arabe" de la France telle que l’avait voulue le général de Gaulle, dont il se réclamait. Une politique s’appuyant beaucoup sur des relations personnelles avec les dirigeants de la région.
L’image a fait le tour du monde. Le 22 octobre 1996, Jacques Chirac, nouvel hôte de l’Elysée, qui effectue sa première grande tournée diplomatique au Proche-Orient, se promène dans les vieilles rues de Jérusalem. Il est exaspéré par l’attitude de la sécurité israélienne qui bouscule les journalistes et empêche la population palestinienne de l’approcher. Soudain, il explose en français et en anglais devant des officiels israéliens médusés : "Qu’est ce qu’il y a encore comme problème ? Je commence à en avoir assez ! What do you want ? Me to go back to my plane and go back to France ? (...) This not a method, this a provocation" .("Que voulez-vous ? Que je retourne à mon avion et que je rentre en France ? (...) Ce n'est pas une méthode, c'est une provocation")
"Docteur Chirac"
Le lendemain, le président français est accueilli en héros dans les territoires palestiniens. L'incident résume, sans doute de manière un peu caricaturale, les relations de Jacques Chirac avec le Proche-Orient : volonté de mettre en place une "politique arabe", relations tumultueuses avec l’Etat hébreu, dans la tradition gaulliste. Une politique lancée lors d’un discours au Caire le 8 avril 1996.
Il y insiste sur la notion de "paix durable". Laquelle suppose que soient "respectés le droit du peuple palestinien et ses aspirations légitimes à disposer d’un Etat", et qu'"Israël soit assuré de vivre en sécurité". Il ajoute : "C’est le progrès vers l'affirmation de l'identité palestinienne qui permettra l'éradication définitive de menaces terroristes nourries par l'isolement et la frustration."
Ce langage ne peut que plaire au président palestinien, Yasser Arafat : "Nous avons besoin du docteur Chirac pour sauver le processus de paix et lui donner une nouvelle impulsion", explique-t-il. L'hôte de l’Elysée vu comme un médecin au chevet de la région…
Médecin presque au sens propre du terme… En 2004, le leader palestinien est hospitalisé en France, à l'hôpital militaire de Percy à Clamart (Hauts-de-Seine), où il meurt le 11 novembre 2004, à l’âge de 75 ans. Comme avec bon nombre d’autres leaders proche-orientaux, notamment l’Egyptien Hosni Moubarak, Jacques Chirac entretenait des relations personnelles avec Yasser Arafat : il l’aurait reçu une trentaine de fois entre 1995 et 2004 ! Selon les journalistes Christophe Boltanski et Eric Aeschimann, auteurs de Chirac d’Arabie (paru en 2006 chez Grasset), il se serait recueilli en secret devant le corps du défunt et serait sorti "de la salle en larmes".
Tout autant que ses positions diplomatiques, sa personnalité et son sens du contact, son côté affectif, dirons certains, ont séduit les Arabes, qui ont rarement l’occasion de côtoyer leurs propres dirigeants. "Quand je l'ai vu serrer les mains des enfants qui assistaient à l'inauguration de la bibliothèque d'Alexandrie, alors qu'Hosni Moubarak n'ose même pas descendre dans la rue dans son propre pays, je me suis dit : 'Quelle leçon !'", racontait la cinéaste égyptienne Asma el-Bakri dans Le Parisien en octobre 2002. Rien d’étonnant au fait qu’on trouve aujourd’hui une rue "Jack Chirac" à Ramallah…
Un certain Saddam Hussein
Ses relations personnelles avec des hiérarques du Proche-Orient ont parfois conduit l’ancien député de Corrèze à mettre en œuvre une politique qui se révèlera bien plus tard être une impasse. En 1975, Jacques Chirac est Premier ministre du président Valéry Giscard d’Estaing. Il accueille avec beaucoup d’"égards" (dixit Boltanski et Aeschimann) à Paris un certain Saddam Hussein, étoile montante dans son pays, l’Irak, dont ce déplacement dans l’Hexagone aurait été le premier et le seul voyage à l’étranger.
Apparemment, le courant passe bien entre les deux hommes. Ce qui conduira Saddam en 1995, après l’arrivée du Français à l’Elysée, à parler d’un "ami de 20 ans" à qui il rappelle "l’action commune que nous (avons) menée tous les deux (…) pour l’édification de relations spéciales entre l’Irak et la France". Quoi qu’il en soit, à l’issue du séjour à Paris du futur dictateur, les deux pays entament une coopération nucléaire qui va conduire à la construction par la France d’un réacteur nucléaire en Irak, Osirak.
Cet accord nucléaire est "le premier pas concret vers la production de l’arme atomique arabe", déclare un peu plus tard l’homme fort de Bagdad dans une interview à un journal libanais. Cette volonté affichée ne peut qu’inquiéter l’Etat hébreu : Osirak sera détruit partiellement par un raid de l’armée israélienne en 1981.
Jacques Chirac a eu beau jeu de se défendre en rappelant que les "bonnes relations" entre les deux pays ont été confirmées par ses successeurs à Matignon et son prédécesseur à l’Elysée, François Mitterrand. Elles "se sont traduites par des ventes d’importants matériels militaires, justifiées alors par la guerre entre l’Iran et l’Irak" (1980-1988), explique-t-il en 1990, juste après l’invasion du Koweït par Bagdad, qui va conduire à la première guerre du Golfe.
Dialogue avec l'Iran
Autre pays de la région auquel s’intéresse Jacques Chirac : le Liban. Il entretient des relations d’amitié très fortes avec l’ancien Premier ministre du Pays du cèdre, Rafic Hariri, assassiné en 2005. Il a été le premier président français à y effectuer une visite officielle. Il œuvre pour la mise en place d’un tribunal "à caractère international" pour juger les responsables de l’assassinat de son ami. Et sa diplomatie est très active lors des affrontements entre Israël et le Hezbollah pendant l’été 2006.
D’une manière générale, l’hôte de l’Elysée a toujours été partisan de maintenir un dialogue, même difficile, avec tous les pays de la région proche-orientale et moyen-orientale. En 2003, il envoie ainsi son ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, à deux reprises en Iran. Alors que la République islamique se heurte déjà avec les Etats-Unis à propos de son programme nucléaire.
La seconde fois, Villepin, soucieux de "trouver une solution à la crise" (Le Figaro), s’y rend avec ses homologues allemand et britannique. "Les Américains étaient plus que mécontents d'être arrêtés dans leur élan. (…) C'est ainsi que ce trio de ministres a débarqué le 21 octobre 2003 à Téhéran, donnant publiquement le coup d'envoi d'une négociation qui ne devait jamais s'arrêter, malgré bien des cahots, des sorties de route et des transformations de format, jusqu'à l'accord du 14 juillet 2015", rapporte Le Figaro.
"Un vieux pays, la France…"
Le fait de vouloir privilégier la diplomatie conduit le président français à s’opposer une nouvelle fois aux Etats-Unis, comme à l’époque du général de Gaulle. En l’occurrence lors de la crise irakienne de 2002-2003. Il confie à Dominique de Villepin "le soin de mener la bataille diplomatique à l'ONU" avant de brandir la menace d’un véto. Le 14 février 2003, le ministre prononce un discours dans la plus pure tradition gaullienne, qui restera dans les annales et les mémoires. Au nom de la France, il dit refuser l’invasion de l’Irak par les Etats-Unis, et la guerre qui s’annonce.
"La lourde responsabilité et l'immense honneur qui sont les nôtres doivent nous conduire à donner la priorité au désarmement dans la paix. Et c'est un vieux pays, la France, d'un vieux continent comme le mien, l'Europe, qui vous le dit aujourd'hui, qui a connu les guerres, l'occupation, la barbarie. Un pays qui n'oublie pas et qui sait tout ce qu'il doit aux combattants de la liberté venus d'Amérique et d'ailleurs. Et qui pourtant n'a cessé de se tenir debout face à l'Histoire et devant les hommes."
Quel bilan ?
La presse anglo-saxonne se déchaîne. Le New York Post traite les Français de "lâches", tandis que le Sun, le tabloïd britannique, traite "Chirac de 'putain de Saddam'''. Mais ailleurs dans le monde, on salue souvent la position de la France. L’hôte de l’Elysée est ainsi perçu comme celui qui ose publiquement défier "l’hyperpuissance" américaine (selon le fameux propos d’Hubert Védrine). Une hyperpuissance dont l’action va déstabiliser tout le Proche-Orient.
Il n’en reste pas moins qu’à l’heure du bilan, la politique de Jacques Chirac est parfois sévèrement jugée par les observateurs. Cette politique "reste entachée du soupçon - justifié - de n'être qu'une tentative de ressusciter une grandeur perdue. Au mieux, une irrépressible nostalgie; au pire, une pulsion néocoloniale. (…) Une nouvelle page de la diplomatie française est à écrire, moins tonitruante, plus efficace. (…) Une diplomatie (…) moins inféodée aux dirigeants", expliquent ainsi Boltanski et Aeschimann.
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