De sa démission du gouvernement au haut-commissariat au Plan, comment François Bayrou est revenu sur le devant de la scène
L'ancien candidat à l'Elysée, fidèle soutien du président Macron, sera chargé de réfléchir aux grandes priorités pour le pays dans les décennies à venir.
La nouvelle est désormais officielle. François Bayrou effectue son retour à l'avant-scène de la politique nationale, jeudi 3 septembre, en prenant la tête d'un haut-commissariat au Plan, un outil de prospective ressuscité par le gouvernement après avoir été en vigueur de 1946 à 2006. Le président du MoDem, qui avait été contraint de quitter le ministère de la Justice en 2017, effectue ainsi un retour inespéré au plus près du pouvoir.
Réélu en juin dernier, le maire de Pau, qui souhaite rester à la tête de sa ville et exercer sa nouvelle fonction à titre bénévole, va désormais s'attacher à définir les priorités et les grandes évolutions du pays pour les décennies à venir. Franceinfo revient sur le "come-back" de l'ancien candidat à la présidentielle, figure historique du mouvement centriste, qui s'est imposé comme un incontournable dans le premier cercle des fidèles d'Emmanuel Macron.
Il s'est fait discret en raison de ses ennuis judiciaires
Au début du quinquennat, François Bayrou, 69 ans, a été contraint de quitter le gouvernement après 34 jours comme garde des Sceaux, en raison de l'ouverture d'une enquête préliminaire sur les soupçons d'emplois fictifs concernant des assistants de députés européens du MoDem. Dans cette affaire, les magistrats cherchent à déterminer si des collaborateurs parlementaires ont été rémunérés par les fonds du Parlement européen alors qu'ils étaient en réalité affectés à d'autres missions pour le MoDem. En décembre 2019, François Bayrou a même été mis en examen, comme une douzaine de responsables du mouvement, pour "complicité de détournement de fonds publics".
S'il reste présumé innocent, cette mise en examen semblait empêcher le retour au premier plan du leader centriste, longtemps présenté comme un premier-ministrable. Mais François Bayrou a su attendre. Il a conservé son influence auprès de l'exécutif et sa récente réélection à la mairie de Pau avec plus de 55% des suffrages montre qu'il n'a pas perdu la confiance de ses électeurs. "La vérité, c'est qu'il n'a jamais quitté le jeu politique, ni le premier cercle macroniste", explique au Parisien* un soutien du président.
"Qui imagine le haut-commissaire au Plan mis en examen ?" se moque désormais dans Le Monde* Julien Bayou, secrétaire national d'EELV. "Il y a toujours un risque" de voir le dossier judiciaire perturber le maire de Pau, confie à franceinfo le député MoDem Erwan Balanant. "Mais il ne sera pas dans l'exécutif ou au gouvernement, rappelle le parlementaire. Et puis, ce serait bien que la justice avance un peu plus vite pour que l'on purge ce sujet."
Il est devenu un partenaire incontournable de la majorité
Pour François Bayrou, il était hors de question de rester à l'écart dans la dernière ligne droite du quinquennat. Le patron du MoDem sait que son parti est devenu un allié incontournable de La République en marche, qui a perdu récemment la majorité absolue à l'Assemblée.
Les 46 députés du MoDem sont désormais un peu plus qu'une force d'appoint de la majorité. "Peut-être qu'on pèse un peu plus, oui. Mais on a toujours eu une importance, un rôle pivot", estime Erwan Balanant, député du Finistère. Le parti centriste est parvenu à garder ses positions dans le nouveau gouvernement de Jean Castex, tout en conservant ses trois ministres : Jacqueline Gourault, Geneviève Darrieussecq et Marc Fesneau. Comme le rappelle Le Figaro*, François Bayrou avait menacé l'exécutif de ne pas participer au gouvernement si ses proches se voyaient écartés.
Il a toujours gardé l'oreille du président de la République
Depuis le début du quinquennat, Emmanuel Macron consulte régulièrement François Bayrou à chaque étape importante, que ce soit lors des remaniements ou pour décider, par exemple, du maintien ou du report des élections municipales. Le président de la République n'a jamais oublié l'aide décisive apportée par François Bayrou lors de la présidentielle et il a toujours exprimé un soutien indéfectible à son ancien ministre, y compris après sa mise en examen. Le chef de l'Etat avait alors fait savoir par son entourage qu'il nourrissait "un sentiment d'amitié pour François Bayrou" et qu'il continuerait d'échanger "régulièrement" avec lui. Dans Le Parisien, un proche du chef de l'Etat évoque même un "rôle occulte de conseiller permanent à l'Elysée".
Emmanuel Macron s'est d'ailleurs réjoui vendredi dernier de l'arrivée de ce fidèle à la tête du haut-commissariat au Plan. "C'est tout sauf un lot de consolation, c'est une responsabilité importante" et "j'écrirai moi-même sa lettre de mission", a expliqué le président, en saluant "l'expérience" de l'ancien ministre, "grand responsable politique" et "européen convaincu".
Finalement, le haut-commissariat au Plan ne sera pas rattaché à l'Elysée, comme le voulait François Bayrou, mais aux services du Premier ministre. Un conseiller ministériel évoque dans Le Monde* "une guerre Castex-Bayrou", notamment parce que le président du MoDem réclamait que les différentes agences chargées de la prospective soient sous son autorité. Mais selon Erwan Balanant, il n'y a aucune "hostilité". "François Bayrou aurait sans doute aimé être rattaché à l'Elysée afin de montrer les liens forts qui l'unissent à Emmanuel Macron, mais c'est finalement assez logique qu'il soit rattaché à Matignon, estime le député MoDem. Personne n'est dupe sur le fait que cela n'empêchera pas les conversations entre François Bayrou et Emmanuel Macron de se poursuivre."
Il s'est taillé un costume sur mesure
L'idée de remettre au goût du jour ce haut-commissariat au Plan est revenue au printemps, dans le contexte de la pandémie mondiale de Covid-19. Le manque de masques ou de médicaments, par exemple, a ravivé l'idée de souveraineté économique, rappelle Le Monde. En annonçant la nécessité pour l'Etat de disposer d'une "instance qui réfléchit à plus long terme et avec moins de contraintes", Emmanuel Macron a aussitôt désigné son candidat pour cette mission : "[François Bayrou] y a beaucoup réfléchi, il a d'ailleurs écrit lui-même sur ce sujet (…) c'est une conviction qu'il porte."
Il est "la bonne personne pour analyser les faiblesses du pays et le projeter dans l'avenir", confirme à l'AFP le chef de file du groupe MoDem à l'Assemblée, Patrick Mignola, selon qui "la planification" est l'un des combats du leader centriste.
"Cette nomination, c'est une façon d'utiliser ses compétences, sa vision en dehors du gouvernement" où il est "empêché", en raison de sa mise en examen.
C'est une façon de l'impliquer dans la marche du pays et, parce qu'il a une surface politique, ses observations seront plus entendues.
Patrick Mignola, président du groupe MoDem à l'Assembléeà l'AFP
Dans son livre-programme publié avant l'élection présidentielle de 2012, François Bayrou plaidait effectivement déjà pour la nomination d'un haut-commissaire au Plan. "C'est un sujet sur lequel il travaille depuis longtemps, cette idée de se fixer un cap sur le long terme. Je me souviens que lors de la campagne présidentielle de 2012, il proposait un 'ministre des générations futures'", ajoute Erwan Balanant. Cela va permettre un portage politique de ces sujets. France Stratégie [l'ancienne instance de prospective qui va être dissoute dans le nouveau haut-commissariat] travaillait très bien, mais il y avait un manque d'incarnation."
Il y a quelques jours, François Bayrou s'est, en tout cas, dit "prêt" pour le poste de haut-commissaire, dans une interview accordée à La République des Pyrénées où il esquisse sa feuille de route. "Ce qui est vital doit être protégé. Encore faut-il déterminer ce qui est vital et imposer aux décideurs et à l'opinion publique de se saisir des problèmes qui méritent une réponse à 10, 20 ou 30 ans et non pour 10, 20 ou 30 jours."
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