: Récit franceinfo On a suivi pendant un mois les premiers pas de Louis Boyard, jeune député LFI "en mission" à l'Assemblée
A 21 ans, Louis Boyard est le deuxième plus jeune parlementaire de l'histoire de la Ve République.
"Je mets les pieds un jour en séance, et c'est déjà le bordel..." Louis Boyard expire la fumée de sa cigarette tout en travaillant sur la déclaration qu'il souhaite faire aux journalistes. "J'invite à ne pas serrer la main au Front national", martèle le jeune député de La France insoumise sous le regard de ses collaborateurs parlementaires, réunis dans la cour Montesquieu du Palais-Bourbon. A 21 ans, et même s'il "n'aime pas qu'on parle de son âge", le jeune élu du Val-de-Marne a attiré l'attention, le 28 juin, après avoir refusé de serrer la main à certains élus du Rassemblement national.
Lors du vote pour la présidence de l'Assemblée, le deuxième plus jeune parlementaire de l'histoire de la Ve République (il est devancé de quelques semaines par son camarade polynésien Tematai Le Gayic) s'est retrouvé exposé à la tribune en tant que secrétaire de séance, chargé de veiller au bon déroulement du scrutin. Il a salué la plupart des élus RN, mais a refusé la main tendue de Philippe Ballard, porte-parole du parti d'extrême droite. "Je ne connaissais pas encore toutes les têtes", sourit-il. Le député de la Nupes assure que si c'était à refaire, il repousserait toutes les mains venues du RN.
"Ça va les faire enrager encore plus"
La séquence a déclenché l'ire de l'extrême droite. Dans une lettre ouverte publiée dans Valeurs actuelles (lien abonné), Philippe Ballard lui reproche de ne pas "respecter la fonction" de député. "CNews en a même fait un plateau", s'exaspère de son côté Louis Boyard. Au lendemain de l'épisode, l’ancien président du syndicat UNL (Union nationale lycéenne) prépare donc sa riposte. "Ce serait dommage de s'arrêter là." Pour l'occasion, il a même acheté un pantalon noir et une chemise blanche. "J'aimais bien ma chemise bleue, mais je me fais traiter de 'zadiste débraillé' par Jordan Bardella sur Twitter", rigole-t-il.
"Voilà ce que ça fait d'être un jeune député, tu te retrouves avec un truc qui te paraît simple à la base et qui devient un enjeu politique."
Louis Boyardà franceinfo
"J'aimerais rappeler que le FN est un virus", s'entraîne Louis Boyard. "Non, reste plutôt sur le terme de pandémie", conseille l'un de ses collaborateurs. "J'adresse le message et je pars directement, hein ?, interroge le député. Je pense que ça va les faire enrager encore plus à l'extrême droite..."
A 14 heures, le benjamin de l'Assemblée se rend dans la salle des quatre colonnes, lieu de rencontre entre journalistes et députés, mais peu de caméras sont revenues de la pause-déjeuner. "On va attendre qu'il y ait un peu plus de monde", souffle Ismaël El Hajri, son collaborateur de 26 ans chargé notamment des relations avec la presse. Le jeune élu revient quelques minutes plus tard pour une deuxième tentative. Cette fois, il parvient à capter l'attention. "Face au Rassemblement national, on respecte les gestes barrière."
.@l_boyard explique pourquoi il ne serre la main aux élus RN : "Nous sommes face à une pandémie, il faut prendre ses précautions... une pandémie de racisme, d'antisémitisme, d'islamophobie ! (...) Pourquoi ce qui était anormal il y a 20 ans est normal aujourd'hui ?" #DirectAN pic.twitter.com/FKXApeKd34
— LCP (@LCP) June 29, 2022
Objectif atteint : les images sont largement relayées sur les réseaux sociaux. "Et si on lançait un hashtag ?", se demande Ismaël El Hajri. Au-delà du coup médiatique, le député LFI assume son geste jusqu'au bout. "Entre le RN et moi, c'est une longue histoire de détestation. J'ai été élu pour pouvoir combattre ces gens et j'ai beaucoup de mal à considérer qu'ils font partie du champ républicain."
"Il y a des gens dans les quartiers qui les entendent parler et qui subissent la violence de leurs propos !"
Louis Boyardà franceinfo
Il est désormais bien identifié au milieu des ténors de son parti. "Incroyable, Louis Boyard est toujours sur son histoire de serrage de main", taquine Mathilde Panot, la présidente du groupe LFI, en venant saluer son jeune collègue. Ce dernier a conscience de ne pas s'être fait que des amis. "Je suis allé à la buvette de l'Assemblée, et un collègue me dit : 'Tout le monde te regarde !' Il y avait un rang de députés RN dans mon dos qui me fixait", raconte-t-il. Avec la lumière, viennent les premiers courriers. "T'as reçu ta petite lettre anonyme ?, interroge la députée LFI Ségolène Amiot. Ils ont mis ta tête sur le corps de Passe-Partout." Plus inquiétant, les premières menaces de mort ont commencé à arriver sur les réseaux sociaux.
La découverte de l'Assemblée
"Ça fait quatre jours, mais on a l'impression que ça fait un mois", confie l'élu, en débriefant ses premiers jours de mandat. "J'ai accepté de ne plus avoir de week-end, mais il faut que je trouve le temps de retourner à la salle de sport." Il commande une cannette de Red Bull et évoque son impatience. "C'est une première semaine frustrante, avec de l'administratif et beaucoup d'interviews. Moi j'ai envie de batailler tout de suite. Je sors d'une campagne où les gens nous ont dit : 'On compte sur vous pour changer les choses.'"
"Face au dérèglement climatique, à la précarité étudiante, aux questions de genre, de racisme... Je n'ai pas le choix, il faut se battre."
Louis Boyardà franceinfo
"Louis, il est en mission", observe Ismaël El Hajri. Le jeune député, fils de cheminot, a grandi avec deux frères entre la Vendée et la banlieue parisienne. Il aime rappeler qu'il ne partait pas favori dans la 3e circonscription du Val-de-Marne. "Ma circo n'était pas considérée comme gagnable", assure l'étudiant en droit. Il ratisse le terrain, organise des barbecues et profite de la division des droites locales pour faire tomber le député sortant Laurent Saint-Martin, la tête de liste LREM aux dernières régionales en Ile-de-France. Au lendemain de sa victoire, le 20 juin, le téléphone ne cesse de sonner. Les médias se le disputent. Et tout s'accélère.
"Mardi, je me retrouve dès le matin avec BFM en bas de chez moi, qui voulait me suivre, et je me rends aux 4 Vérités sur France 2." Il file ensuite au Palais-Bourbon où une vingtaine de journalistes l'attendent pour une conférence de presse, avant d'entamer un parcours du combattant administratif. Le député et l'Assemblée apprennent à mieux se connaître. "Un fonctionnaire vient me voir, très respectueux, et me dit : 'Monsieur, est-ce que vous pouvez garder votre badge bien en évidence pour la santé mentale de mes équipes...' Quand mon badge est retourné, j'ai l'air d'un collaborateur parlementaire", admet-il.
"Un député de 21 ans, c'est vrai que ça n'a aucun sens quand on y pense. Mais trop jeune ou pas, je suis là."
Louis Boyardà franceinfo
Il passe par la case photos, se rend au bureau des transports, choisit un iPhone 13 à la téléphonie et découvre l'efficacité du bureau de poste de l'Assemblée qu'il rêve désormais de voir implanté partout sur le territoire. "La première semaine, on t'explique tous tes privilèges en fait. C'est vrai qu'il faut être efficace, se déplacer facilement... Mais bon, je pense que le salaire des députés [5 680 euros nets environ] pourrait être divisé par deux. Je ne devrais peut-être pas dire ça ?", hésite-t-il en se tournant vers son conseiller.
Il assume. "Les parlementaires ont un rapport trop privilégié, un peu monarchique, par rapport à ce que vivent les Français. Il est normal que les députés gagnent de l'argent, mais être à ce point protégé et mis dans un cocon, quand on sait à quel point le peuple souffre..."
"Ma vie a changé aujourd'hui. Je sais comment rembourser mon prêt étudiant, je ne suis plus précaire. Mais il faudrait qu'il n'y ait plus d'étudiant précaire."
Louis Boyardà franceinfo
Son groupe lui explique aussi le fonctionnement de l'AFM (l'avance de frais de mandat) d'un montant de 5 373 euros par mois, qui permet de régler les frais de représentation. Pas toujours facile de s'y retrouver. "Un collègue m'a conseillé : 'Tu te demandes : est-ce que j'aurais fait cette dépense si je n'étais pas député ?'" Il peut s'appuyer sur les attachés parlementaires dédiés au groupe LFI. "Ils nous envoient des notes pour nous aider et faire en sorte qu'on ne soit pas perdus."
"Je ne suis pas comme un poisson dans l'eau, mais j'ai une bouée."
Louis Boyardà franceinfo
Il faut dire qu'à 21 ans, il se retrouve à la tête d'une petite PME. "Je n'aime pas faire les entretiens d'embauche, ce n'est pas agréable", confie-t-il, après avoir choisi la troisième personne pour compléter son équipe.
"Financièrement, j'ai été au fond du trou"
Louis Boyard a acquis sa petite notoriété ces dernières années en tant que chroniqueur aux Grandes Gueules de RMC et dans l'émission Touche pas à mon poste ! sur C8. "Est-ce qu'il est gentil Cyril Hanouna ?", lui demande un patron de café au moment de l'addition. Quand il retourne dans sa circonscription, ce 8 juillet, il accepte volontiers les selfies. "Félicitations !", lui lance un garçon de 17 ans, avant de prendre la pose, aux abords du chantier du lycée Georges-Brassens, à Villeneuve-le-Roi.
L'établissement, fréquenté par le député il y a quelques années, a été en partie détruit pour être rénové. Le jeune militant y a fait ses premières armes, lors de journées de blocage pour protester contre la présence d'amiante dans les murs de l'établissement. "Là, c'est l'endroit où on mettait les caddies de l'Intermarché pour bloquer l'entrée...", montre-t-il. Toutes les cinq minutes en moyenne, il est interrompu par le bruit du passage d'un avion. Orly est tout près. "On aimerait faire baisser le nombre de passages dans le couloir aérien."
L'ancien d'Ablon-sur-Seine fait visiter ses rues, son arrêt de bus, son coiffeur ou encore le restaurant kebab où il avait ses habitudes. C'est dans ces années-là qu'il s'est brièvement essayé au deal. L'anecdote, racontée sur le plateau de Cyril Hanouna, lui vaut depuis d'être régulièrement attaqué par la droite. "Financièrement, j'ai été au fond du trou. Mais les gens, ils savent bien que je ne suis pas Tony Montana", raconte-t-il sans s'attarder sur le sujet. Il reprend la visite. "Là, c'est le local qu'on envisage pour la permanence parlementaire", désigne l'élu. "Ouais, mais 100 m2, je trouve ça un peu grand", soulève Ismaël El Hajri.
En attendant, il a de grands projets pour sa circonscription et souhaite notamment servir de relais aux associations. "J'ai le beau label de l'Etat qui peut permettre d'accélérer certains dossiers", explique-t-il, lors d'une rencontre avec l'association "Femmes solidaires de Villeneuve-Saint-Georges et d'ailleurs".
L'association s'est fait connaître en assurant une médiation pour contenir la violence entre bandes rivales, mais propose aujourd'hui différentes actions comme du soutien scolaire ou des formations à l'informatique. "Tout a été informatisé, comment font les gens avec la barrière de la langue et la barrière technologique ?", demande la présidente de la structure. "Les services publics ici, c'est vous", constate avec amertume le député.
"Tenir tête"
Retour à l'Assemblée, mardi 12 juillet, où le député tente de prendre possession de ses bureaux. Problème, le lieu, qui lui a été attribué par son groupe, est déjà occupé par une parlementaire de la majorité, qui refuse de partir. "C'est un scandale ! C'est une honte", hurle dans les couloirs la députée de 77 ans qui occupe la pièce depuis dix ans. "On m'avait parlé de squatteurs, mais je n'y croyais pas, s'amuse le député insoumis. Mais j'aurais le bureau, ne vous inquiétez pas. Je suis têtu." Il finit par obtenir gain de cause deux jours plus tard.
Il va maintenant pouvoir se concentrer sur les travaux dans l'hémicycle, où la majorité relative d'Emmanuel Macron cherche déjà des compromis sur les premiers textes du quinquennat, à commencer par le projet de loi sanitaire. Les oppositions n'hésitent pas à chahuter le gouvernement. La législature s'annonce mouvementée. "Une Assemblée, c'est vivant. Mais il va falloir que collectivement, on fasse attention au niveau de provocation qu'on met en place, et notamment vis-à-vis de la majorité, juge Louis Boyard. Je vais être respectueux de l'institution mais je n'aurais pas un discours tout lisse." Il a retenu les mots de Jean-Luc Mélenchon l'invitant "à tenir tête".
"Tout ce côté formel, protocolaire de l'Assemblée, ça t'encourage à te lisser, c'est tentant... mais il faut résister au côté obscur de la force."
Louis Boyardà franceinfo
L'ancien "gilet-jaune" a hérité de la place 630, "une des plus à gauche" dans l'hémicycle, note-t-il avec malice. Il va par ailleurs siéger à la Commission des Affaires étrangères. "Chaque député du groupe a donné ses préférences et on a fait une sorte de Parcoursup de la commission, explique-t-il. Mon premier choix, c'était l'Education, mais je suis quand même content et ça ne m'empêchera pas de parler de jeunesse et d'éducation..."
Le novice aurait d’ailleurs aimé poser une question sur le "pouvoir d’achat et la jeunesse", lors de la première séance de Questions au gouvernement. Son groupe ne l'a pas choisi parmi les quatre orateurs du jour, mais il compte bien retenter sa chance la semaine suivante, le 19 juillet. Et s'il n'est pas sélectionné ? "Ce n’est pas grave. Il y aura bien d’autres occasions pendant le quinquennat, se rassure-t-il. Le plus important, c’est de garder la cohésion du groupe. Il faut la jouer collectif."
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