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Tweets sexistes, clavecin et arts martiaux : Joachim Son-Forget, le député qui a quitté LREM au nom de "l'impertinence"

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Le député Joachim Son-Forget, à l'Assemblée nationale, à Paris, le 21 février 2018. (JACQUES DEMARTHON / AFP)

A 35 ans, le député des Français de Suisse et du Liechtenstein, sous le feu des critiques depuis ses attaques visant une sénatrice écologiste, a annoncé quitter La République en marche pour lancer son propre mouvement.

"Je rêve de péter le solo de guitare de Stairway to Heaven au Stade de France la veille de mon arrivée à l'Elysée." Ce tweet de Joachim Son-Forget, député des Français de Suisse et du Liechtenstein, résume sa façon de communiquer sur les réseaux sociaux : sans filtre, sans langue de bois, loin des tournures policées. L'élu a annoncé, mercredi 2 janvier, la création de son propre parti Je suis français et européen (JFSee) après avoir claqué la porte de La République en marche à la fin décembre.

Joachim Son-Forget était sous le feu des critiques jusque dans son propre camp après avoir attaqué la sénatrice Esther Benbassa dans une très longue série de tweets sexistes.

Pas de quoi calmer ses ardeurs. Il a préféré en rire, comme le montre sa réponse au tweet de franceinfo.

"A quoi ça sert de prendre des gens de la société civile s'ils n'ont plus le droit d'expliquer ce qu'ils étaient dans la société civile et qu'ils ressemblent à des photocopies les uns des autres ?" s'est-il défendu auprès de franceinfo. Si l'élu souligne qu'il vient de la société civile, c'est parce qu'à 35 ans, ce père de deux enfants issus de deux unions a déjà un parcours foisonnant.

"Des élèves comme lui, on n'en a qu'un dans une vie"

Avant d'être député, Joachim Son-Forget est médecin-radiologue, spécialiste du cerveau. Il pratique en Suisse, où il réside, au centre hospitalier universitaire vaudois. En parallèle de sa formation de médecin, il est passé par l'Ecole normale supérieure et s'est passionné pour les sciences cognitives. Outre ses activités scientifiques, il joue du clavecin à un niveau semi-professionnel et donne des représentations pour des œuvres caritatives, comme ici lors d'un concert de bienfaisance "Aidons la Syrie", à Genève (Suisse).

Son professeur de piano, Daniel Fulton, est devenu l'un de ses amis. Contacté par franceinfo, il évoque un "très bon pianiste" et un adolescent "brillantissime", "curieux de tout", avec lequel il aimait passer des après-midi. "Je ne faisais pas payer mes leçons, c'était un plaisir de l'avoir. Des élèves comme lui, on n'en a qu'un dans une vie", raconte le musicien qui vit à Chaumont, en Haute-Marne.

Adopté à neuf mois

C'est dans ce département qu'a grandi Joachim Son-Forget, né à Séoul (Corée du Sud), en 1983, sous le nom de Kim Jae-duk. Abandonné sur un trottoir à l'âge de 3 mois, il a été adopté par une famille française six mois plus tard avant d'être élevé à Langres, par les Forget, dans une fratrie de quatre enfants, eux aussi adoptés. Le nom composé qu'il porte aujourd'hui vient de son mariage : "Son, c'est le nom de mon épouse, qui est d'origine coréenne. Et Forget, c'est mon nom français. Quand on s'est mariés, j'ai trouvé plutôt élégant et agréable de garder les deux noms", a-t-il expliqué au magazine What's Up Doc.

Dès son plus jeune âge, le petit Joachim a développé une aversion pour le système scolaire. Il a alors suivi les cours seul, à la maison, tout en lisant les livres de Henry Plée, maître des arts martiaux qui a notamment importé le karaté en Europe. Entre piano et arts martiaux – qu'il pratique dans sa chambre en regardant des cassettes VHS –, il décroche son baccalauréat "avec de sales notes sauf en musique, où j'ai eu un 18/20", raconte-t-il au quotidien suisse Le Temps.

"Fougue" et "humeur joviale"

Après le bac, lors de ses études supérieures entre Paris et Dijon, il rencontre enfin Henry Plée qui devient "l'un de ses mentors", assure-t-il au magazine Charles. Au cœur de la capitale, dans le 5e arrondissement, il assiste alors aux cours du fils de son idole, Pascal Plée. Ce dernier ne garde que de vagues souvenirs de Joachim Son-Forget mais évoque auprès de franceinfo un jeune homme "plutôt réservé et timide".

Là-bas, au dojo de la Montagne Sainte-Geneviève, il fait la connaissance de Patrick Bandiera, actuellement professeur de qi gong et de tai-chi. Les deux hommes se lient d'amitié et l'étudiant en médecine – également ceinture noire de karaté – devient, en 2006, l'assistant de Patrick Bandiera dans le club qu'il fonde à Dijon (Côte-d'Or). Il se rappelle d'un "très bon pratiquant, souple et rapide", avec "beaucoup de fougue et de volonté".

Il a toujours réussi tout ce qu'il a entrepris. Et quand il se lance dans quelque chose, il va jusqu'au bout.

Patrick Bandiera, professeur d'arts martiaux chinois

à franceinfo

Cette fougue, Marie-Martine Padeano, la chirurgienne qui a supervisé ses études de médecine à Dijon, en a aussi été témoin. "Il lui arrivait déjà de débarquer au bloc avec sa planche de skate, il y a dix ans", raconte-t-elle dans les colonnes du Point. A l'Ecole normale supérieure, à Paris, un camarade de promotion dit à franceinfo se souvenir de "sa nature joviale et de son intelligence".

Citoyen kosovar

Une fougue qui l'emmène au Kosovo en 2009 lors de son internat de médecine. Un coup de cœur. Sous le charme, il va retourner souvent dans ce pays des Balkans où il devient l'ami d'un étudiant du même âge, Qëndrim Gashi, actuel ambassadeur du Kosovo en France.

Il était très intéressé par les Balkans. Il a beaucoup aidé de jeunes artistes kosovars et a favorisé l'avancée de la francophonie au Kosovo.

Qëndrim Gashi, ambassadeur du Kosovo en France

à franceinfo

L'ambassadeur souligne que Joachim Son-Forget "parle très bien albanais avec un accent kosovar", en plus du slovène, du croate et de l'hébreu qu'il maîtrise également. "C'est quelqu'un de très intelligent, qui a beaucoup de talent", abonde le diplomate.

Joachim Son-Forget a même obtenu, en juin 2018, la nationalité kosovare et a été décoré de la médaille présidentielle du Kosovo pour son "engagement" auprès de la population de ce petit pays. Un événement partagé par le président du Kosovo sur Twitter.

Du PS à La République en marche

Décidé à "changer la société vers un mieux", comme il l'explique à franceinfo, Joachim Son-Forget s'intéresse à la politique et soutient François Hollande lors de la campagne de 2012. Il signe, en 2015, la motion B (PDF) du frondeur Christian Paul. Ce dernier confie à franceinfo n'avoir aucun souvenir de lui. Luc Carvounas, proche de Manuel Valls, se rappelle, lui, du jeune Joachim. Et il ne mâche pas ses mots.

Je croisais à peine cet énergumène quand il cherchait à entrer dans les réseaux de Manuel Valls. Je ne l'ai jamais trouvé clair et je l'ai toujours tenu à l'écart de tout. J'ai eu raison.

Luc Carvounas, député PS

à franceinfo

Ce passage au PS dégoûte presque Joachim Son-Forget de la politique. "Des gens passaient leur temps à se tirer dans les pattes, et très franchement c'était une mauvaise expérience humaine", a-t-il déclaré, en 2017, au Petit Journal, une publication à destination des expatriés francophones. Mais il rencontre Emmanuel Macron en avril 2016 et devient l'un de ses premiers soutiens. Il est séduit par le personnage mais aussi par son positionnement progressiste sur les questions de société et en même temps libéral sur le plan économique. Le projet présidentiel de "libération des énergies" créatrices lui parle. "Ce n'est pas grâce aux politiques que l'on a l'électricité, le paratonnerre, la télé, la TNT, la 4G... Il faut revenir sur Terre, c'est grâce aux ingénieurs, aux scientifiques", fait valoir Joachim Son-Forget.

Le trentenaire, qui pratique également le tir sportif, devient candidat de la majorité aux élections législatives après avoir mis en place un comité de "marcheurs" en Suisse. Il se fait élire confortablement sur fond de forte abstention : il recueille 63,55% des suffrages au premier tour mais est contraint de passer par un second round faute d'avoir recueilli les suffrages de 25% des électeurs inscrits. Il obtient finalement 74,94 % des suffrages exprimés face à la députée sortante (LR) Claudine Schmid. Arrivée au Palais-Bourbon, il intègre la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée et copilote la mission sur les mers et océans avec Jean-Luc Mélenchon qui assure être désormais son ami.

"Son comportement peut en inquiéter certains"

Aucun membre de ces instances ou de la majorité n'a répondu aux sollicitations de franceinfo pour commenter ses activités de député mais certains s'étaient exprimés dans la presse il y a quelques mois. "Il est très ambitieux et la plupart des collègues le regardent avec bienveillance, même si son comportement peut en inquiéter certains", estimait ainsi la députée LREM Delphine O, dans les colonnes du Journal du dimanche, en septembre. Sous couvert d'anonymat, plusieurs parlementaires dressent un portrait plus inquiétant, dans Le Parisien, évoquant un homme "psychologiquement perturbé".

"C'est vraiment le retour aux grandes heures de l'URSS, où il fallait discréditer l'adversaire par peur de la dissidence !" s'est exclamé le principal intéressé dans Le Point, en décembre 2018. "Je sais à peu près ce que je fais, se justifie-t-il auprès de franceinfo. Toute la séquence depuis Jean-Jacques Bourdin, avec la charia [évoquée à l'occasion de l'affaire Richard Ferrand], et toutes les autres sorties, il y a une espèce d'enchaînement logique."

Un parti pour les gens "impertinents et authentiques"

Le lancement de son propre parti ne serait pas une surprise même si, à l'origine, il ne comptait pas faire plus d'un ou deux mandats. "J'ai remis une pièce dans la machine, concède l'élu. Mais au moins, ce sont mes idées." 

Ses idées ? "J'ai mis beaucoup de temps avant de me rendre compte que j'étais quelqu'un de droite, confie le député qui apprécie Philippe de Villiers depuis son enfance. Nos idées ne se rejoignent pas sur certains sujets, notamment sur la question migratoire. Mais à plein d'autres égards, c'est quelqu'un de très intéressant, notamment pour ce qu'il a réussi à faire pour raconter le récit national et pour porter les couleurs de la France."

Le député assure avoir déjà de nombreuses pistes pour définir la ligne de son parti et ses principaux axes. En attendant le fond, c'est surtout la forme, plutôt décalée, qui retient l'attention. Par exemple, on trouve dans le formulaire en ligne pour adhérer à son mouvement les questions "Etes-vous drôle ?", "Etes-vous intelligent ?" puis "Prouvez-le". Sur Twitter, le décalage est encore plus important.

Joachim Son-Forget se félicite, en lançant son parti, "de ne pas vivre sa vie par procuration, d'être soi", défendant "l'impertinence, la satire"."Etre soi, c'est ce que beaucoup de Français aimeraient être, sans les entraves morales, réglementaires, normatives. Les gens, dans ce monde moderne, ne peuvent plus être les Français impertinents et authentiques qu'ils ont eu, un jour, le droit d'être", juge-t-il. Le député, désormais sans-étiquette, dit avoir une "grande confiance en l'avenir" en voyant les quelques milliers de personnes, "plutôt des jeunes", qui ont commencé à le suivre sur la plate-forme en ligne qu'il a lancée et à l'encourager sur Twitter.

Cette foule de jeunes qui aiment être des trolls sur internet, ce sont eux qui ont tout compris parce que, par leur ironie, ils tournent le système en ridicule pour montrer qu'il est ridicule.

Joachim Son-Forget

à franceinfo

Interrogé sur la contradiction entre son dégoût pour la notion de chef, les organisations pyramidales et le fait de prendre la tête d'une formation politique, le député botte en touche, d'un ton pince-sans-rire : "Je vais pas être chef, je vais être guide suprême". Puis il surenchérit, glisse que c'est "un délire nord-coréen", tout en reconnaissant être "un peu mégalo". De quoi tracer sa voie d'"homme lol-itique".

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