Niche parlementaire du Rassemblement national : derrière l'isolement apparent du groupe de Marine Le Pen à l'Assemblée, "des choix très stratégiques"
La niche parlementaire de La France insoumise avait entraîné coups de théâtre, rebondissements et psychodrames à l'Assemblée nationale, le 24 novembre 2022. Celle du Rassemblement national s'annonce beaucoup plus calme, ou du moins sans grande surprise. Le groupe de Marine Le Pen a inscrit, pour sa journée réservée, jeudi 12 janvier, sept textes, portant sur divers sujets comme le pouvoir d'achat, l'uniforme à l'école ou la proportionnelle. Tous ont été rejetés en commission, ce qui laisse présager un sort identique dans l'hémicycle.
"Nous voterons contre tous les textes sans la moindre surprise", confirme le président de la commission des Lois, Sacha Houlié (Renaissance). "On votera contre l'ensemble des textes", appuie le président du groupe Horizons, Laurent Marcangeli. Même posture du côté de la Nupes, selon le député LFI de Seine-Saint-Denis Alexis Corbière.
"Il y a une réticence à donner au RN une victoire politique et à mélanger ses voix aux siennes", analyse le politologue Jean-Yves Camus. Seul le groupe LR pourrait apporter son soutien à la proposition visant à rendre obligatoire dans les écoles et collèges publics le port d'un uniforme, dont chaque établissement pourra fixer "la coupe et la couleur". "Effectivement nous soutiendrons cette proposition de loi au sujet de l'uniforme. D'autant que le RN affiche clairement avoir repris ma proposition déposée en 2018", affirme le député LR Maxime Minot. Mais les seules voix de la droite ne suffiront pas à remporter le vote sur ce sujet à l'Assemblée.
La stratégie du copier-coller
Reprendre les propositions de loi d'autres groupes politiques, le RN en a fait sa marque de fabrique, sans pour autant pouvoir aller au bout de la démarche. Pour tenter d'arracher des votes favorables, le parti de Marine Le Pen avait initialement repris un texte de la sénatrice centriste Valérie Létard (UDI) créant une aide "d'urgence" pour les victimes de violences conjugales. Et un autre de LFI proposant la réintégration des soignants non vaccinés, dont l'examen houleux n'avait pas pu être mené à son terme fin novembre.
Passé l'effet de surprise, les autres groupes avaient riposté en inscrivant le premier texte dans un autre créneau, et LFI avait fini par retirer sa proposition de loi pour écarter le "piège" tendu par le RN. "Nous, nous faisons notre job", a lancé mardi devant la presse le nouveau président du parti, Jordan Bardella.
"On n'est pas responsables du sectarisme des autres. Les électeurs sauront s'en souvenir."
Jordan Bardella, président du Rassemblement nationaldevant la presse
"Le RN est devenu un spécialiste de l'enfoncement des coins à l'intérieur des différents partis. Ses élus savent utiliser les faiblesses de leurs adversaires en reprenant en plus des propositions qui divisent au sein des groupes", analyse le spécialiste de l'extrême droite Erwan Lecœur. Exemple avec le port de l'uniforme à l'école, un sujet de débat au sein de Renaissance. Le parti présidentiel a lancé un groupe de travail sur ce thème, certains soutiens d'Emmanuel Macron voyant d'un bon œil cette proposition. Face à celle du RN, Renaissance s'en sort en critiquant un texte rédigé sans "un travail sérieux sur l'impact".
"Parce que c'est nous"
Est-il néanmoins problématique, vis-à-vis de son électorat, que le RN n'obtienne pas de victoire politique au Palais-Bourbon ? "Non, ils sont très peu jugés par leur électorat, qui ne demande pas beaucoup à ses élus. En revanche, le RN peut, face à l'opposition des autres groupes, revenir à une stratégie très ancienne qui consiste à pointer du doigt la chasse aux sorcières dont il serait victime", développe Erwan Lecœur.
"Leur objectif n'est pas de faire passer des textes mais d'apparaître comme les victimes du système. L'idée, c'est de dire : 'Regardez, nous sommes la seule opposition et tout le monde s'oppose à nous."
Erwan Lecœur, politologue spécialiste de l'extrême droiteà franceinfo
En portant des sujets plus consensuels, le parti de Marine Le Pen peut d'autant plus interpeller les autres partis sur le fait "qu'ils ne sont pas cohérents", estime encore le politologue.
"Ils n'ont aucun intérêt à ne pas voter avec nous, si ce n'est juste parce que c'est nous. Pourquoi seraient-ils opposés à un droit de visite des parlementaires dans les Ephad ?" cite ainsi comme exemple le groupe RN. "Nous sommes confrontés à des groupes sectaires, mais ça ne tiendra pas longtemps", prédit néanmoins Marine Le Pen auprès de l'AFP. Le parti rêverait d'ailleurs, à en croire Erwan Lecœur, "de quelques francs-tireurs à LFI ou Renaissance."
"Une niche de ruses"
En attendant d'éventuelles brèches, le groupe de 88 députés poursuit un autre objectif fixé il y a plusieurs années par Marine Le Pen : la normalisation du RN. Et cela passe, lors de cette niche parlementaire, par l'absence de références à l'immigration ou à l'identité, qui sont pourtant les thèmes de prédilection du mouvement d'extrême droite. "C'est une niche de ruses et de dissimulation, précisément en ne venant pas sur leur grand marqueur : l'immigration. C'est paradoxal", accuse Alexis Corbière.
"L'idée, c'est de concentrer nos forces pour le projet de loi immigration de Gérald Darmanin. On fera nos propositions à ce moment-là", fait valoir le groupe Rassemblement national à l'Assemblée. Voilà pour la position officielle. En réalité, "le RN a fait des choix très stratégiques pour d'abord, et avant tout, apparaître comme des gens sérieux qui traitent des sujets autres que ceux de l'immigration", soutient Erwan Lecœur. Jean-Yves Camus livre la même analyse.
"Le fait de ne pas parler d'immigration est dans la continuité de la stratégie de dédiabolisation, l'idée étant de gagner des électeurs qui ne sont pas fléchés RN. Il leur faut présenter des propositions pour combler leur déficit de crédibilité sur les sujets économiques et sociaux."
Jean-Yves Camus, politologue spécialiste de l'extrême droiteà franceinfo
Pour Jean-Yves Camus, "les derniers points à gratter pour atteindre les 50% + une voix pour l'emporter à la présidentielle sont les plus difficiles à gagner." Cela passe par la présentation de textes loin de l'ADN de l'ex-FN, mais aussi par des "preuves de technicité, de savoir-faire." La route est encore longue. "La vraie satisfaction, c'est quand on est au pouvoir. Je resterai frustrée tant qu'on n'appliquera pas nos idées au pouvoir", a ainsi lâché Marine Le Pen, mardi, devant les journalistes de la presse parlementaire.
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