Respectée des oppositions, critiquée en interne... Yaël Braun-Pivet, une présidente de l'Assemblée nationale sur une ligne de crête
Première femme à présider le Palais-Bourbon, cette avocate de formation navigue entre les récifs depuis son élection, fin juin. Elle est notamment contestée par une partie de son camp, qui la soupçonne de surjouer sa neutralité et son indépendance face au pouvoir exécutif.
Au sein de la majorité, l'épisode restera comme un marqueur. Il est 18 heures passées, mardi 11 octobre, quand, depuis le perchoir du Palais-Bourbon, Yaël Braun-Pivet prononce un rappel à l'ordre à l'égard d'une députée de son propre camp, Astrid Panosyan-Bouvet. "Vous avez utilisé le mot 'xénophobe' à l'égard d'un parti politique. Je venais de rappeler qu'il fallait avoir une attitude respectueuse les uns envers les autres", souffle la présidente d'une Assemblée nationale sans majorité absolue. En cause : la dénonciation par la députée Renaissance de "l'ADN xénophobe vieux de 50 ans" du Rassemblement national.
.@YaelBRAUNPIVET sanctionne @AstridPanosyan d'un rappel à l'ordre : "Vous avez utilisé à la tribune le mot 'xénophobe' à l'égard d'un parti politique. Je venais de rappeler qu'il fallait avoir une attitude respectueuse les uns envers les autres". #DirectAN pic.twitter.com/xIFEXBx6Wk
— LCP (@LCP) October 11, 2022
Ce jour-là, l'ambiance était électrique dans l'hémicycle. Deux heures avant cet incident, lors des questions au gouvernement, deux rappels à l'ordre avaient déjà été prononcés à l'encontre des députés RN Alexandre Loubet et Frédéric Boccaletti, pour avoir respectivement qualifié les ministres Bruno Le Maire et Pap Ndiaye de "lâche" et de "communautariste". Bien que membre de la majorité, Astrid Panosyan-Bouvet a donc été logée à la même enseigne.
"C'était complexe de prendre cette décision mais il fallait le faire afin de ne pas favoriser un groupe politique", défend un député Renaissance. Mais chez d'autres macronistes, le tollé est immédiat. "Les députés du groupe sont furieux", lâche une figure de la majorité, avant d'assurer qu'il faut "évidemment pouvoir confronter le RN à son histoire". "C'est inadmissible", ne décolère pas non plus une cadre du parti présidentiel. En deux phrases, cette dernière résume le sentiment partagé par d'autres au sein de la macronie : "On a un problème avec sa surneutralité, qui devient gênante. Elle considère qu'elle doit appliquer à tout le monde le même traitement".
"Elle cherche à se faire aimer"
Sentant venir le vent de la fronde, Yaël Braun-Pivet a dû s'expliquer sur la boucle Telegram des députés Renaissance, soulignant que "le respect est une condition indispensable au débat".
"Dans un contexte électrique où la moindre étincelle pouvait créer l’incendie, je me suis efforcée de permettre l’avancée des débats et de prévenir l’escalade."
Yaël Braun-Pivet, présidente de l'Assemblée nationaleaux députés Renaissance
Cette avocate de formation a également envoyé un texto à Astrid Panosyan-Bouvet pour lui dire qu'elle était "désolée", mais qu'elle ne pouvait pas faire autrement. Pourtant, même au sein du RN, Marine Le Pen estime que cette déclaration "ne justifiait pas un rappel à l'ordre". "Elle met le curseur trop bas, mais cela ne doit pas être facile, elle subit des pressions de son propre camp, des ministres", juge l'ex-finaliste de la présidentielle. "C'est aussi une femme et on se permet probablement, dans ce camp, plus de choses que si c'était un homme."
"Pour l'instant, je n'ai rien à dire. Elle est plutôt respectueuse de la composition de l'Assemblée nationale que les Français ont choisie."
Marine Le Pen, présidente du groupe RN à l'Assembléeà franceinfo
Marine Le Pen n'est pas la seule, dans l'opposition, à saluer la manière dont Yaël Braun-Pivet exerce sa fonction, ce qui a le don d'agacer au sein de la majorité. Parfois à la limite du sexisme. "Elle minaude, elle cherche à se faire aimer de ses adversaires", peste un macroniste.
Fidélité contre neutralité
Du côté de LR, on se satisfait pleinement des débuts de Yaël Braun-Pivet au perchoir. "Elle est très forte, elle a plein de qualités. On arrive à travailler avec elle et à faire passer plein de trucs, ça se passe bien", s'enthousiasme un cadre du parti de droite. On est un peu plus mesuré au PS. "Elle fait son boulot de présidente, elle fait ce qu'elle peut dans un contexte très compliqué", reconnaît le chef de file des députés socialistes, Boris Vallaud. Le député des Landes aimerait cependant qu'elle "tende plus la corde" avec le gouvernement pour obtenir davantage de compromis.
Et c'est là tout le dilemme de Yaël Braun-Pivet : "être fidèle au président et à sa majorité, tout en assurant une présidence neutre de l'Assemblée nationale", résume un macroniste. Sur le projet de loi de finances (PLF), l'ancienne présidente de la commission des lois de l'Assemblée est alignée avec le gouvernement. Farouche partisane du "dialogue" – mot qu'elle a martelé lors d'une rencontre avec l'association des journalistes parlementaires –, elle a estimé, le 20 octobre sur France 2, que l'usage du 49.3 n'était pas "un passage en force" et que l'Assemblée était allée au bout des débats. Elle a prôné la même méthode sur le budget de la Sécurité sociale (PLFSS), en demandant de "laisser du temps au débat". Sans obtenir cette fois gain de cause puisque, le soir-même, la Première ministre dégainait de nouveau le 49.3.
Ce n'est pas la première fois que l'élue des Yvelines fait entendre une voix divergente. Le 22 septembre, alors que la majorité se déchire sur la méthode à employer pour conduire la réforme des retraites, Yaël Braun-Pivet s'est rangée du côté de François Bayrou en déclarant publiquement, sur franceinfo, qu'elle n'était pas favorable à l'option d'un amendement au PLFSS. Applaudissements au MoDem, où elle est considérée comme "un demi-dieu", dixit un député Renaissance. "Elle a montré une forme d'indépendance, cela s'est vu sur les retraites", salue le député MoDem Nicolas Turquois. Au contraire, une cadre de Renaissance estime qu'elle "aurait pu le dire de manière différente" et qu'il n'était "pas utile de montrer de la confrontation".
"C'est Ségolène bis"
Au-delà de cet épisode, c'est sa manière de concevoir sa fonction mais aussi son style qui sèment la discorde en macronie, entre ses fans et ses détracteurs. "Elle est très intelligente, très humaine, c'est vraiment une fille en or", lance le député MoDem Bruno Millienne, qui ne tarit pas d'éloges.
"Je n'ai pas le souvenir d'un président – en l'occurrence une présidente – autant en défense des parlementaires."
Bruno Millienne, député du MoDemà franceinfo
Chez Horizons aussi, un parlementaire influent dit aimer cette façon qu'a la tenante du perchoir de "faire entendre sa différence et d'être dans une forme de nouveau style". Pas du goût de tout le monde. "Ce n'est pas ma tasse de thé. C'est Ségolène [Royal] bis : elle veut tout le temps sauter de poste en poste", critique un macroniste, en référence à l'éphémère passage de Yaël Braun-Pivet comme ministre des Outre-mer. "Yaël Braun-Pivet, c'est la revanche des moyens, cingle un député de la majorité. Elle est la porte-voix des députés qui ne sont pas dans le cénacle". Comprendre : ceux qui ont un lien direct avec l'Elysée.
Il y a encore quelques mois, Yaël Braun-Pivet n'avait effectivement pas de relations avec Emmanuel Macron, qui la connaît mal. Au moment de l'élection pour la présidence de l'Assemblée nationale, l'Elysée soutenait Roland Lescure, à présent ministre délégué à l'Industrie. "Il a eu un discours très macroniste du premier quinquennat, en mode 'On est les meilleurs'. Elle, elle a fait un discours très rassembleur avec une vraie vision du Parlement", se souvient un député.
On connait la suite : le 28 juin, le perchoir est revenu pour la première fois à une femme. Les jours suivants, Yaël Braun-Pivet a attendu, espéré un geste présidentiel, qui n'est jamais venu. Ni coup de fil ni texto de la part du chef de l'Etat. Il faudra attendre le cours de l'été pour que les choses se débloquent enfin et que les deux représentants des pouvoirs exécutif et législatif se parlent et conviennent de rendez-vous réguliers.
Des ambitions pour 2027 ?
Ces instants de flottement ont laissé des traces. "Comme à l'Elysée, ils ne la traitent pas, elle ne va pas les attendre", glissait fin septembre un parlementaire proche de l'ancienne avocate. Néanmoins, assure un observateur avisé du pouvoir, "Emmanuel Macron n'a pas découvert dans la presse la position de Yaël Braun-Pivet sur les retraites". Preuve que les deux communiquent à présent. "Il a compris que ce ne sera pas Ferrand [son prédécesseur au perchoir, un très proche du président de la République]. Ils n'ont ni la même proximité ni même partagé les mêmes combats", ajoute-t-on de même source.
Pour cette autre cadre de la majorité qui connaît bien la présidente de l'Assemblée, "Yaël Braun-Pivet a d'abord une idée institutionnelle de sa fonction". Mais elle ajoute : "L'écueil est qu'elle s'y enferme, qu'elle surcultive cette logique d'autonomie".
"Qu'elle ait besoin de s'affirmer pour donner des gages, d'accord. Mais il ne faut pas que cela aille trop loin."
Une cadre de la majoritéà franceinfo
Certains vont jusqu'à prêter des ambitions présidentielles à Yaël Braun-Pivet. "On fait la même chose à Elisabeth Borne, on jette en pâture les deux femmes qui ont une existence mécanique de par leur fonction", réplique séchèment un pro-Braun-Pivet qui ne croit pas une seconde à une candidature. D'ici 2027, la présidente de l'Assemblée nationale devra déjà relever un premier défi : conserver le perchoir d'un hémicycle sous la menace permanente d'une dissolution.
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