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Référendum en Nouvelle-Calédonie : tout comprendre des conséquences politiques et économiques du scrutin

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 13min
Des militants indépendantistes kanaks, le 21 août 2020, lors d'une mobilisation contre le projet de vente de l’usine de nickel du Brésilien Vale, à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie. (THEO ROUBY / HANS LUCAS / AFP)

Les habitants de l'archipel retournent dans l'isoloir dimanche pour se prononcer une nouvelle fois sur l'indépendance. 

La Nouvelle-Calédonie a de nouveau rendez-vous avec son histoire. Après un premier référendum en 2018, où le "non" avait obtenu 56,67% des suffrages, les habitants se rendent une nouvelle fois aux urnes, dimanche 4 octobre, pour répondre à la même question qu'il y a deux ans : "Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ?". Deux camps s'affrontent pour défendre les deux alternatives qui s'offrent aux Calédoniens, même si de plus en plus de voix s'élèvent pour réclamer un troisième chemin, construit autour d'un nouveau projet politique. En attendant, franceinfo s'intéresse aux conséquences de ce scrutin crucial pour l'avenir du Caillou. 

Comment se passera la transition si le "oui" l'emporte ?

Si le "oui" s'impose, la Nouvelle-Calédonie deviendra alors un Etat indépendant. Une fois le changement officialisé, il exercera l’ensemble des compétences régaliennes (justice, maintien de l'ordre...), comme le détaille un document officiel français intitulé "Les implications de la consultation du 4 octobre 2020". Ce nouvel Etat obtiendra aussi un statut international de pleine souveraineté, ce qui signifie qu'il devra notamment gérer sa représentation diplomatique à l'étranger.

La France ne prévoit pas pour autant de se désengager "brutalement" du jour au lendemain des affaires calédoniennes. Elle prévoit une période de transition dont la durée sera fixée lors d'un accord entre les deux parties, et pendant laquelle "la sécurité, l’ordre public, la monnaie, la justice continueront d’être assurés par la France".

Les indépendantistes regrettent que Paris ne se soit pas montré plus précis concernant cette période. Le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS) a pour sa part produit un "projet bonifié" pour préparer l'indépendance et rassurer la population. Il souhaite une période de transition d'environ trois ans, jusqu'en mai 2023, afin d’installer le nouvel Etat de "Kanaky-Nouvelle Calédonie", le temps de négocier de nouveaux accords. "Les indépendantistes veulent une période de transition pour conclure un partenariat avec la France, et que cet accord soit inscrit dans la constitution des deux pays", explique Mathias Chauchat, professeur de droit public à l’université de la Nouvelle-Calédonie, en campagne pour le "oui".

Un flou persiste donc sur la durée de la transition. "Les indépendantistes imaginent trois ans dans leur programme, les non-indépendantistes disent que ce sera quasi immédiat. Entre les deux, l'Etat a dit simplement qu'il y aura une période de transition, résume Pierre-Christophe Pantz, docteur en géopolitique. La position de l'Etat, c'est que ce sera négocié le moment venu entre les uns et les autres."

Quelles seront les conséquences économiques en cas d'indépendance ?

"L'Etat admet qu'il y aura une période de transition, mais il ajoute que les transferts de financement seront caducs. Donc, on ne sait pas trop à quoi s'attendre au final", analyse Pierre-Christophe Pantz. Le document officiel indique effectivement que les relations financières entre la France et la Nouvelle-Calédonie, en cas de "oui" à l'indépendance, seront désormais "établies dans le cadre de la politique publique d’aide au développement"

Les conséquences économiques d'une éventuelle indépendance reviennent régulièrement dans les arguments de campagne des non-indépendantistes. "Il y aura effectivement de l'aide publique au développement, simplement ce sera à peu près 1 000 fois moins que ce qu'on reçoit actuellement, il ne faut pas mentir aux gens", gronde Sonia Backès, représentante du camp loyaliste (la droite anti-indépendantiste) et présidente de la province Sud. En réalité, le ratio serait sans doute moins impressionnant. Les dépenses de l'Etat en Nouvelle-Calédonie représentent actuellement plus de 155 milliards de francs Pacifique (soit 1,3 milliard d’euros), environ 15% du PIB calédonien, selon un rapport de 2018.

Difficile d'estimer ce que la Nouvelle-Calédonie pourrait espérer de l'aide publique au développement. "Il faudrait comparer avec le Vanuatu", suggère l'économiste Olivier Sudrie, maître de conférences à l'université Paris-Saclay. Ce petit archipel voisin, devenu indépendant en 1980, reçoit actuellement environ 105 millions d'euros (un peu plus de 13% de son PIB) de divers pays au titre de l'aide publique au développement, selon les données de la Banque mondiale. De leur côté, les indépendantistes comptent ainsi beaucoup sur les divers partenariats à venir, notamment avec des puissances régionales comme l'Australie.

Mais au-delà des compensations financières, le député Philippe Dunoyer, du parti de centre-droit Calédonie ensemble, qui milite pour le "non", craint de voir une autre forme de dépendance s'installer. "Si nous ne sommes plus un territoire français, pourquoi résisterons-nous mieux que d'autres Etats déjà indépendants du Pacifique à une autre forme de colonisation, plus économique, venue d'une superpuissance comme la Chine, par exemple ?"

C'est un scénario qu'il faut craindre, car la souveraineté ne sera pas réelle.

Philippe Dunoyer, député

à franceinfo

Le député du groupe UDI alerte également sur les risques liés à la sécurité monétaire. "C'est grâce à la parité fixe entre le franc Pacifique et l'euro que nous disposons d'un certain pouvoir d'achat ici, et que le niveau de vie des Calédoniens est aussi envié dans le Pacifique." Un projet de monnaie souveraine pour le nouvel Etat indépendant comporterait des risques. "Cela pourrait conduire à un choc économique, car actuellement le franc Pacifique est largement surévalué si on regarde les exportations, estime l'économiste Olivier Sudrie. Concrètement, il faudrait dévaluer la nouvelle monnaie, la diviser par deux, ce qui serait un choc terrible pour le pouvoir d'achat des Calédoniens."

Les indépendantistes préfèrent regarder plus loin. "La question monétaire peut aussi être analysée (...) sur un espace régional. On est en Mélanésie, on a 9 millions de Mélanésiens (...) ce sont aussi des opportunités qui s'offrent à nous", répond sur une radio locale Johanito Wamytan, directeur de cabinet du groupe politique UC FLNKS et Nationalistes, et de l'Eveil Océanien au Congrès. De toute manière, "nul ne peut s'opposer à l'indépendance d'un pays pour des motifs économiques, selon la Déclaration sur l'octroi de l'indépendance aux pays et aux peuples coloniaux de l'ONU", rappelle Olivier Sudrie.

En cas de "oui", les Néo-Calédoniens perdront-ils leur nationalité française ?

La question agite la campagne référendaire. "Les loyalistes distribuent partout sur Nouméa un prospectus affirmant que l'on risque de perdre le passeport français, avec toutes les conséquences possibles, comme le fait de ne plus pouvoir étudier en France", affirme Mathias Chauchat. En réalité, la question n'est pas tranchée. Dans son document, le gouvernement français précise que le nouvel Etat décidera des "critères permettant d’avoir ou d’obtenir" la nouvelle nationalité. Le FLNKS assure de son côté dans son projet que les "non-citoyens 'actuels' qui le désireront pourront demander à devenir des nationaux".

Par ailleurs, "l’Assemblée nationale et le Sénat devront (...) débattre et voter une loi pour déterminer les conditions dans lesquelles un maintien dans la nationalité française de certains ressortissants du nouvel Etat serait possible", indique le document français. En clair, un accord sur la double nationalité réclamée par une partie des indépendantistes n'est pas exclu, mais il n'est pas automatique. "Vous ne perdrez pas votre nationalité française, cela ne s'est jamais vu dans ce type d'indépendance", tient à rassurer Mathias Chauchat.

Un avis que ne partage pas du tout le loyaliste Philippe Blaise. "L'histoire des décolonisations montre que la majorité des habitants des pays indépendants l'ont perdue", affirme, dans une publication sur Facebook, le vice-président de la province Sud. Selon lui, "sauf exception pour ceux nés en France [métropolitaine] ou qui iraient s'installer en métropole dans un court délai, tous les statuts coutumiers ont vocation à perdre la nationalité française, et très probablement l'immense majorité des Calédoniens"

Que se passera-t-il si le "non" gagne de nouveau ?

Rien ne changera dans l'immédiat. La Nouvelle-Calédonie restera une collectivité française. La population "conservera la nationalité et la citoyenneté française, ainsi que la citoyenneté européenne", selon l'Etat français. Ce dernier exercera donc toujours les compétences régaliennes sur le territoire et gérera celles en attente de transfert (comme l’enseignement supérieur et la communication audiovisuelle). Il continuera d'assurer également "les transferts financiers nécessaires à l’exercice des compétences déjà transférées". La France ne récupérera pas de compétences, puisque l’accord de Nouméa du 5 mai 1998 prévoit "le caractère irréversible des transferts opérés".

Un nouveau "non" ne signifiera pas pour autant l'arrêt du processus. Selon l’accord de Nouméa, si un tiers des membres du Congrès (soit 18 membres) demande un troisième référendum sur la question de l'indépendance, un vote doit être organisé dans les deux ans. Les indépendantistes ayant actuellement au moins 26 membres au Congrès, la décision leur appartiendra.

Pourquoi cela pourrait devenir encore plus compliqué ?

Pour Pierre-Christophe Pantz, il est probable que les quelque 180 000 électeurs votent en majorité une nouvelle fois "non", comme lors du référendum de 2018 et à l'image des élections provinciales depuis 30 ans. Deux années constituent vraisemblablement un délai trop court pour permettre au camp indépendantiste de rattraper 18 000 voix d'écart. "On observe, élection après élection, une stabilité et une forme d'imperméabilité des électorats. Il y a très peu de gens qui changent d'avis au moment d'aller voter", analyse le chercheur, spécialiste en matière de géographie électorale.

C'est ce qui rend la situation difficile. Comme le corps électoral, la situation politique est gelée.

Pierre-Christophe Pantz, docteur en géopolitique

à franceinfo

"Au final qu'on vote oui ou non, cela risque de n'apporter finalement aucune solution, il faudrait plutôt plancher sur une solution consensuelle", estime Pierre-Christophe Pantz. Les campagnes référendaires ont tendance à créer des tensions, des oppositions, plutôt que du dialogue. Dans le camp des non-indépendantistes, certains estiment qu'il n'est pas utile d'organiser un troisième référendum. "Si le résultat correspond peu ou prou au premier, on peut imaginer que deux ans plus tard, ce sera pareil. On peut essayer de faire gagner du temps à nos concitoyens en discutant d'un statut pour transformer le troisième en un référendum de projet", estime Sonia Backès. "Nous, on respecte la parole et la signature de nos aînés. Il est prévu trois référendums, on appelle à la finalisation en totalité de l'accord de Nouméa", lui répond Mickaël Forrest, directeur de la campagne du "oui" pour le FLNKS . 

Au bout du processus, si les Calédoniens disent "non" trois fois, "les partenaires politiques se réuniront pour examiner la situation ainsi créée", selon les termes de l'accord de Nouméa. "Je ne sais pas ce qu'il se passera, on aura sans doute un changement brutal d'interlocuteurs, avec un départ des anciens du côté kanak, et l'arrivée d'une nouvelle génération politique", estime Mathias Chauchat.

Toutes les parties insistent sur la nécessité de ne pas rompre le dialogue. Un possible retour des violences, comme lors des événements des années 1980, reste dans toutes les têtes. "Ce serait le pire cauchemar que l'on pourrait imaginer pour la Nouvelle-Calédonie, prévient le député Philippe Dunoyer. L'idée, et aujourd'hui on en est très loin, c'est de travailler pour retrouver un consensus autour d'un avenir partagé. Car je dis aux Calédoniens : dire deux fois ou trois fois 'non' à quelque chose, ce n'est toujours pas dire ce que vous voulez."

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