Référendum sur l'indépendance : pourquoi Emmanuel Macron assure que "la France serait moins belle sans la Nouvelle-Calédonie"
Lancée une première fois lors d'un déplacement dans l'archipel en mai 2018, le président a répété cette formule à la fin juillet en Polynésie. Mais que voulait-il vraiment dire ? Décryptage à l'approche du troisième et dernier référendum d'autodétermination.
Cela ressemble à une phrase sortie directement d'une brochure d'agence de voyage. En déplacement en Polynésie française fin juillet, Emmanuel Macron a déclaré devant les habitants et les caméras que "la France serait moins belle sans la Nouvelle-Calédonie". En réalité, le chef de l'Etat avait dit la même chose trois ans plus tôt, en mai 2018, quand il avait passé quelques jours à Nouméa. Au moment où 183 000 électeurs vont se rendre aux urnes pour le troisième et dernier référendum d'autodétermination, dimanche 12 décembre, la petite phrase résonne encore dans les têtes. Franceinfo vous explique pourquoi le président a eu cette fameuse formule.
Parce que le rejet de l'indépendance serait une victoire pour Emmanuel Macron
Rembobinons. Quand Emmanuel Macron prononce pour la première fois sa fameuse phrase sur le sol calédonien en mai 2018, nous sommes à six petits mois du tout premier référendum d'auodétermination. Dans son discours devant les habitants, le chef de l'Etat rappelle alors qu'il ne prendra "pas parti" dans la consultation "qui vient" parce que, insiste-t-il, "ce n'est pas au chef de l'Etat de prendre position sur une question qui n'est posée qu'aux seuls Calédoniens et une telle position d'ailleurs ne ferait que perturber et biaiser le débat." "En revanche, embraie-t-il, ce que je peux vous dire, ce que je veux vous dire du fond du cœur et en tant que président de la République, c'est que la France ne serait pas la même sans la Nouvelle Calédonie car la Nouvelle-Calédonie n'a jamais manqué à la France."
Lorsqu'il réutilise la même formule l'été dernier à Papeete, nous sommes cette fois à quatre mois du crucial troisième et dernier référendum d'autodétermination. Jean-François Merle, qui a suivi la négociation des accords de Matignon sur la Nouvelle-Calédonie à la fin des années 1980, se souvient "très bien de cette phrase". "Pour moi, c'est une prise de position assez nette en faveur du 'non' à l'indépendance, analyse l'ancien conseiller de Michel Rocard pour l'outre-mer. Il donne son sentiment avec cette jolie formule."
"Cela me fait penser à ces parents qui disent que la famille ne sera plus la même quand les enfants partiront."
Jean-François Merle, ex-conseiller de Michel Rocardà franceinfo
Gagné : "Les propos du chef de l'Etat étaient très rassurants", réagira sur franceinfo Sonia Backès, la présidente du groupe Les Républicains calédoniens au Congrès de l'île, et opposée à l'indépendance. Philippe Gomès, député UDI de Nouvelle-Calédonie, était aussi présent dans le parterre d'élus à Nouméa : "Ce qu'il a dit, c'était intelligent, habile", assure à franceinfo le fondateur du parti Calédonie ensemble, qui milite aussi pour le "non".
C'est que le dossier du référendum calédonien est périlleux pour Emmanuel Macron. En 1988, il n'est que collégien à Amiens lorsque les accords de Matignon sont approuvés, et il n'est qu'étudiant quand celui de Nouméa est paraphé dix ans plus tard. Mais c'est bien lui qui aura eu à organiser les trois référendums (2018, 2020 et 2021). Surtout, depuis l’indépendance des Nouvelles-Hébrides, condominium franco-britannique devenu le Vanuatu, en 1980, il est le premier président de la République à devoir gérer directement la sortie d’un processus de décolonisation, sous le regard des Nations unies. "Si vous me demandez si une victoire du 'non' ferait aussi beaucoup de bien à Emmanuel Macron le 12 décembre, alors ma réponse est oui, tranche Bastien Vandendyck, analyste en relations internationales et spécialiste du Pacifique et de la Nouvelle-Calédonie. Il serait celui qui a réussi à garder le territoire aux côtés de la France. Ce n'est pas rien."
Parce que le chef de l'Etat juge que la Nouvelle-Calédonie a besoin de la France
Bastien Vandendyck a retourné la phrase du président de la République dans tous les sens. Et "au fond, ce qu'il voulait aussi dire, je pense, c'est qu'on a à faire à une relation gagnant-gagnant entre les deux parties". Autrement dit, la France a de la chance d'avoir la Nouvelle-Calédonie (on y revient plus bas), mais la Nouvelle-Calédonie a aussi de la chance d'avoir la France.
Et la gestion de l'épidémie de Covid en est un bon exemple : "Que se serait-il passé sans la France ? Eh bien la Nouvelle-Calédonie aurait dû payer ses vaccins, payer les médecins qui sont venus en renfort sur place, payer le matériel, constate le spécialiste de l'archipel, qui partage son temps entre Nouméa et Paris. La gestion de la crise sanitaire a rappelé à un grand nombre de Calédoniens que si la France n'avait pas été là, ça aurait été très, très compliqué." Séverine Blaise, maître de conférences en économie à l'université de la Nouvelle-Calédonie, abonde dans le même sens : "La France a en effet été réactive et a déployé des moyens substantiels, ce qui a sans doute marqué les esprits de façon favorable."
"Sur le plan économique, si certaines réformes étaient faites, notamment sur le plan fiscal, la Nouvelle-Calédonie pourrait devenir beaucoup plus autonome sur le plan financier. A ce jour, il demeure une grande dépendance à l'égard des transferts métropolitains."
Séverine Blaise, maître de conférences en économieà franceinfo
Bastien Vandendyck va même plus loin. "La France permet aujourd'hui à la Nouvelle-Calédonie d'éviter tous les inconvénients qu'ont les territoires qui lui ressemblent à une ou deux heures d'avion." Il cite le Vanuatu, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, les Fidji, les Salomon, "des territoires peu peuplés, faibles militairement et instables politiquement".
Parce que le "Caillou" dispose d'une immense réserve de nickel
Sa superficie de 18 600 km2 (l'équivalent de la Picardie) en fait l'un des plus grands territoires du Pacifique Sud et le second de la France d'outre-mer après la Guyane. La Nouvelle-Calédonie dispose d’une zone économique exclusive gigantesque de 1 450 000 km2. Dans le Pacifique, le "Caillou" est "le seul territoire présentant des indicateurs économiques et sociaux qui se rapprochent de l'Australie et de la Nouvelle-Zélande, rapporte La 1ere. Son produit intérieur brut par habitant converge vers celui de la France hexagonale. Le taux de couverture des importations par les exportations avoisine les 50%, alors qu'il est inférieur à 10% dans l'ensemble des autres géographies d'outre-mer."
Séverine Blaise valide : "Au-delà des ressources minérales, la France conserve en effet de nombreux intérêts économiques en Nouvelle-Calédonie." Tout en haut de la pile, on trouve le nickel, dont l'économie calédonienne est le berceau mondial : cet ingrédient, qui sert à fabriquer des batteries électriques, pèse pour 90% des exportations de la Nouvelle-Calédonie et représente plus d’un emploi sur cinq. "Si je devais imager la situation, je dirais que 'quand le nickel va, tout va' mais 'quand ça ne va pas, ça se ressent partout', résume Joël Kasarhérou, spécialiste de l'économie calédonienne. Il y a un effet d'entraînement, il fait vivre des centaines de familles, et sur tout le territoire. Et encore, cette richesse pourrait profiter encore plus à la population s'il y avait une meilleure fiscalité. A l'heure actuelle, il y a toujours un problème de redistribution."
Parce que c'est un territoire stratégique sur le plan géopolitique
Perdre la Nouvelle-Calédonie, c'est aussi pour la France faire une croix sur sa présence et son influence dans toute la zone du Pacifique Sud. "La Nouvelle-Calédonie dispose d'une situation géographique extrêmement stratégique, résume Bastien Vandendyck. Elle est intégrée à l'arc mélanésien, elle se trouve à proximité des deux puissances régionales que sont l'Australie et la Nouvelle-Zélande, et elle dispose d'infrastructures militaires. Il faut se rendre compte que la France profite dans la région d'un avantage que ne peut lui donner aucun autre territoire. C'est donc de fait un territoire dont elle peut difficilement se passer."
C'est que, depuis le Brexit, la France est le dernier pays de l’Union européenne présent dans le Pacifique. Intéressant quand on prend les jumelles pour surveiller de plus près l'affrontement sino-américain qui se trame dans les eaux de l'Indo-Pacifique. Conserver une présence en Nouvelle-Calédonie, c'est donc… continuer de contrer l'expansion chinoise dans la région.
Car Pékin apprécie beaucoup la Nouvelle-Calédonie, et pas seulement pour ses plages paradisiaques. Il a d'ailleurs déjà commencé à y mettre son nez. En octobre 2017, l'ambassadeur de Chine en France a débarqué avec son équipe de conseillers pour une visite d’une semaine sur place. "Je vais vous dire, c'était open bar, se remémore, encore étonné, le député UDI Philippe Gomès. Ils nous demandaient de quoi on avait besoin, pour le tourisme, pour nos infrastructures. Il suffisait de dire ce qu'on voulait… Bon, en revanche, c'était à leurs conditions : si on avait besoin d'un hôtel, il fallait qu'il soit construit par des entreprises chinoises, et les employés devaient aussi être chinois." Nous étions alors à un an du premier référendum. Pour autant, lors du séjour, "pas la moindre question" n'a été posée sur le sujet, ni sur la question de l'indépendance.
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