Remaniement : médias, déplacements... Les astuces des ministres en sursis pour tenter de sauver leur place au gouvernement
Tic-tac, tic-tac... Pour les membres du gouvernement d'Elisabeth Borne, le rapport au temps s'est modifié après la mort de Nahel, tué par un policier lors d'un contrôle routier, et des émeutes qui ont éclaté dans de nombreuses villes de France, ce qui les contraint à revoir leur agenda à l'aune de cette actualité. Mais cette actualité est venue percuter un contexte politique déjà particulier, marqué par les rumeurs de remaniement qui se sont intensifiées ces dernières semaines. A l'approche du 14 juillet, date butoir de la période de cent jours décrétée fin avril par Emmanuel Macron, les ministres qui se sentent sur la sellette déploient différentes stratégies, dans l'espoir de se maintenir au gouvernement.
Il y a d'abord la rhétorique des bons élèves revendiqués : affirmer que l'on est "à sa tâche", "sur les dossiers", comme si de rien n'était. "Il y a une vraie continuité, pas d'arrêt, pas de paralysie. Au contraire, ça s'intensifie", ose l'entourage de Jean-Christophe Combe, ministre des Solidarités, que beaucoup d'observateurs voient sur le départ. Pour lui comme pour d'autres, le moment est particulier : la Première ministre doit opérer une série d'annonces début juillet.
"Le bachotage, ça ne marche pas !"
Certains en profitent donc pour promouvoir leurs dossiers et se mettre eux-mêmes en avant auprès de celui qui décidera de la composition du prochain gouvernement : Emmanuel Macron. La technique ne date pas d'hier. "Dans les derniers instants, j'ai essayé de négocier un ultime déplacement avec le président de la République pour faire aboutir des arbitrages", se souvient une secrétaire d'Etat du précédent mandat. "Il y a un travail humain à faire avec la Première ministre et le président de la République, car il faut plaire aux deux", prolonge une de ses collègues d'alors.
"Emmanuel Macron déteste les gens qui abandonnent, il aime les gens qui se battent."
Une ancienne ministreà franceinfo
Cette tactique peut-elle payer avant que le verdict ne tombe ? "Je ne suis pas certain que ça plaise forcément à Emmanuel Macron de se montrer partout avec lui dans la dernière ligne droite. Christophe Béchu a collé aux basques du président ces derniers temps, alors que sa présence n'était pas pertinente pour tous les déplacements", siffle un conseiller ministériel. Un de ses homologues le rejoint : "Quand le chef de l'Etat décide de changer un ministre, ce n'est pas parce qu'il ne l'a pas assez vu dans les 15 derniers jours, c'est parce que lors de multiples réunions, on a vu qu'il ne connaissait pas ses dossiers, ou qu'il n'avait pas d'idée... Vous savez, le bachotage en politique, c'est comme partout : ça ne marche pas !"
Attention, à l'inverse, à ne pas trop jouer les premiers de la classe gouvernementale, en sollicitant à outrance l'Elysée et Matignon. "Il faut mesurer son effort, sinon ça devient vite saoulant", met en garde une ex-secrétaire d'Etat. Une conseillère ministérielle reconnaît toutefois que l'imminence du remaniement incite à la diplomatie envers la hiérarchie : "On est plus précautionneux et on dit beaucoup moins facilement non à Matignon."
"D'habitude, on peut tenir tête sur des arbitrages. Là, on le fait moins, car on sait que ce n'est pas le moment."
Une conseillère ministérielleà franceinfo
Porter des gros chantiers ou une réforme majeure est-il un totem d'immunité en vue du remaniement ? Pas forcément : "Quelqu'un peut très vite prendre la suite", tranche un conseiller. D'autres ministres ont au contraire très vite compris qu'ils pouvaient ralentir la cadence avant de quitter leur ministère. "On a tous fait en sorte de ne plus avoir de dossiers en cours fin avril 2022, dans l'attente de la passation", se remémore une membre du gouvernement Castex à propos de la fin du premier mandat d'Emmanuel Macron.
Cette année, le remaniement se fait inexorablement attendre : pas de date précise, ni de certitude qu'il aura bien lieu avant la pause estivale. Chez certains, la paralysie ne semble pas loin. "On ne sait pas si on sera là dans une semaine, on se demande si ça vaut le coup de préparer les futurs déplacements déjà calés, notamment à l'étranger", s'interroge un conseiller. Le contexte appelle aussi à la vigilance, se rappelle une ancienne secrétaire d'Etat : "On fait attention à ne pas commettre d'erreurs dans le money time [le moment où tout se joue]", d'autant que "tout le monde est sur la défensive".
Des interventions dans les médias... parfois un peu tardives
Pour éviter de prendre la porte, il existe une autre technique bien connue. "Les ministres qui se sentent plus fragiles essaient d'avoir une présence plus forte dans les médias ou d'échanger davantage avec les parlementaires", explique Stéphane Travert, ministre de l'Agriculture de juin 2017 à octobre 2018. "Nos thématiques n'impriment pas toujours dans l'actualité, c'est aussi pour cela qu'on communique", défend aujourd'hui le cabinet de Jean-Christophe Combe pour justifier ses plus nombreux passages dans les médias ces dernières semaines. Le ministre des Solidarités n'est pas le seul à multiplier les interventions : "Certains font plus de médias, comme Pap Ndiaye, qui parle plus souvent, notamment en presse écrite", constate une ex-ministre, plus critique envers l'un de ses collègues.
"Le ministre délégué en charge de la Ville et du Logement, Olivier Klein, est lui aussi plus actif, alors qu'il ne s'est pas passé grand-chose pendant un an. Là, il se bouge."
Une ex-ministreà franceinfo
Il faut dire que l'actualité ne lui a pas laissé d'autre choix, ces derniers jours. Les violences urbaines, après la mort de Nahel, l'ont contraint à se rendre sur les lieux les plus touchés. Et d'aborder certains sujets comme la politique de la ville, le cœur de son portefeuille ministériel. "Il n'est pas mauvais depuis dix jours et remonte la pente", reconnaît un conseiller d'une autre membre du gouvernement.
Hors actualité brûlante, multiplier les interventions médiatiques peut néanmoins se révéler périlleux pour ceux qui ont peu l'habitude des matinales radio et des plateaux de télévision. "Ça peut être contre-productif : il y a un risque de se prendre les pieds dans le tapis en faisant une bourde, justement parce que vous n'avez pas fait assez de médias avant... C'est un peu tard pour se montrer !" estime un ancien conseiller ministériel. "Et tu n'auras même pas le temps de rattraper la bourde", insiste un autre conseiller. Tout le monde n'est pas en mesure de réussir à percer le mur du son médiatique comme l'a fait Rima Abdul Malak. Après ses prises de parole remarquées lors de la cérémonie des Molières ou après le Festival de Cannes, la ministre de la Culture est désormais qualifiée de "révélation" par certains macronistes.
Les ministres désireux de sauver leur place rencontrent un autre obstacle : l'administration. Ses membres survivront quoi qu'il arrive au remaniement et peuvent dès lors se montrer moins coopératifs avec un ministre de tutelle politiquement affaibli. "Il y a un vrai problème avec l'administration, pointe un ancien conseiller concerné par des remaniements. Dès qu'il y a un soupçon de départ de votre ministre, vous sentez très clairement que le délai de réponses à vos mails s'étire un peu." "L'administration freine des quatre fers", résume notre ancienne ministre. "Si le ministre est solide, c'est plus facile de leur tordre le bras", illustre un conseiller.
Face à ces blocages, il n'y a plus qu'à prendre son mal en patience, ou penser à la suite. "Ceux qui ont un mandat se disent qu'ils pourront retourner au Parlement. Pour les autres, c'est plus compliqué", commente une ministre de Jean Castex à propos de l'avenir incertain des ministres. "D'autres préparent leur atterrissage professionnel", se souvient une ex-secrétaire d'Etat. L'affaire est encore plus délicate pour les personnalités issues de la société civile, particulièrement ciblées en ce moment. "Sous Emmanuel Macron, elles sont essorées et jetées dans la nature. Comme des espèces sauvages, elles ne se remettent jamais complètement de ça", image un ex-conseiller. Avant d'être possiblement relâchés, les ministres tentent pourtant de donner le change, coûte que coûte. Sans parvenir à duper cette ex-ministre : "Ils affichent une certaine sérénité, disent qu'ils sont au travail... Mais à l'intérieur, ça bouillonne, car c'est un calvaire."
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