Bruno Le Maire, "l'énarque défroqué" qui espère conquérir l'UMP
En campagne depuis le 11 juin pour la présidence du parti, l'ancien ministre de l'Agriculture surfe sur l'absence de Nicolas Sarkozy pour séduire les militants.
Au milieu des tables de La Quincaillerie générale, une brasserie de Montrouge où se déroule la rentrée politique des Jeunes Pop des Hauts-de-Seine, on se bouscule, on s'agite, on se met sur la pointe des pieds pour écouter les propositions de l'orateur du soir. Ce mercredi 3 septembre, dans le cadre de sa campagne pour la conquête de l'UMP, Bruno Le Maire a choisi de s'adresser aux juniors de son parti.
Des "Bruno, président" ponctuent régulièrement les propositions du député de l'Eure. La claque est organisée par des militants aux tee-shirts colorés et floqués du slogan "Le renouveau, c'est Bruno". Depuis qu'il s'est lancé, le 11 juin, dans cette course à la présidence de l'UMP, l'ancien ministre de l'Agriculture veut croire à un engouement pour sa campagne. "Je trace ma route, je constate que les salles sont pleines lors de mes meetings, et je me réjouis de l'enthousiasme des militants", confie à francetv info l'ancien directeur de cabinet de Dominique de Villepin.
"Le manuel du bon présidentiable"
Bruno Le Maire ne veut plus se contenter d'un second rôle : "Je suis arrivé au stade où je sens que c’est le moment de vivre pleinement mon engagement politique." L'énarque de 45 ans souhaite rénover sa famille politique affaiblie depuis la guerre Copé-Fillon et l'affaire Bygmalion. D'ici le premier tour du scrutin, le 29 novembre, il assure que rien ni personne, pas même le retour annoncé de Nicolas Sarkozy, ne pourra l'arrêter. Peu lui importe les sondages qui le placent loin derrière l'ancien président dans l'hypothèse où celui-ci finirait par sortir du bois : Sarkozy est à 69%, lui à 29% et Hervé Mariton à 2%, selon la dernière étude de l'Ifop. Prêt au combat, le challenger pense pouvoir créer la surprise.
Pour atteindre ses objectifs, Bruno Le Maire n'a rien laissé au hasard. "Depuis presque deux ans, Bruno quadrille le terrain et rencontre les militants", explique à francetv info Jérôme Grand d'Esnon, son directeur de campagne. Il a développé son réseau avec près de 80 délégués dans tous les départements. Selon son conseiller, cette préparation de marathonien porte ses fruits : "En organisant quelque 200 réunions publiques dans les fédérations UMP, il a pris de l'assurance, son discours a pris de la structure et une colonne vertébrale."
Son ami le député-maire Edouard Philippe, qui défend la candidature d'Alain Juppé pour la primaire, a observé cette progression : "Il a découvert le charme de la vie partisane. Du coup, il est en train d’attraper la fibre militante, chose qu’il n’avait pas avant, par manque d'intérêt." Autre avantage de cette préparation précoce : "En ayant déclaré tôt son envie d'UMP, il n'apparaît pas comme un candidat par défaut", note l'un de ses soutiens, le député Damien Abad.
La démarche de Bruno Le Maire révèle aussi l'élaboration d'une tactique minutieuse. Si le député UMP Thierry Solère, fidèle parmi les fidèles, estime que son champion "n'est pas dans le calcul permanent", il avoue une stratégie réfléchie de son candidat, comme avec la parution, le 11 septembre, de son nouveau livre A nos enfants (Gallimard). "Il a sorti son manuel du bon présidentiable : le tour de France, le livre, la recherche de soutiens parlementaires...", remarque un ténor de l'opposition.
"L’image d'un Bruno Le Maire froid et distant ne colle pas"
Avant, Bruno Le Maire renvoyait l'image d'un technocrate lisse et distant, pur produit de l'élite française. Mais ça, c'était avant, espèrent ses proches, qui multiplient les déclarations pour présenter le candidat sous un autre jour. "C'est quelqu'un de simple, sympa, avec qui on se marre bien", assure son ami Edouard Philippe. "Un bon vivant qui se passe difficilement d'un verre de vin à table", confie la députée Laure de La Raudière, proche soutien du candidat. Damien Abad raconte avoir découvert, sur le terrain, un personnage chaleureux : "Je lui ai conseillé de mettre en avant cette facette à Paris, et de casser l'image du donneur de leçons, opposé au cumul des mandats".
Depuis deux mois, Bruno Le Maire redouble d'efforts pour modifier la perception du public. Le passionné de Kafka et de Thomas Bernhard "se lâche" de plus en plus, comme lorsqu'il déclare au Point (PDF): "A la tête de l'UMP, il faut quelqu'un qui a des couilles !" Il assure qu'il ne se fait pas violence pour changer d'image, mais qu'il révèle sa vraie nature : "Je n’ai pas une obsession de mon image, mais à un moment donné, c’est important de dire qui l’on est avec sincérité."
Dans son dernier ouvrage, au style très personnel, il souhaite se dévoiler aux yeux de ses concitoyens. Il met en avant ses lointaines origines brésiliennes, son attachement à l'Algérie hérité de son grand-père pied-noir : "Les Français vont pouvoir me découvrir tel que je suis, et non pas tel que l’on me décrit. L’image d'un Bruno Le Maire né dans les beaux quartiers, froid, et distant ne me correspond pas." Une perception biaisée qu'il explique par de hautes fonctions occupées très jeune : "Etre directeur de cabinet du Premier ministre à 35 ans demande une certaine gravité et enferme un peu."
Un profil à la Matteo Renzi ?
Le quadragénaire a bâti un projet centré sur le renouveau de l'UMP, avec 18 propositions (PDF) axées sur la transparence et la démocratie. Des thématiques qui prospèrent à l'ombre des exaspérations militantes issues des révélations sur l'affaire Bygmalion. "On a besoin de renverser la table et de se donner un souffle nouveau", argumente Damien Abad, qui croit voir en Bruno Le Maire un profil à la Matteo Renzi, le président du Conseil italien. Pour incarner sa volonté de renouveau, il s'est entouré de jeunes élus comme la Parisienne Delphine Bürkli. Il a également confié la gestion de ses réseaux sociaux à une étudiante de 22 ans. Résultat, le mot-dièse #AvecBLM s'installe progressivement dans la campagne numérique avec, en moyenne, 260 tweets par jour.
Le jeune "quadra" de l'UMP martèle depuis des mois ses idées sur la limitation des mandats dans le temps, ou sur la démission de la fonction publique pour les parlementaires. L'ensemble de sa stratégie est basé sur ce discours de rupture, qui érige le "renouveau" en valeur absolue. Devant les Jeunes Pop, il s'énerve contre la gérontocratie à la française : "A 45 ans, on me reproche presque d’être trop jeune pour être député. A 65 ans, j’aurai peut-être le droit d’être Premier ministre. Et pour président de la République, il faudra que j’attende d’être mort."
"Couper le cordon entre l'ENA et la politique"
Se définissant comme un "énarque défroqué", il souhaite mettre fin à la domination des élites issues de "l'énarchie" : "Dans un monde dominé par le besoin d’innovation, il est essentiel de couper le cordon entre l'ENA et la politique." L'élève de la promotion Valmy propose que les énarques démissionnent systématiquement de la fonction publique quand ils s’engagent en politique. Jouant la carte de l'exemplarité, il a commencé par s'appliquer ce principe : "Je suis radié des cadres de la fonction publique". Un positionnement qui lui apporte d'ailleurs l'inimitié d'une partie de l'UMP, qui lui reproche de verser dans la démagogie.
Certains de ses rivaux à l'UMP doutent de sa capacité à réformer le système. "Il ne s’est pas encore débarrassé de 'l’énarchie', et il n’a pas une assez grande expérience dans la gestion d’un parti", lâche un député UMP proche de Xavier Bertrand. "Il est extrêmement courtois et bien élevé, ce qui pourrait lui poser des problèmes pour bousculer les habitudes", glisse également un autre membre de l'UMP. Marc-Antoine Jamet, son opposant socialiste dans l'Eure, met même en doute la sincérité du candidat : "Dans son département, c'est quelqu'un de manœuvrier, de très caporalisant. Il faut voir, par exemple, comme il a 'dézingué' un à un les partisans de Jean-Louis Debré [son prédécesseur sur sa circonscription]."
Des critiques qui n'atteignent pas Bruno Le Maire, qui préfère s'inspirer de ses aînés. De Jacques Chirac, il garde le sens du contact, de l’échange avec les gens. De Nicolas Sarkozy, il retient l'invention d'un nouveau langage politique. Lui reconnaît ne pas avoir encore trouvé son propre langage, mais il progresse. Que fera-t-il en cas de défaite en novembre prochain ? "Il n’y aura pas de défaite, je ne peux pas l’envisager", glisse-t-il dans un sourire.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.