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CHRONIQUE. L'exécutif face à l'ultradroite, entre complaisance et fanfaronnades

Clément Viktorovitch revient chaque semaine sur les débats et les enjeux politiques. Dimanche 14 mai : les difficultés des autorités à maîtriser et gérer les actions de plus en plus visibles des groupes d'ultradroite.
Article rédigé par franceinfo, Clément Viktorovitch
Radio France
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Temps de lecture : 6min
Une manifestation était organisée dans le 6e arrondissement de Paris samedi 6 mai par le Comité du 9 mai en hommage au militant d'extrême-droite Sébastien Deyzieux. (EMMANUEL DUNAND / AFP)

L'un des meilleurs exemples récents de ces difficultés est la manifestation d’ultradroite qui a eu lieu à Paris le 6 mai dernier. Le préfet de police, Laurent Nuñez, avait expliqué qu’il n’y avait pas de motif pour l’interdire, avant que le miistre de l'Intérieur Gérald Darmanin annonce finalement demander l’interdiction de toutes les manifestations ultranationalistes. Mais ces deux positions sont aussi problématiques l’une que l’autre.

500 individus vêtus de noirs, masqué, cagoulés, tatoués de symboles nazis, exhibant des drapeaux ornés de la croix celtique : voilà le spectacle auquel nous avons assisté dans les rues de Paris. 500 néo-nazis qui défilent sereinement, encadrés par la police, auxquels n’a répondu que le mutisme du gouvernement, puisqu’il aura fallu attendre trois jours pour avoir une réaction de la Première ministre. Elle s’est dite choquée, tout en ajoutant qu’il fallait bien respecter le droit de manifester : on retrouve la ligne de défense du préfet Nuñez.

Cette défense n'est pas totalement convaincante. Le droit de manifester est bien sûr, et c’est heureux, protégé en France. Mais dans le respect de certaines règles. Or, il semble que plusieurs éléments factuels auraient permis à la préfecture d’intervenir. Le premier : une manifestation doit être déclarée au plus tôt 15 jours en amont. Or, comme le note le journal Le Monde, celle-ci a été déclarée le 7 mars : bien avant le délai légal, donc. Voilà, déjà, un argument de pure forme qui aurait justifié l’interdiction. Mais par ailleurs, cette manifestation a lieu chaque année. Chaque année, on y observe des saluts nazis, documentés par des témoignages de riverains et des photos de presse. Je rappelle que le salut nazi tombe sous le coup du délit d’apologie de crime contre l’humanité, comme le confirme la condamnation d’un supporter niçois en octobre 2021. Par ailleurs, chaque année, on constate dans ce rassemblement, des emblèmes issus de l’iconographie hitlérienne, tombant de ce fait sous le coup de l’article R. 645-1 du code pénal. Il me semble qu’il y avait là de solides arguments pour au moins tenter de faire interdire cette manifestation.

Mais ce n'est pas tout. Il n’aura échappé à personne que ces individus avaient soigneusement masqué leur visage. Il me semblait pourtant que le Parlement avait voté, en octobre 2010, une loi interdisant la dissimulation du visage dans l'espace public. Il est vrai que l’objectif de ce texte, à l’époque, c’était surtout d’interdire le port du voile intégral. Mais les lois de la République, une fois votées, s’appliquent à toutes et à tous, pas seulement aux femmes voilées ! Comment expliquer que ces individus intégralement masqués aient pu défiler sans être contrôlés ou verbalisés ?

Cette manifestation a lieu tous les ans, mais le contexte est particulier

Cela fait des semaines que les préfectures prennent des arrêtés anti-casseroles, sur des fondements juridiques fragiles, in fine suspendus, souvent, par la justice administrative. Et là, la préfecture de police ne fait même pas la démarche de chercher à interdire une manifestation néo-nazie ? Pendant la mobilisation contre la réforme des retraites, des centaines de manifestants innocents ont été arrêtés en grappe, au point que la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté dénonce "une instrumentalisation des gardes à vue à des fins répressives". Et là, des militants d’ultradroite peuvent défiler cagoulés à quelques mètres de la police sans être inquiétés ?

Le gouvernement fustige "l’écoterrorisme" de quelques dizaines de militants venus détruire des canalisations, mais reste silencieux face à une idéologie ultranationaliste dont le terrorisme, rappelons-le, a fait trois morts à Paris le 23 décembre dernier, sans parler du meurtre du rugbyman Federico Aramburu il y a un an, ni des huit projets d’attentat déjoués par les services de sécurité depuis 2017, d’après le centre d’analyse du terrorisme ? Quel est le message qui est envoyé ?

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Il y a certes la réaction de Gérald Darmanin, qui demande l’interdiction de toutes les manifestations d’ultradroite, mais le seul problème, c’est que ce n’est pas une réaction forte : c’est une réaction politique. Comme le confirment de nombreux professeurs de droit – Olivier Cahn, Serge Slama, Guillaume Drago – en France, la liberté de manifester est la règle, l’interdiction est l’exception. Interdire une manifestation ne doit se faire qu’au cas par cas, pour des raisons précises. L’annonce de Gérald Darmanin n’est donc pas, seulement, anticonstitutionnelle : elle constitue un glissement antidémocratique. Parce qu’il n’a pas seulement parlé d’interdire les manifestations "d’ultradroite". Il a aussi parlé de "l’extrême droite". Mais ce sont des catégories politiques très floues : où commence l’extrême droite ? N’est-elle pas représentée au Parlement ? Que se passera-t-il si, demain, on parle d’interdire aussi les rassemblements considérés comme "écoterroristes" ou "d’extrême gauche" ? Vous voyez la pente sur laquelle tout cela pourrait nous entraîner ?

Ni complaisance, ni fanfaronnade, mais application ferme des lois de la République : voilà quelle devrait être, selon moi, notre réaction face à l’ultranationalisme.

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