CHRONIQUE. Soulèvement de la terre : vers une criminalisation des luttes politiques ?
C’est donc fait : trois mois après que Gérald Darmanin l’a annoncé en grande pompe, les Soulèvements de la Terre (SLT) ont finalement été dissous par décret lors du dernier Conseil des ministres. Trois mois de tergiversation, car le dossier était juridiquement compliqué. Les Soulèvements de la Terre, ce n’est pas une association, avec des statuts, un bureau, un objet social. C’est un mouvement gazeux, une structure horizontale, sans chef, mais avec des porte-paroles. Sans existence juridique, mais avec une identité propre.
Les Soulèvements de la Terre, ce n'est pas seulement un réseau d’associations, c’est aussi une véritable organisation, que de nombreuses personnes ont choisi de rejoindre, qui a essaimé localement en de multiples relais. Tout cela peut être dissous. Mais est-ce réellement la fin de l’expérience initiée par les Soulèvements de la Terre ? Va-t-on voir le mouvement se reconstituer sous une forme ou sous une autre ? Une partie des activistes choisiront-ils, au contraire, de basculer vers des formes plus souterraines, et potentiellement plus illégales, de contestation ? Les exemples passés nous montrent, en tout cas, qu’une dissolution administrative parvient rarement à étouffer l’expression des aspirations profonde d’une partie de la population.
"Écoterrorisme", une sémantique aux conséquences judiciaires
Difficile donc de savoir si cette dissolution sera efficace. Mais est-elle légitime ? Gérald Darmanin met en avant la violence des Soulèvements de la Terre, qu’il accuse " d’écoterrorisme" . Le ministre de l'Intérieur a employé ce terme après la mobilisation contre le projet de "méga-bassines" à Sainte-Soline (Deux-Sèvres). Un terme totalement outrancier. Ce n'est pas un avis personnel, tous les universitaires qui ont travaillé sur la question – Isabelle sommier, professeure à l’Université Paris 1, spécialiste de la violence politique, Sylvie Ollitrault, directrice de recherche au CNRS, spécialiste du militantisme écologique, ou encore Cyrille Bret, auteur du livre Qu’est-ce que le terrorisme ? – estiment qu’aucune définition juridique sérieuse du terrorisme ne s’applique, de près ou de loin, aux Soulèvements de la Terre. Nous sommes dans le pur abus de langage. L’utilisation de l’accusation la plus abominable qui soit, dans le seul but de stigmatiser un mouvement politique.
Cela fait partie du jeu politique. Mais cette sémantique entraîne, désormais, des conséquences judiciaires. Lundi 5 juin, une quinzaine personnes proches des Soulèvements de la Terre ont été placées en garde à vue. Elles sont soupçonnées d’avoir participé, en décembre dernier, à une action contre la cimenterie Lafarge de Bouc-Bel-Air (Bouches-du-Rhône). Elles ont été arrêtées par la sous-direction antiterroriste (SDAT). Toutes sont ressorties libres, mais certaines garde à vue ont duré 96 heures, au lieu des 24 ou 48 heures habituelles. Quatre jours de jour de garde à vue : le même scénario s’est répété mardi 20 juin, sept autres militantes et militants ont été arrêtées par l’antiterrorisme.
La législation antiterroriste face à la lutte écologiste
La dérive sémantique du ministre de l’Intérieur n’avait rien d’anodin : elle était, au contraire, le préalable à une criminalisation des luttes écologistes. Le mot est fort mais je suis loin d’être le seul à l’utiliser. Par exemple, l’anthropologue Philippe Descola, professeur au Collège de France l’assume lui aussi. L'antropologue est l'auteur de la tribune "Je suis les Soulèvements de la terre" dans L'Obs.
Ce n’est pas la première fois, que des dispositions prévues pour lutter contre le terrorisme sont utilisées contre le mouvement écologiste. En novembre 2015, quelques semaines après que l’état d’urgence a été décrété à la suite des attentats, le même état d’urgence était utilisé par le gouvernement pour assigner des militants écologistes à résidence afin qu’ils ne viennent pas troubler les négociations, lors de la conférence des Nations Unies sur les changements climatiques, organisée à Paris. "C'est vrai, l’état d’urgence nous a servi à sécuriser la COP21", a reconnu l'ancien chef de l'État François Hollande dans l'ouvrage Un président ne devrait pas dire ça..., co-écrit par les journalistes du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme.
En 2017, six chercheurs, en collaboration avec le Défenseur des droits – Jacques Toubon à l'époque – ont étudié les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence. Ils montrent non seulement que les militants écologistes ont été particulièrement ciblés, mais surtout que, dans la plupart des cas, le juge administratif n’a pas été en mesure de contrôler que les libertés publiques soient bien respectées. Leurs conclusions sont terribles : l’état d’urgence est "de nature à encourager le développement d’un état de police". Et qu’on ne s’y trompe pas : depuis, ces dispositifs d’exceptions ont été depuis renforcés par trois nouvelles lois anti-terroristes.
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Que nous autres, citoyennes et citoyens, acceptions de concéder une partie de nos garanties de libertés pour lutter contre le terrorisme, la barbarie, nous pourrions déjà en discuter. Mais que les mêmes dispositifs soient utilisés pour criminaliser des luttes politiques, c’est une dérive qui, je crois, devrait toutes et tous nous alerter.
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