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Commission Sauvé : comment dire l’indicible ?

Tous les soirs, Clément Viktorovitch décrypte les discours politiques et analyse les mots qui font l'actualité.

Article rédigé par franceinfo - Clément Viktorovitch
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3min
Jean-Marc Sauvé remet le rapport de la CIase à Véronique Margron, présidente de la Corref, et Eric de Moulins-Beaufort, président de la CEF, mardi 5 octobre 2021 à Paris. (THOMAS COEX VIA AFP)

Faire prendre conscience de l’inconcevable. Dire l’indicible. C’est sans doute l’un des dilemmes rhétoriques les plus éprouvants qui soit. Et c’est celui auquel étaient confrontées les autorités ecclésiastiques mardi 5 octobre. Plus de 216.000 personnes ont été victimes de violences sexuelles de la part d’un membre du clergé depuis 1950. Au moins 3.000 clercs et religieux s’en sont rendus coupables. Tels sont les conclusions de la Commission Sauvé.

Après la présentation du rapport, Éric De Moulins-Beaufort, archevêque de Reims, président de la Conférence des évêques de France, et Véronique Margron, présidente de la Conférence des religieuses et religieux de France, ont pris la parole. Il leur fallait montrer, par leurs discours, par leurs mots, que l’Église avait pris la mesure de cette tragédie : "Ma honte, mon effroi" ,"Une indignation absolue", "Leur nombre nous accable, leurs voix nous bouleversent", "Une telle tragédie."

Vous l’entendez, les deux responsables religieux ont utilisé le même ressort. Ils ont puisé abondamment dans le champ lexical de l’horreur et du tragique : "honte, effroi, tristesse, indignation, insupportable, infernal, bouleverse, accable". Phrase après phrase, ils agrègent les termes les plus marquants qui soient, afin de montrer qu’ils ont compris l’ampleur du drame.

Décupler la puissance du message par les mots

Nommer les choses, le plus crûment et vivement possible, c’est une première étape. Mais certaines situations sont tellement insupportables, que les mots finissent par ne plus suffire. Aucun d’entre eux ne parvient à épuiser toute l’horreur de la réalité. Et c’est à ce moment que nous avons besoin d’autres outils rhétoriques, au premier rang desquels, les images et les métaphores. Cela, Véronique Margron l’a bien compris. "La grande douleur des enfances emmurées", "Chaque vie plongée dans les abîmes", "Ce fracas de l'intime", "Ces pages de douleur et d'ombre de la mort" : l’intervention de Véronique Margron est saturée de métaphores très vives, qui décuplent sa puissance d’évocation.

Et de fait, la fin de son discours a été saluée par quelques applaudissements. À contrario, le président de la Conférence des évêques de France a, lui, terminé dans un silence de cathédrale. Il y a là un paradoxe sur lequel je voulais insister : parfois, c’est en brodant une image que nous parvenons à donner d’une réalité sa formulation la plus juste, la plus claire.

Et c’est là-dessus que je souhaiterais conclure, en tirant le fil. Je sais que, dans ces chroniques, j’insiste beaucoup sur le fait que la rhétorique permet de tromper, de dissimuler, voire de manipuler. Mais elle permet également d’insuffler de la force à un témoignage. Elle nous aide à prendre toute la mesure des bonheurs et des malheurs du monde. Elle décuple l’impact de nos paroles. Parfois avec malice, c’est vrai. Mais parfois, aussi, avec grandeur.

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