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Ils ont fait l'actu du mardi 15 août 2023. Flore Tercero, avocate lors de l'opération Wuambushu, n'est pas revenue indemne de son expérience à Mayotte

Spécialiste du droit des étrangers depuis 25 ans, l'avocate toulousaine Flore Tercero a représenté des habitants menacés d'expulsion lors de l'opération Wuambushu au printemps dernier, face à ce qu'elle qualifie d'une machine de guerre.
Article rédigé par franceinfo, Sandrine Etoa-Andegue
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Deux gendarmes surveillent le quartier démoli de Talus 2 lors de l'opération Wuambushu à Mayotte, le 25 mai 2023 (PHILIPPE LOPEZ / AFP)

Le 24 avril 2023 marque le premier jour officiel de l'opération Wuambushu à Mayotte. Coup de théâtre la justice suspend ce qui devait être la première destruction de bidonville à Koungu. Le tribunal judiciaire de Mamoudzou a été saisi en référé par une vingtaine d'habitants représentés par un collectif d'avocats, dont Flore Tercero, du barreau de Toulouse, spécialiste du droit des étrangers depuis 25 ans. Pour l'avocate, le report de l'opération est une victoire pour les habitants des quartiers des bangas, ces petites cases mahoraises insalubres.

"Les habitants du quartier de Talus 2 et Majicavo ont réussi à parler aux juges, à parler aux autorités, à s'exprimer sur les conséquences des décisions qui étaient prises à leur encontre."

Des centaines de familles expulsables

C'est un revers pour le gouvernement mais une victoire pour Flore Tercero. À Mayotte, ils sont une dizaine à avoir fait le choix de représenter des habitants expulsables.  Ils se retrouvent à défendre une  centaine de familles, afin que leurs droits soient protégés. Mais la victoire est de courte durée. Les destructions de dizaines de milliers de bangas, que compte Mayotte, ont bel et bien repris malgré les recours.

On se retrouve avec des Français aux Comores, avec des réfugiés aux Comores qui n'ont rien à faire aux Comores et des parents qui ont leurs enfants, qui les attendent à domicile 

Flore Tercero, avocate des habitants des bangas

à franceinfo

En visite sur l'île deux mois après le lancement de Wuambushu, Gérald Darmanin dresse un bilan positif de l'opération. Le ministre de l'Intérieur recense une baisse de 22 % des violences contre les personnes, ainsi qu'un flux des entrants clandestins divisé par trois. Dans une tribune publiée le 14 juin 2023 dans Le Monde, le collectif d'avocats dénonce : à Mayotte, l'État combat la misère par la violence.

Une voix minoritaire puisque l'opération Wuambushu est largement soutenue par les élus et la population de Mayotte. Pour autant, Flore Tercero défend l'action de son collectif.

"Nous avons réussi à démontrer des opérations de démolition illégale. Nous avons réussi à faire modifier des pratiques illégales de la préfecture en matière de rétention, se félicite l'avocate. Nous avons réussi à faire écouter la parole des habitants de ces bangas devant la justice et rien que pour ce moment, je pense que c'est une mission qui a valu amplement le coup d'être organisé à Mayotte."

Des recours rejetés par la justice

Pourtant Flore Tercero constate avec regret qu'aujourd'hui les portes sont fermées par le tribunal administratif de Mayotte, entravant toutes nouvelles actions en justice."Le tribunal valide, en acceptant comme preuve absolue, les dires de l'administration sans aucune vérification.", déplore-t-elle.

Lors de sa visite mahoraise le dimanche 25 juin, Gérald Darmanin a qualifié de "tourisme juridique", les actions des avocats venus en majorité de France hexagonale, défendre les habitants des bangas.

Flore Tercero se défend à son tour en désignant les actions du ministre de l'Intérieur de "tourisme démagogique puisqu'il utilise Mayotte comme tremplin politique sans changer fondamentalement les problèmes de base de cette île, département le plus pauvre de France".

L'avocate rappel les lacunes des services publics sur l'île, où "les médecins partent, où l'éducation et les transports publics ne sont pas assurés".   

 

La seule réponse qu'apporte Darmanin à cette situation, c'est l'envoi de 500 gendarmes pour lutter contre une délinquance que la pauvreté elle-même de l'île nourrit.

Flore Tercero, avocate des habitants des bangas

à franceinfo

L'avocate évoque "les éloignements réalisés sans aucune évaluation de la situation personnelle" . Elle déplore une situation où "l'État français crée des mineurs isolés et cela depuis les années 2010". De tous les dossiers que Flore Tercero a pu traiter, elle désigne l'opération Wuambushu comme étant la plus dure qu'elle n'ait jamais eu à connaître dans son expérience personnelle en tant qu'avocate.

27 avocats pour 400 000 habitants

Elle dénonce "une machine de guerre" et une différenciation territoriale faite entre Mayotte et la France hexagonale, où la situation d'une "soit disante immigration illégale massive fait que les gens sont totalement écrasés".

Mayotte compte 27 avocats pour 400 000 habitants, un ratio en France hexagonale "dix fois plus élévé" selon Flore Tercero. Elle admet s'être sentie "impuissante", ne pas être revenue "indemne" de Mayotte et "d'avoir été blessé dans sa croyance que le droit peut servir à protéger les gens"

Après cette mission organisée dans l'urgence, le collectif réfléchit à installer une présence permanente d'avocats à Mayotte, pour ne pas abandonner les populations sur place.

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