Ils ont fait l'actu. "Jamais, je n'ai pensé accéder un jour à une telle récompense" : en 2023, Jean-Baptiste Andrea reçoit le prix Goncourt

"C'est plus du ressort, dans sa rareté, de gagner la Coupe du monde de football ou une médaille d'or aux Jeux Olympiques", compare l'auteur de "Veiller sur elle", qui confie vivre encore une "dissociation".
Article rédigé par Sandrine Etoa-Andegue
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
L'auteur Jean-Baptiste Andrea, Prix Goncourt 2023. (SANDRINE ETOA-ANDEGUE / RADIO FRANCE)

7 novembre 2023 : très ému, Jean-Baptiste Andrea réagit devant un parterre de journalistes au prix Goncourt qui vient d'être attribué à son quatrième et merveilleux roman, Veiller sur elle, aux éditions de l'Iconoclaste. L'émotion est d'autant plus grande que quinze minutes avant l'annonce, son équipe et lui pensait avoir perdu et "trinquaient à la défaite". L'auteur se rappelle même avoir envoyé un SMS à ses proches pour leur dire qu'il ne gagnerait pas. "Je ressens une joie immense. C'est probablement un des plus beaux jours de ma vie avec celui où, il y a sept ans, j'ai rencontré mon éditrice [Sophie de Sivry, la fondatrice de la maison d'édition de l'Iconoclaste, décédée le 31 mai 2023] qui m'a dit que mon premier roman serait publié".

Dès son premier livre, Ma reine, publié en 2017, à l'âge de 46 ans, après une carrière de cinéaste, Jean-Baptiste Andrea suscite l'enthousiasme de la critique et du public. Avec Veiller sur elle, fresque romanesque sur la rencontre entre un sculpteur virtuose et une brillante aristocrate dans l'Italie de l'entre-deux guerres, le succès continue pour ce talentueux conteur. L'auteur décrit le vertige heureux de l'après Goncourt en expliquant qu'il lui a "fallu deux mois pour" (réaliser). Et même encore aujourd'hui, "quand j'entends quelqu'un me présenter pour une conférence et que j'entends 'le prix Goncourt 2023', je suis dissociée de moi-même. Je me dis : 'Mais c'est moi !'. Jamais, je n'ai pensé accéder un jour à une telle récompense".

En "état de sidération absolue pendant plusieurs mois"

L'écriture a toujours fait partie de sa vie. Depuis tout petit, "mon rêve a toujours été d'écrire. Quand j'ai publié mon premier roman, j'ai vraiment eu cette profonde impression d'alignement avec moi-même". Mais "le Goncourt, c'est tellement improbable, insiste l'ancien scénariste et réalisateur (notamment de Hell Phone en 2007), que ça vous tombe dessus comme la foudre". Jean-Baptiste André se souvient de son "état de sidération absolue pendant plusieurs mois". Quand il lui arrive de regarder sa photo dans les salons du restaurant parisien Drouant où le Goncourt et le Renaudot sont annoncés, il a l'impression qu'on a "photoshopé (sa) tête sur la photo".

Le Goncourt, la plus prestigieuse des disctinctions littéraires françaises n'a rien de comparable, selon lui. "Il y a très peu de choses qui ressemblent aux Goncourt dans le monde. Il y a les Oscars, ça ne ressemble pas aux Goncourt. On peut en avoir plusieurs, on peut en avoir plusieurs la même année, on peut en avoir encore l'année suivante. C'est plus du ressort, dans sa rareté, de gagner la Coupe du monde de football ou une médaille d'or aux Jeux Olympiques, ça va définir votre vie d'une certaine manière".

La "starisation du Goncourt, c'est la starisation de la littérature"

Sa vie a changé mais pas lui, insiste Jean-Baptiste Andrea qui sort d'une immense tournée à la rencontre de son lectorat, dans des festivals et d'un marathon de signatures dans les librairies. "Ça m'a fait gagner quelques rides de fatigue. Je n'ai pas changé, mais en une minute en fait, le regard des gens sur moi change. Je passe de ventes tout à fait confortables - j'avais la chance d'avoir eu un lectorat qui m'a soutenu dès le début, à des ventes faramineuses alors que c'est le même livre, que c'est toujours moi. Tout ça par la grâce et la magie de ce doigt qui s'est posé sur moi. C'est un peu comme si l'Olympe disait : 'Toi !'. Il y a un côté incroyablement excitant, absurde, très émouvant. Ça vous force à l'humilité aussi". Aux gens qui s'étonnent qu'il soit resté le même, malgré son énorme succès, il répond : "Mais comment on peut changer ? D'ailleurs, je pense que les gens qui changent ne changent pas. Ils étaient comme ça avant, s'ils prennent la grosse tête. Et moi, je me suis senti tout petit ce jour-là".

S'il devait retenir une rencontre ou un moment particulier, "il y a eu des centaines de rencontres incroyables, je ne peux pas en isoler une, mais d'arriver au Festival de Brive qui est le premier festival littéraire après le Goncourt, l'un des plus gros festivals de la rentrée et voir une sorte de queue sinueuse, énorme, de gens qui attendent devant mon stand, ça ne m'était jamais arrivé. Alors j'ai beaucoup réfléchi. Est-ce que c'est absurde ou est-ce que c'est formidable ? C'est quand même assez formidable l'excitation autour d'un prix littéraire en France. On se plaint que les gens lisent moins, etc. et là, s'il y a starisation du Goncourt, ça veut dire qu'il y a starisation de la littérature, et c'est bien qu'il n'y ait pas juste Taylor Swift dans la vie...même si je n'ai rien contre Taylor Swift, c'est très bien. Mais c'est formidable finalement cette  starisation de la littérature, alors  c'est sûr, on ne s'attend pas à ce que ça vous tombe dessus..."

Bientôt un film ?

Les ventes de Veiller sur elle dépasse les  700 000 ventes, un chiffre considérable alors que cette année, il y a eu de nombreux débats sur la rémunération des auteurs. Jean-Baptiste Andre assure mesurer l'immense privillége de pouvoir vivre de sa plume depuis plusieurs années, "grâce notamment à une activité de traducteur" et parce que ses quatre livres ont séduit le lectorat.

"Je ne me réveille plus la nuit en me demandant si on me va me saisir ma maison."

Jean-Baptiste Andrea, Goncourt 20223

à franceinfo

"J'ai conscience qu'avoir une maison ou un appartement en tant qu'auteur, c'est déjà une grande chance, confie Jean-Baptiste Andrea. Évidemment, les ventes du Goncourt me permettent d'envisager l'avenir avec plus de sérénité pour la première fois de ma vie et c'est énorme".

Pour autant, le combat pour une meilleure reconnaissance "des artistes-auteurs, pas que des écrivains", il le porte depuis longtemps. "C'est un combat qui m'est très cher et je ne m'en n'exclus pas, je ne m'en extrais pas sous prétexte que j'ai eu cette chance-là". Il évoque ce combat à la moindre occasion. "En France et en Europe, les artistes auteurs se battent pour la reconnaissance d'un statut. Ça fait des années qu'on supplie les gouvernements successifs d'arrêter la maltraitance administrative. Ce combat, il est précieux. Il est d'autant plus important dans une société qui, soi-disant, exalte ses Lumières et le talent artistique, mais en fait ne reconnaît que les gens qui ont réussi", cingle t-il. Après les librairies, le succès de Veiller sur elle se poursuivra peut-être à l'avenir dans les salles. Le Goncourt sera prochainement adapté au cinéma. Le nom du réalisateur italien est encore confidentiel.

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