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Budget 2024 : l’Union des aéroports français s’oppose à une nouvelle taxe sur l’aérien et "se réserve la possibilité d’effectuer un recours juridique"

Le projet de loi de finances 2024 prévoit une nouvelle taxation des concessions aéroportuaires, notamment. Thomas Juin, président de l’Union des aéroports français (UAF) et directeur de l’aéroport de La Rochelle, explique pourquoi il y est opposé.
Article rédigé par Camille Revel
Radio France
Publié
Temps de lecture : 8min
Thomas Juin, président de l’Union des Aéroports Français (UAF), et directeur de l’aéroport de La Rochelle (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

Le projet de loi de finances, le budget 2024, sera présenté le 27 septembre en conseil des ministres. Parmi les pistes sur la table, une nouvelle taxation des concessions autoroutières, mais aussi aéroportuaires.

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Thomas Juin, président de l’Union des Aéroports Français (UAF), et directeur de l’aéroport de La Rochelle, y est totalement opposé. Il dénonce "un coup porté au secteur aérien alors [qu’il sort] à peine d'une crise sans précédent". L’UAF attend de voir le texte, et les contours de la mesure, mais se réserve la possibilité de l’attaquer en justice.

franceinfo : Si la mesure est inscrite dans le projet de loi de finances, comprendriez-vous la mise en place d’une nouvelle taxe sur les concessions autoroutières et aéroportuaires ?

Thomas Juin : Nous ne connaissons pas exactement les contours encore du texte, alors que nous ne sommes qu'à quelques jours de la présentation en conseil des ministres, ce qui est quand même assez surprenant. Mais ce que je peux vous dire, c'est qu’il s'agit de lever un nouvel impôt, il faut être clair, sur le secteur aérien, de l'ordre de 500 millions d'euros sur quatre ans, c’est un chiffre qui revient constamment. Nous ne comprenons pas. Mais c'est surtout un coup porté au secteur aérien alors que nous sortons à peine d'une crise sans précédent dans l'histoire de l'aviation. Je rappelle qu'en 2020, nous étions à terre, le trafic s'était effondré et nous sortons à peine de cette situation avec un trafic en 2023 qui ne sera pas encore au niveau de 2019. Donc apprendre à la rentrée que l'on va mettre un nouvel impôt sur le secteur aérien de 500 millions d'euros, autant vous dire que nous sommes abasourdis, sidérés !

Vous êtes convaincu que ce sera ce montant-là, que cette taxe-là sera mise en place ?

Encore une fois, nous n'avons pas de papier sur le sujet. Ce sont des informations qui circulent, et on comprend en effet que ce serait de cet ordre-là.

Si une telle taxe est mise en place, iriez-vous, en tant qu'Union des aéroports français, devant la justice ?

On attend de voir le texte. Mais clairement, on se réserve la possibilité d'effectuer un recours juridique en fonction de ce qui sortira. Je crois qu'il faut être clair sur le sujet.

"L'État se sert des aéroports comme supplétif pour finalement dévier de ses engagements vis-à-vis des sociétés autoroutières."

Thomas Juin, président de l’UAF

franceinfo

Ce qu'il faut savoir, c'est que c’est un détournement de procédure. Il y avait un engagement de neutralité fiscale, aujourd'hui pour arriver à ses fins, finalement, l'État se sert des aéroports. Ce qu'on vit très mal, c'est que nous sommes finalement les victimes collatérales d'une situation dans laquelle l'État ne respecte pas sa parole. Et nous considérons ça comme un mépris du secteur aérien qui ne doit pas être un supplétif, qui est essentiel pour le pays et l'économie. Donc encore une fois, nous ne comprenons pas et nous sommes extrêmement choqués de la situation.

Vous nous dites que le trafic aérien en 2023 ne reviendra pas au niveau de 2019. Avez-vous des chiffres sur l’état du secteur ?

En effet, il y a une dynamique cet été qui a été relevée par tous. Il faut raison garder. Nous avons déjà des situations très contrastées entre les aéroports. Certains aéroports sont à la peine, d'autres sont très dynamiques en fonction du trafic. Mais ce qu'il faut vraiment retenir, c'est que, après quatre ans, pratiquement depuis 2019, nous ne retrouvons toujours pas en 2023 le niveau 2019. Il nous faudra pratiquement cinq ans pour retrouver ce niveau. La situation va dans le bon sens, mais elle est encore très fragile.

Le ministre des Transports, Clément Beaune, a déclaré : "Les secteurs qui émettent le plus de gaz à effet de serre, la route, l'avion, vont se décarboner et vont financer les secteurs les moins polluants comme le train". Est-ce que c'est un discours que vous comprenez ?

Ce discours est en contradiction avec les objectifs qui ont été fixés à notre secteur. Aujourd'hui, l'enjeu, c'est que le secteur aérien puisse se décarboner le plus vite possible. Si le gouvernement réduit les ressources du secteur, clairement, qu'est-ce que va faire le secteur ? Il va devoir réduire ses investissements, freiner sa décarbonation. Donc, l'enjeu, c'est que le secteur puisse disposer des ressources pour sa décarbonation, par rapport au ferroviaire. Le ferroviaire a ses problématiques d'enjeux de financement.

Le ferroviaire, on le sait très bien, ne constitue pas une alternative crédible à l'avion sur l'ensemble des faisceaux.

Thomas Juin, président de l’UAF

franceinfo

Donc nous, ce qu'on dit simplement, c'est qu'avec une mesure de ce type, c'est un risque réel que les aéroports décrochent dans leur capacité d'investissement pour se décarboner, pour se moderniser.

Avez-vous des échanges réguliers avec le gouvernement ? On le rappelle, le budget 2024 n'est pas finalisé, tous les arbitrages ne sont pas rendus, continuez-vous à discuter ?

Bien sûr, puisque nous sensibilisons le gouvernement sur le fait que les investissements d'aujourd'hui préparent la décarbonation de demain. Tous les aéroports ont un programme d'investissement, une feuille de route qui pourrait être remise en cause sur le calendrier et qui ralentira le processus de décarbonation. Nous ne perdons pas espoir de convaincre le gouvernement d'être cohérent avec la feuille de route de décarbonation du transport aérien.

Il y avait une autre hypothèse, elle aussi évoquée par Clément Beaune : alourdir la fiscalité sur les billets d'avion. Qu’en pensez-vous ?

Moi, je suis perplexe quand j'entends dire que l'avion ou les billets d'avion ne coûtent pas si cher. Déjà, les prix de quelques euros dont on parle, ce sont des prix d'appel, ce n'est pas la réalité des faits. Et puis quand même, on nous dit constamment que l'avion est réservé aux privilégiés. On a démocratisé ce secteur. La libéralisation du transport aérien en Europe a permis cela. Et on s'entend dire que l'avion ne coûte pas assez cher alors qu'on offre l'accès à l'avion au plus grand nombre. Je crois qu'on manque de pragmatisme en France. Moi, ce que je note, c'est que ce type de mesure, personne ne se bouscule en Europe, dans les autres pays pour la porter et donc on en appelle à la France. Je pense que le secteur aérien, les aéroports sont malmenés et je crois que la France, si elle ne revoit pas sa position par rapport à notre secteur, va le payer. Car il ne faut pas oublier que le secteur a des retombées énormes en termes d'économies, en termes d'emplois. Il ne faut pas sous-estimer l'impact sur les territoires. Il est essentiel que la France fasse preuve de pragmatisme pour assurer la décarbonation de notre secteur.

Si une taxe sur les concessions est mise en place, ou une nouvelle taxation des billets d'avion, y aura-t-il une répercussion des coûts sur les passagers ?

Oui, ça pourrait être répercuté en fonction de la nature de cette taxe. Mais pour vous donner un exemple, aujourd'hui il y a tout un modèle économique, toute une régulation qui est instituée dans le secteur. Les aéroports ne peuvent pas, par exemple, répercuter librement leurs coûts. On a affaire à une inflation déjà de coûts sur nos aéroports, plus de 10% pratiquement partout, et donc on ne peut pas déjà répercuter ces coûts sur les compagnies aériennes, car il y a le principe de la modération tarifaire sur les redevances. Donc demain, si on nous rajoute un impôt, que va-t-on faire ? Je pense que l'essentiel sera une réduction de nos investissements, donc une modernisation des aéroports qui était prévue, qui ne se fera pas, une décarbonation qui se ralentira. Et donc il est essentiel que le gouvernement laisse les marges de manœuvre au secteur pour pouvoir assumer ses coûts.

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