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Pénurie d'aides à domicile : "Les aides à la toilette ou à l'alimentation se réduisent au quart d'heure", alerte Vincent Vincentelli, directeur à l'UNA

Depuis le scandale des Ehpad Orpea, la demande des Français à vieillir à la maison a explosé, mais les structures d'aide à la personne n'arrivent pas à répondre à la demande. Alors que les effectifs nécessaires sont à la hausse dans les prochaines années, la branche fait déjà face à un très grand déficit de personnel.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Vincent Vincentelli, directeur des politiques publiques de l'association de l'UNA, l'Union nationale de l'aide, des soins et des services à domicile (FRANCEINFO / RADIOFRANCE)

La proposition de loi sur le "bien veillir" est revenue lundi 20 novembre à l'Assemblée, pour tenter d'anticiper le viellissement de la population. Mais alors que la méfiance envers les Ehpad grandit après le scandale Orpea , les Français optent en majorité de rester à domicile, avec une aide quotidienne. D'après une étude récente de l'IPP, l'Institut des politiques publiques, il faut recruter massivement des professionnels pour la prise en charge des personnes âgées dépendantes ces prochaines années. Mais les entreprises spécialisées dans l'aide à la personne n'arrivent plus à faire face à la demande, à cause du manque d'attractivité des emplois.

franceinfo : Vincent Vincentelli, vous êtes le directeur des politiques publiques de l'association de l'UNA, l'Union nationale de l'aide, des soins et des services à domicile. Est-ce que vous avez constaté un boom des demandes de maintien à domicile plutôt que des placements en Ephad ces dernières années, et notamment depuis l'affaire Orpea qui a éclaté il y a presque deux ans ?

Vincent Vincentelli : Plus qu'un boom de l'augmentation, ce qu'on a constaté, c'est un boom des refus. De plus en plus de services ne peuvent pas intervenir par manque de personnel, ou doivent prioriser leurs interventions pour les actes les plus importants. Mais on passe du coup de la vie à domicile à la survie à domicile pour les personnes âgées.

Dans le même temps, je vois dans une étude récente de l'IPP, l'Institut des politiques publiques, qu'il faut recruter massivement des professionnels pour la prise en charge des personnes âgées dépendantes ces prochaines années. Les effectifs, selon cette étude, doivent augmenter de 40% en 20 ans.

40%, c'est énorme, mais on n'arrive déjà pas à faire face à maintenant en 2022.

"La branche de l'aide à domicile a ouvert 40 000 postes, 25 000 sont restés vacants. On a plus qu'un déficit, c'est un gouffre de l'attractivité dans les services à domicile."

Vincent Vincentelli

à franceinfo

Comment est-ce que vous l'expliquez ?

On l'explique parce qu'on a des salaires qui ne suivent pas. Le Ségur n'a proposé qu'un rattrapage, on était trop bas bien avant et les conditions de travail dégradées se dégradent de plus en plus. C'est assez majoritairement, et nous le regrettons, un emploi à temps partiel, ce qui fait que ces salaires, même revalorisés, sont des salaires à temps partiel et donc restent en dessous du SMIC mensuel.

Alors le gouvernement a quand même conscience qu'il faut de l'argent pour la dépendance, pour accompagner le "bien vieillir". Toujours selon cette étude de l'IPP, il faut que 4,5 milliards d'euros supplémentaires d'ici 2040 pour accompagner ce qu'on appelle désormais le "virage domiciliaire".

Oui, pour prendre un virage, il faut de l'essence. Et ça, c'est vraiment ce qui manque. Mais malheureusement, encore faut-il que l'argent arrive au service.

"Certes, le gouvernement a beaucoup investi, il y a eu des mesures. Mais le problème, c'est que ces mesures s'ajoutent à un existant qui est trop fragile."

Vincent Vincentelli

à franceinfo

Et donc, c'est un édifice qui risque de s'effondrer malgré tous les ajouts bénéfiques qu'on peut rajouter dessus.

Alors vous avez commencé à parler de ces ajouts. Un tarif plancher national d'intervention est fixé à 23 euros de l'heure. Il était de 22 euros en 2022, il n'a donc été revalorisé que d'un euro.

23 euros de l'heure, c'est ce que versent les départements. Mais le coût de revient d'un service est estimé, par toutes les fédérations, à environ 32 euros de l'heure. Donc si la puissance publique veut payer moins, et elle va payer moins, elle va rogner sur les heures d'intervention. Ce sont des plans d'aide de plus en plus réduits.

"Des interventions lourdes comme les toilettes, les aides au lever, les aides à l'alimentation, se réduisent à la demi-heure ou au quart d'heure. Et pour les salariés, c'est de plus en plus d'interventions par jour."

Vincent Vincentelli

à franceinfo

Comment ça un quart d'heure ? On ne peut pas intervenir un quart d'heure ?

Bien sûr que si, mais on minute tout maintenant : on arrive, on bipe, et si on dépasse d'une minute, la minute en plus n'est pas financée. Et du coup, pour remplir les plannings des intervenants, on met de plus en plus de déplacements, donc de plus en plus de fatigue, donc de plus en plus de sentiment d'inutilité, de plus en plus de maltraitance pour les personnes âgées.

Donc vous, qui aujourd'hui représentez les associations à but non lucratif qui vont auprès de ces personnes âgées, vous n'arrivez pas à recruter et les heures, vous n'arrivez pas forcément à les payer ?

Exactement. Sauf à se dire qu'on va faire payer en plus les personnes. Mais à ce moment-là, c'est faire des services pour les personnes âgées, qui veulent vivre à domicile, riches. Et ça c'est l'enjeu de demain, à qui fait-on supporter le coût de l'intervention à domicile ? Aux personnes ou à la nouvelle branche qu'on a créé ? C'est une des mesures phares mais on ne voit pas très bien ce qu'elle prend en charge encore à domicile.

Vous pensez que c'est aux pouvoirs publics de financer ces heures, ou est-ce qu'il faut finalement qu'il y ait un reste à charge pour les familles de ces personnes âgées dépendantes ?

Il y a déjà ce barème légal à 23 euros, mais il n'est pas appliqué. Il est souvent dépassé parce que si les structures ne le dépasse pas, elles font faillite. Elles font payer en plus aux personnes, car si elles ne le font pas, elles doivent combler les salaires pour garder des salariés et elles font faillite.

Alors qu'est ce que vous préconisez ?

"L'idée est de sortir de ce financement à l'heure. Ce tarif socle était une fausse bonne idée. Il faut un tarif à la personne, à la complexité de la personne."

Vincent Vincentelli

à franceinfo

C'est quelque chose qu'on vient de faire pour les services de soins infirmiers à domicile, justement. Adapter ce modèle-là, c'est ce que la ministre a déclaré lors de l'annonce de sa feuille de route le 17 novembre. Elle a annoncé une sortie définitive de la tarification horaire dans les prochains mois. Mais malheureusement, ce qui a été déposé comme amendement du gouvernement à la proposition de loi "bien vieillir", c'est une expérimentation jusqu'en 2027. D'ici là, les services, en 2027, il n'y en aura plus pour faire le bilan de cette expérimentation !

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