Thierry Marx, président de l'Umih : "On est très solidaires des agriculteurs parce qu'on vit à peu près la même chose"

Les syndicats de l'hôtellerie et la restauration, l'Umih et le GHR, se sont unis pour réclamer l'aide de Bruno Le Maire pour renégocier les contrats d'électricité. Thierry Marx, chef étoilé et président de l'Umih, l’Union des métiers et des industries de l'hôtellerie, est l'invité éco de franceinfo.
Article rédigé par Camille Revel
Radio France
Publié
Temps de lecture : 7min
Thierry Marx, chef étoilé et président de l'UMIH. (franceinfo)

Thierry Marx est un chef étoilé, président de l'Umih, l'Union des métiers et Industries de l'hôtellerie, c'est la première organisation professionnelle des cafés, hôtels, restaurants et discothèques. Il vient d'écrire au ministre de l'Economie avec la présidente du Groupement des hôtelleries et Restauration de France.

franceinfo : Vous en appelez à Bruno Le Maire pour renégocier les contrats d'électricité. Vous parlez de prix hors-sol ?

Thierry Marx : Oui, ce sont des prix hors-sol qu'on n'arrive plus à absorber pour beaucoup d'entreprises. Et 88 % des entreprises nous disent que la facture d'électricité est venue télescoper leur trésorerie et aujourd'hui, beaucoup sont à la peine pour faire face à leurs obligations. Le coût de production que nous impose ce coût de l'énergie n'est pas gérable.

Expliquez-nous concrètement, les restaurateurs, les cafetiers, les hôteliers ont des factures et des contrats dont le montant grimpe à combien ?

Des factures qui ont été régulées, bien sûr, mais elles ont augmenté de deux à trois fois et on a connu beaucoup plus. Donc c'est énorme dans l'impact que ça peut avoir sur l'entreprise. Et quand ces entreprises veulent renégocier des contrats, eh bien les pénalités de sortie sont extravagantes. Donc on en appelle à Bruno Le Maire sur le coût de l'énergie pour sauver certaines entreprises, et puis aussi de nous permettre de mieux négocier avec ces fournisseurs d'énergie qui sont incontrôlables par moments.

Selon une enquête que vous avez menée, vous les deux organisations professionnelles, 10 à 15% des professionnels seraient même liés par des contrats avec des tarifs dépassant les 350 € le mégawattheure.

Exactement et on a eu un tarif qui était un peu plus régulé avec l'aide de l'État et de Bruno Le Maire et de ses services. Mais aujourd'hui, ce n'est plus acceptable et on ne peut pas laisser les entreprises avoir un coût de production aussi élevé. D’autant plus que les prix de la production, on ne peut pas les répercuter sur les prix de vente. Donc, aujourd'hui, beaucoup d'entreprises sont à la peine et sont à la limite de la rupture de paiement. N'oublions pas que nous remboursons aussi les prêts garantis par l'État lié à la crise Covid.

Est-ce que vous avez essayé de discuter avec les fournisseurs d'électricité ?

Si on n'a pas l'aval de l'État, c'est très difficile de négocier avec les fournisseurs. Vous ne négociez pas avec Total Énergie, avec Engie ou EDF aussi facilement que cela. Peut-être que la facilité a été plutôt du côté d'EDF, reconnaissons-le, ils nous ont reçus immédiatement. Mais pour les autres fournisseurs d'énergie, c'est beaucoup plus compliqué. Et quand on a effectivement l'aval de Bercy, les portes s'ouvrent un peu plus vite.

En attendant, comment faites-vous ? Est-ce que vous répercutez vos coûts sur vos prix ?

Non, on ne peut pas les répercuter. Aujourd'hui, ça vient télescoper la trésorerie de l'entreprise pour ceux qui avaient encore une trésorerie. Mais certains sont vraiment à la peine. N'oublions pas qu'en 2023, plus de 7 000 entreprises ont fermé.

Comment, justement, va-t-il votre métier ? Comment va votre secteur ?

Il est en pleine zone de turbulences pour des changements divers et variés. Le président de la République a parlé d'un monde qui change, on est en plein changement de ce monde. On voit une ubérisation extrêmement forte de notre société qui est constatée aujourd'hui et qui impacte beaucoup nos entreprises. Donc énormément d'entreprises ont aujourd'hui des modèles économiques qui ne répondent plus à cette force qui est en train de les bousculer et on est en grandes difficultés. Donc c'est une zone de turbulences qui est assez forte. On est très solidaires des agriculteurs parce que nous vivons à peu près les mêmes choses, avec une succession de normes excessives et en même temps des coûts de production que nous ne pouvons pas répercuter.

Vous allez au Salon de l'agriculture ?

Bien sûr, on se sent toujours très solidaires du monde agricole. L'alimentation est la zone sensible de notre métier.

Vous qui êtes un chef, à hauteur de restaurateurs, que peut-on faire pour aider le monde agricole ?

D'abord, il faut essayer de regarder ce qu'on peut faire pour faire de bons produits, pour que ces produits aient un impact social, environnemental et nutritionnel, bien évidemment. Un impact social pour qu'on rémunère l'agriculteur à sa juste valeur. Et puis d'arrêter de faire en sorte que le prix de l'alimentation soit la variable d'ajustement du pouvoir d'achat. Le problème, c'est que c'est très ancien. C'est cette théorie du low cost, où vous renoncez à la qualité, au fait des petits prix. Donc ça a étranglé les marges de tout le monde et notamment celle des agriculteurs. Et aujourd'hui, on ne sort pas de cela. On s'était dit qu'après le Covid, on ferait un monde meilleur et finalement, on est reparti dans la guerre des prix. Donc écraser des marges et notamment celle des agriculteurs. Ce n'est plus acceptable aujourd'hui et il faut trouver des solutions pour permettre à des gens d'avoir du pouvoir d'achat sans mettre une pression excessive sur le coût des matières premières.

Vous privilégiez les produits français ?

Produits français, circuits courts, bien évidemment, mais encore faut-il pouvoir les mettre en œuvre et puis défendre l'idée du bon produit. Moi, j'ai la chance d'être dans une association, dans un label qui s'appelle Bleu-Blanc-Cœur et j'ai fait rentrer Bleu-Blanc-Cœur dans ce monde de la restauration. Bleu-Blanc-Cœur, c'est 7 000 agriculteurs aujourd'hui qui ont changé de mécanisme de production et qui finalement s'en sortent plutôt bien. Ils sont solidaires de leurs confrères agriculteurs, mais on ne les a pas beaucoup entendus sur ces manifestations parce que leur modèle est plutôt vertueux.

Comment vous projetez-vous sur 2024 ? Quels vont être les grands enjeux pour ces professions que vous représentez ?

D'abord de voir les signaux forts que sont les Jeux olympiques, est-ce que ça va être la fête au village ou simplement ce qu'on vit à chaque fois au travers des Jeux olympiques ? Que ce soit à Londres, à Rio ou à Tokyo, en gros, c'est 70 à 75% de taux d'occupation assurés quasiment pour les hôtels. Ça, c'est plutôt bien parce que c'est une période, juillet août, qui n'est pas forcément une période forte dans les grandes villes. Mais en même temps, nous avons une pénurie de personnel, 200 000 postes sont encore à pourvoir dans nos métiers. Donc il va falloir s'adapter et tenter de passer ces moments difficiles. Donc quand je dis zone de turbulence de 2024, c'est une donne de turbulence qui est toujours une zone périlleuse.

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