Guerre en Ukraine : qui est Victor Talanov, l’ingénieur russe qui vend des chars gonflables aux Ukrainiens pour tromper l’armée russe ?
Victor Talanov est russe, exilé en République tchèque où il fabrique des chars gonflables qu’il vend aux Ukrainiens pour tromper l’armée russe. Son entreprise, Inflatech est installée à Décin, plein ouest, à la frontière allemande. Depuis le début du conflit, les Tchèques fournissent énormément d’armes à l’Ukraine, considérant que défendre Kiev, c’est aussi défendre le territoire tchèque, même si la Pologne se trouve entre les deux pays.
Certes, on parle bien d'armes gonflables, mais cela n’empêche pas le ministère de la Défense tchèque de valider chaque contrat d’exportation comme pour des armes réelles. Il faut dire qu’étant russe, Victor Talanov est quand même surveillé d’assez près.
Du trampoline au leurre militaire
Comment se retrouve-t-il aujourd’hui sur ce marché très particulier ? En fait l’histoire commence avec des montgolfières, Victor Talanov qui a aujourd’hui 49 ans, fait des études d’ingénieur à l'Institut d'aviation de Moscou. A sa sortie, il travaille un peu pour Siemens et IBM, puis rejoint l'entreprise de son père et apprend ce métier du gonflable avec lui : ils font des trampolines, des costumes… et des leurres militaires, comme c’est écrit noir sur blanc sur son compte Linkedin. Mais assez vite les relations se tendent, le jeune Victor secoue un peu les méthodes de production du père. Et progressivement, il est de plus en plus mal à l'aise vis-à-vis du régime de Vladimir Poutine, alors que l'armée russe est l'un de leur client "officieux".
Il y a neuf ans, en 2014, Talanov Junior trouve donc des partenaires en République tchèque, et monte sa société là-bas, cela marche tellement bien, que, au bout de cinq ans, il déménage côté tchèque, avec femmes et enfants. Officiellement, il ne dit pas qu’il travaille pour l’armée ukrainienne et n’a pas voulu le confirmer à nos confrères du Monde qui sont allés lui rendre visite récemment. Mais il a admet avec une pointe d’ironie que : "Poutine avait fait du bon marketing pour eux, et qu’ils avaient doublé leur chiffre d’affaires en 2022." L’usine emploie aujourd’hui 25 couturières.
Quatre-vingt kilos pour un char Abrams
Le résultat est bluffant, la trentaine de modèles gonflables va des SA-8, qui sont les systèmes antiaériens très mobiles censés intercepter les avions et les hélicoptères de combat, aux lance-roquettes et il produit bien sûr des chars T72 ou Abrams. Pour se faire une idée, le vrai Abrams, qui est le plus utilisé, pèse 54 tonnes : là, ses modèles pèsent 80 kilos, et encore, en comptant le gonfleur – que le moteur soit électrique ou thermique. Le patron, pour reprendre un terme de couture, est conçu par ordinateur, imprimé sur du tissu. Les différents morceaux sont alors cousus par ces couturières hautement qualifiées parce que c'est un tout petit peu plus complexe qu'une jupe ou un pantalon.
Chercher à leurrer les avec des chars gonflables, la méthode semble d’un autre âge. On pense aux Alliés pendant la Seconde guerre qui avaient semé le doute chez les nazis avec cette opération "Fortitude" qui visait à les tromper sur le lieu du débarquement. En Ukraine, des témoins rapportent qu'ils ont bel et bien vu des leurres… en bois ! Difficilement déplaçable… Mais pas encore les gonflables... Le scénario, tel que le raconte Victor Talanov est le suivant : lorsque les Ukrainiens reçoivent une alerte sur la présence d’un système d’artillerie ennemie, en cinq minutes ils cachent les vrais tanks et les remplacent par les gonflables.
Pendant ce temps-là, son père équipe les Russes
Il existe même un leurre de chauffage et de miroirs pour tromper les radars ou les caméras thermiques la nuit. Tout cela se déplie et se replie très facilement à deux – comme une tente de camping. Cela coûte évidemment moins cher : à peu près 25 000 euros par pièce. Et cela permet de conserver plus longtemps les vrais chars. Pendant ce temps-là, le père Talanov, en Russie, vend toujours ses chars à l'armée russe. Pour tromper l’armée ukrainienne… Le site d’investigation russe The Insider l’a révélé au début du mois d’avril. Et c'est ce qui rend l’histoire inouïe : imaginer les leurres du fils et ceux du père, face à face, sur certaines parties du front ! Le fils dit que les siens sont les meilleurs, y compris que ceux des Chinois, qui ont l'air de gros matelas pas très crédibles. Victor Talanov le sait : il n’est plus le bienvenu en Russie. S’il remet un pied là-bas, il risque aujourd'hui vingt ans de prison.
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