Attaques jihadistes, accusations d'exactions, massacres de civils... Le départ annoncé des militaires français a-t-il changé la donne au Mali ?
Au Mali, l'ONU tente d'enquêter sur plusieurs massacres de civils perpétrés depuis l'annonce du retrait des troupes de la force Barkhane. De nombreux témoignages sont recueillis sur place. La situation actuelle n'étonne pas l'armée française.
Alors que la guerre en Ukraine occupe les esprits, la situation continue de se dégrader au Mali, et ce depuis le début de l'année. Si les soldats français de l'opération Barkhane sont en train de quitter le pays, sur place, la liste d'attaques jihadistes et les accusations d'exactions contre les soldats maliens n'en finit plus de s'allonger. Et aussi, comme en Ukraine, des accusations de massacres de civils.
Des témoignages accablants
Les situations dans les deux pays sont différentes, mais les armées russes et maliennes sont toutes les deux accusées de massacrer les civils. Depuis le début du mois de mars, les opérations antiterroristes, comme les appellent Bamako dans les communiqués, ont dégénéré au moins trois fois : une trentaine de meurtres et de disparitions de civils mauritaniens près de la frontière malienne, début mars, une trentaine de charniers de corps brûlés à Ségou au même moment, et, enfin, à Moura, fin mars cette fois, où au moins 300 villageois exécutés, selon une ONG. À chaque fois, les survivants désignent les soldats maliens, accompagnés d'hommes blancs qui ne parlent pas français. Les mercenaires russes du groupe Wagner sont soupçonnés.
L'ONU aimerait enquêter, mais, écrit dans un rapport présenté le 7 avril 2022 que "les forces armées maliennes ont affirmé dans un communiqué avoir neutralisé 203 terroristes qui contrôlaient la zone. Mais dans le même temps, la MINUSMA a reçu des témoignages d'exactions contre des civils". Si "la mission pu procéder à une reconnaissance aérienne", l'ONU ajoute que "les autorités maliennes n'ont pas accepté qu'un détachement de casques bleus soit déployé au sol".
L'État major malien n'a, lui, pas donné suite aux sollicitations de franceinfo, mais parle sur les réseaux sociaux d'un "vrai professionnalisme" de ses soldats, et de "désinformation étrangère".
Ces accusations de massacres ne surprennent pas vraiment la France et les Européens. Elle étaient, si ce n'est prévues, au moins prévisibles. Les militaires français confient ainsi qu'ils se doutaient bien qu'avec l'arrivée des mercenaires de Wagner pour les remplacer au côté des Maliens, le risque de dérapages violents était grand. "Les forces armées maliennes étaient dans un dynamique vertueuse de montée en puissance. Passer sous le contrôle de mercenaires russes n'est pas une bonne nouvelle pour elles, les exactions le montrent, estime ainsi le colonel Pascal Ianni, porte-parole du chef d'état major des armées françaises. On assiste à la réapparition de certains travers, et il est difficile d'être optimiste pour le Mali dans les mois à venir".
Rupture et désorganisation
Dans toute guerre, les civils sont les premières victimes. Les jihadistes massacrent les villageois s'ils ne sont pas assez complaisants avec eux, et les militaires massacrent les villageois en les désignant comme terroristes. Avec, en toile de fond, une armée qui reste corrompue, des rivalités ethniques (touaregs, peuls, dogons, etc...) et un millier de mercenaires russes peu réputés pour leur discernement et le respect des droits.
>> Opération Barkhane : le retrait de la France divise au Mali
Le départ annoncé des militaires français de Barkhane a changé la donne. Aujourd'hui, les soldats français au Mali se concentrent sur la fermeture des trois bases restantes : Gossi très prochainement, Ménaka avant l'été et Gao, la plus importante, à la rentrée. Ils se concentrent aussi sur la sécurité aux abords de ces bases et autour des axes routiers empruntés par les convois logistiques des centaines de camions qui déménagent, petit à petit, les milliers de tonnes de matériel. Les groupes jihadistes évoluent donc plus facilement, comme l'explique colonel le Pascal Ianni, porte-parole du chef d'état major des armées.
"Ce qu'il faut comprendre, c'est que la forme de rupture avec les pays qui étaient alliés ou présents au Mali depuis 2013 se traduit par une désorganisation des forces armées maliennes, et la fin d'une d'une dynamique vertueuse qu'on observait depuis plusieurs mois. Elle s'exprimait par des opérations quasi permanentes, et une présence quasi permanente auprès de la population", explique le colonel.
"Le fait de lever le tempo opérationnel se traduit logiquement par une moindre présence et donc par une plus grande liberté d'action pour les groupes armés terroristes."
Colonel Pascal Iannià franceinfo
Le "parapluie" Barkhane, qui n'était pas étanche à 100%, a perdu en efficacité au profit des civils avec ce retrait annoncé. Un dispositif qui s'est même fermé complètement pour les soldats maliens, jusqu'à la rupture entre Paris et Bamako. Quand des militaires maliens étaient attaqués jusque dans leurs camps par des centaines de jihadistes, Barkhane envoyait alors rapidement avions, drones et troupes en renfort. Mais c'est terminé, car Bamako a interdit une partie de son espace aérien aux vols français.
Résultat : des combattants de la branche sahélienne d'Al Qaïda ont attaqué le camp de Mondoro début mars, faisant 70 victimes côté forces armées maliennes. Il y a un an, quand cette même base avait été attaquée, avions et hélicoptères français avaient permis de disperser les assaillants.
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