"C'est la guerre, mais il faut bien manger !" : en Ukraine, malgré les combats, les agriculteurs au travail dans les champs
L’Ukraine va-t-elle pouvoir rester un des "greniers à céréales" du monde ? Alors que le pays est en guerre depuis plus d’un mois, la saison des semis commence et l’enjeu est de taille.
L’Ukraine est le quatrième exportateur mondial de blé et de maïs. Malgré la guerre, tout est fait pour maintenir cette production. Pour nourrir la planète mais aussi, d’abord, pour se nourrir. Les tracteurs sont à nouveau dans les champs depuis quelques jours. Scènes parfois étranges d’un agriculteur qui laboure entre un check-point et une batterie de lance-roquettes…
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Dans un nuage de poussière, Gricha sillonne une immense parcelle à la terre très noire à une quarantaine de kilomètres d’Odessa, dans le sud de l'Ukraine : "On est en train de semer du lin, on fait aussi des lentilles et du millet. On a repris le travail mi-mars, on a répandu les engrais… La guerre, c’est la guerre. Mais il faut bien manger !" Principal défi pour l’exploitation agricole de Gricha : trouver du carburant. Son patron se démène chaque jour pour réunir les quelque 2 000 litres nécessaires à alimenter quotidiennement quatre tracteurs.
"On espère la fin de la guerre pour pouvoir récolter"
Dans le village voisin de Perchotravneve, Serguy possède une ferme plus modeste. Il avait pu remplir sa cuve cet automne. "Bien sûr que la guerre a apporté des problèmes, dit-il. On a du mal à trouver des herbicides et on ne sait pas combien ça va coûter. Pour les engrais, on a déjà payé deux fois plus cher."
La main-d’œuvre est bien là : les agriculteurs, qui représentent un actif sur six en Ukraine, sont exemptés de mobilisation. Mais pour le maire du village, Vassyl Khmilenko, également propriétaire terrien, tout est encore incertain : "On est inquiets, comme tout le monde. Les roquettes volent, les bombes explosent, la guerre est tout près dans la région de Mykolaïv. Mais bon, on investit, on sème, et on espère que cette guerre va finir, pour pouvoir récolter."
"La question n’est plus de savoir si c’est rentable ou pas. Il faut juste nourrir la population et éviter la famine."
Vassyl Khmilenkoà franceinfo
C’est évidemment plus compliqué dans les régions encore plus proches des combats : autour de Kharkiv, Donetsk, Kherson, qui sont d’importantes régions productrices de céréales. Dans les bureaux de Demetra Agro, un des dix plus gros semenciers d’Ukraine, le fondateur Guennadi Smolniuk présente ses grains d’orge et de maïs prêts à être semés. Les combats, dit-il, pèsent déjà sur ses ventes : "On a eu moins de commandes dans certains endroits touchés par les opérations militaires. C’est impossible d’y transporter les semences. La baisse est d’environ 20%. Et pour les autres clients, on a fait des facilités de paiement : les agriculteurs nous paieront quand ils auront récolté."
Selon le ministère ukrainien de l'Agriculture, la guerre risque de d’amputer d’un tiers les surfaces cultivées. Petit répit pour le blé, semé à l’automne, qui est en train de verdir à la surface des champs.
L'Ukraine a des réserves
En temps normal, l’Ukraine produit dix fois ce que sa population consomme. Et elle a des réserves, affirme Vladislav Tchertchel. Il dirige l’Institut de la culture du grain à Dnipro : "Sur 106 millions de tonnes de céréales, légumineuses et oléagineux récoltés l’an dernier, il en reste la moitié dans des entrepôts en Ukraine. Cela correspond à trois ans de consommation nationale. Mais, ajoute-t-il, certains stocks ont déjà été saisis par les Russes dans les territoires qu’ils occupent, notamment à Berdiansk."
Par précaution, il y a trois semaines, le gouvernement ukrainien a soumis à quota ou autorisation la plupart des exportations agricoles, qui sont de toute façon au point mort. Dans le port d’Odessa sur la mer Noire, le terminal des grains, avec ses immenses silos métalliques, est totalement à l’arrêt. "80% de nos exportations se font par la mer, mais la Marine russe bloque tout, affirme Vadim Tereschuk, vice-président de la commission des Affaires économiques d'Odessa. 200 à 300 navires sont bloqués, et trois bateaux de commerce ont même été bombardés. Les Russes ont aussi frappé le port de Mykolaïv, les infrastructures sont touchées. Et on ne peut pas exporter par train, il n’y a pas les capacités."
"Si la guerre se poursuit encore un mois ou deux, ce sera une catastrophe alimentaire pour le monde."
Vladislav Tchertchelà franceinfo
Ce serait aussi un coup dur pour l’Ukraine qui doit financer sa guerre. Les exportations de produits agro-alimentaires lui ont rapporté l’an passé 25 milliards d’euros, soit 15% de la richesse nationale.
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