"Depuis qu'elle est là, ma mère revit" : la colocation entre personnes âgées dépendantes, alternative à l'Ehpad
De plus en plus de familles se tournent vers des logements alternatifs aux Ehpad pour leurs proches. franceinfo vous emmène visiter une colocation pour personnes âgées dépendantes, en Franche-Comté.
Bienvenue à Grandfontaine, dans la banlieue de Besançon (Doubs). Ici, la société Âges et vie gère une colocation de personnes âgées. "C'est une maison double. On a quatorze locataires", explique Patricia, la maîtresse de maison, qui dirige les six auxiliaires de vie de la structure. "On s'occupe d'eux du lever au coucher : les toilettes, le ménage, les repas...", liste-t-elle. La colocation entre personnes âgées dépendantes est l'une des solutions en vogue pour les familles qui souhaitent avoir recours à un placement différent des Ehpad pour leurs proches. En effet, la crise sanitaire et le scandale Orpea ont sérieusement terni la réputation de ces établissements.
"Là, c'est la pièce centrale dans laquelle ils prennent tous les repas : petit-déjeuner, déjeuner, dîner", indique Patricia en poursuivant la visite. Les colocataires bénéficient même d'un espace extérieur. "Le midi il fait un peu chaud mais hier soir, par exemple, ils ont mangé dehors." L'autre maison de la colocation, de "plain-pied" se trouve en contrebas. "Ils peuvent faire le tour, tout est dallé", rassure Patricia.
Au sein de la colocation, chacun a sa chambre d'une trentaine de mètres carrés avec sa salle de bains et, s’il le souhaite, ses meubles. Leur seule contrainte est de déjeuner ensemble. "Avec mon mari, nous sommes venus voir et ça lui a plu alors nous sommes restés", raconte ainsi Paulette, 88 ans, attablée avec les autres colocataires. Lui meurt un an après mais Paulette décide de rester, notamment car la cohabitation se passe bien même si certains colocataires "ne causent pas". "On fait avec", balaie-t-elle.
"On a une maison qui est bien dirigée : on mange bien, tout est soigné... Notre patronne a fait l'école hôtelière, c'est le top quoi ! On est gâtés avec elle."
Paulette, colocataire de 88 ansà franceinfo
Ici, la principale différence avec un Ehpad est que l'établissement n'est pas médicalisé : il n'y a donc ni infirmier, ni aide-soignant en permanence. Cependant, plusieurs soignants – médecin, infirmière, kinésithérapeute – se déplacent à la demande et pour les urgences.
Par ailleurs, chaque colocataire a un bip d'alerte et une astreinte est assurée jour et nuit par la maîtresse de maison ou son adjointe, qui habitent aussi sur place. Tout est donc fait pour que les différents degrés de dépendance physique puissent être accueillis. "Nous avons une dame grabataire et on la garde parce qu'elle ne se met pas en danger et respecte les autres. Elle a donc toute sa place chez nous", affirme Patricia.
Une formule qui séduit, des investissements en hausse
La colocation de personnes âgées a un tel succès que les groupes investissent massivement pour les développer. Ainsi, Âges et vie, qui gère déjà une centaine de colocations, en construit 70 actuellement. Elle vise 300 établissements d'ici trois ans. D'autres groupes s'y mettent également : Domani a ouvert une structure à Pessac, près de Bordeaux (Gironde), et en envisage une dizaine d'autres ; Cosima a ouvert son premier établissement à Lourdes (Hautes-Pyrénées) et Chez Jeannette propose également plusieurs résidence en Île-de-France.
Le prix est également un facteur d'attractivité, avec un reste à charge moyen de 1 600 euros à Grandfontaine, ce qui est moins cher de quelques centaines d'euros qu'un Ehpad classique.
"Je veux que ma maman meure heureuse. Je ne voulais pas qu'elle meure dans la tristesse et à l'abandon comme plein de gens sont morts pendant le Covid-19."
Floriane, maman d'une colocataireà franceinfo
Floriane a placé sa mère Marcelle, 101 ans, après une expérience difficile lors de la crise sanitaire. "À Noël, je l'ai prise à la maison pendant quatre jours. À son retour, ils l'ont confinée une semaine. Elle n'avait plus le droit d'aller avec les autres." Un jour, Marcelle oublie et descend dans la salle à manger. "Elle s'est faite rabrouer." Marcelle demande alors à quitter l'établissement. "Elle m'a dit : 'Je ne veux plus rester là. De toute façon, je veux mourir'."
Alors que Floriane cherche à la voir, on le lui interdit, raconte-t-elle. "Il y a même une responsable qui m'a dit : 'Vous la verrez quand elle sera en fin de vie'. On ne pouvait pas la sortir comme on voulait de l'Ehpad." Elle s'organise donc pour inventer une fausse visite chez l'ophtalmologue et réussit à faire venir sa mère chez elle quelques jours plus tard. "Depuis elle va mieux, elle revit."
Une filiale gérée... par Korian
La colocation entre personnes âgées est-elle donc la solution parfaite, loin des dérives de certains Ehpad ? Ce contre-modèle proposé par Âges et vie est pourtant une filiale de Korian, qui possède 300 Ehpad en France. "Sans Korian, on ne pourrait pas se développer sur toute la France, explique Julien Comparet, chargé de la communication d'Âge et vie. C'est grâce à eux qu'on a pu avoir des financements du Crédit agricole assurances et de la Banque des territoires."
Il entend malgré tout les réticences mais les écarte. "Ils [Korian] participent au développement d'Âges et vie et ils ont aussi compris que c'était un dispositif assez vertueux, qui avait beaucoup d'avenir. Il y a toujours une petite inquiétude par rapport à Korian. Mais elle peut être levée très vite après avoir visité une maison et discuté avec des colocataires."
Le groupe Korian est pourtant très critiqué pour son modèle économique, proche de celui d’Orpea. On a notamment reproché à Korian de ne consacrer que 4,35 euros par jour à nourrir ses pensionnaires. À Grandfontaine, les colocataires dépensent 7 euros par jour et par personne pour les courses. Que se passera-t-il si Korian veut baisser les coûts, comme dans ses établissements traditionnels ? "On ne peut pas changer le modèle parce qu'il fonctionne comme ça et il a fait ses preuves depuis dix ans", assure Julien Comparet.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.