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Guerre en Ukraine : dans les coulisses de la visite sous haute tension de l'AIEA à la centrale de Zaporijjia
La plus grande centrale nucléaire d’Europe, le site de Zaporojjia, est l'objet de toutes les inquiétudes depuis qu’elle est passée sous contrôle russe et qu’elle a été touchée par plusieurs bombardements. Ce jeudi, une délégation de l’Agence internationale de l’énergie atomique a pu visiter le site. Pour la première fois depuis le début du conflit, des journalistes ont également pu y pénétrer : franceinfo y était.
Ce qui frappe lorsqu'on arrive à Zaporijjia, c'est d'abord la taille impressionnante du site industriel, avec ses six réacteurs nucléaires au bord du fleuve Dniepr, large comme un lac à cet endroit. Un lieu immense et surtout désert : presque aucune voiture n'est garée sur les parkings, personne ne circule dans les allées. Le personnel ukrainien, qui travaille sous contrôle russe depuis que l'armée a pris la centrale, est réduit au strict minimum, uniquement pour entretenir et surveiller les réacteurs à l'arrêt.
La centrale de Zaporijjia est l'objet de toutes les craintes et toutes les tensions, après plusieurs bombardements en août. Moscou et Kiev s'accusent mutuellement de ces frappes, qui menacent la sûreté de la zone. Les missiles, tombés à proximité des réacteurs, peuvent causer des fuites de substances radioactives, voire créer un accident nucléaire. Alors, pour évaluer la sécurité du site et inspecter l'installation, les experts de l'Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA) se sont rendus sur place jeudi 1er septembre.
"Une violation de son intégrité physique"
Les traces de bombardement ne sautent pas aux yeux : les bâtiments sont bien entretenus, les allées sont bordées de fleurs... Au premier coup d'oeil, rien ne laisse présager d'un risque imminent. Mais, à une petite centaine de mètres du réacteur numéro 6, se trouvent les restes d’une roquette plantée dans le sol. Les inspecteurs de l'AIEA ont tout de suite noté qu'au vu de sa position, elle semblait venir du côté russe. Les militaires russes présents ont immédiatement expliqué qu’avec l’inertie, la roquette s’était retournée en entrant dans la terre.
Les dirigeants de Rosatom, le constructeur de centrale russe, ont ensuite emmené les inspecteurs de l’AIEA voir d’autres bombardements, juste à côté d’une dizaine de grandes cuves remplies de diesel. "À quatre heures ce matin, l’armée ukrainienne a commencé à bombarder la ville et la centrale, dénonce un dirigeant de Rosatom. Ces citernes sont régulièrement bombardées avec des obus à fragmentation."
"C’est effrayant de penser à ce qui se passerait si ces 240 tonnes de fuel s’enflammaient. Ici à Enerhodar, il n’y a pas de moyens pour éteindre rapidement ce type d’incendie."
Un dirigeant de Rosatomà franceinfo
Et lorsque Rafael Grossi, le chef de l'AIEA à la tête de la délégation d'experts, lui demande s'ils ont les moyens de déterminer d’où viennent ces tirs, son interlocuteur répond par l'affirmative : "Évidemment ! Évidemment..."
Pourtant, les deux camps se renvoient la balle et s'accusent d'être à l'origine des bombardements, qui menacent la centrale. Si les tirs n'ont fait que des dégâts mineurs, le niveau de tension reste extrêmement important. Pendant la visite, des tirs d'artillerie se faisaient entendre à quelques kilomètres. La centrale se trouve au coeur d'une zone de guerre et beaucoup de voix appellent à démilitariser le site pour ne pas risquer la sûreté nucléaire mondiale.
Les Russes ne se sont d'ailleurs pas privés de faire planer des menaces à peine voilées devant les inspecteurs.
"Ce qu’il faut comprendre, c’est que tant que les Ukrainiens ne cesseront pas de bombarder la centrale, l’Ukraine, la Russie, l’Europe courront un grand danger. Et ce n’est pas de la politique !"
Un dirigeant de Rosatomà franceinfo
"Nous ne voulons pas la guerre", a ajouté ce dirigeant de Rosatom, ce qui a provoqué une réaction un brin agacé de Rafael Grossi, le patron de l'AIEA. Les forces russes affirment que la centrale de Zaporijjia est dans un état de sûreté satisfaisant, ce qui semble être confirmé par l’absence de traces de radioactivité anormale autour du site. Mais les inspecteurs de l'AIEA ne sont restés que trois heures sur place, ce qui n’est pas suffisant pour pouvoir poser un diagnostic précis. Néanmoins, Rafael Grossi a bien souligné que le contrôle russe de la centrale était "une violation de son intégrité physique".
15% de la production électrique en Ukraine
La centrale de Zaporijjia se distingue d'abord par son importance et sa taille : elle est la plus grande en Europe avec ses six réacteurs de 1000 MW, et représente 15% de la production électrique ukrainienne. Si elle restait à l'arrêt sous contrôle russe, l'hiver pourrait être encore plus compliqué pour les Ukrainiens. De leur côté, les Russes manquent de moyens de production électrique pour alimenter la Crimée, annexée en 2014, et les territoires qu’ils viennent de conquérir : ils pourraient donc être tentés de mettre la main sur les ressources du site de Zaporijjia. Un militaire russe affirmait lors de la visite que Rosatom préparait le remplacement des équipes ukrainiennes par des équipes russes pour piloter la centrale.
Cette visite de la centrale de Zaporijjia était exceptionnellement couverte par la presse étrangère. Des conditions de travail très particulières parce que vous ne voyez que ce que l’on veut bien vous montrer, mais qui sont souvent l’un des rares moyens d’accéder à ces zones sous haute surveillance. Les Russes ont aussi autorisé la présence des médias étrangers pour une opération de communication publique : cela permet d'affirmer devant le monde entier que ce sont les Ukrainiens qui bombardent la centrale, un fait invérifiable, mais qui permet aussi de mettre une certaine pression sur les experts de l'AIEA.
"Nous avons pu en quelques heures rassembler beaucoup d'informations. Nous allons poursuivre nos analyses, nous avons accompli quelque chose de très important aujourd'hui, et le plus important c'est que l'AIEA reste ici. Faites savoir au monde que l'AIEA reste à Zaporijjia !"
Rafael Grossi, de l'AIEAà franceinfo
L’AIEA doit revenir sur le site de Zaporijjia ce vendredi, et demande à installer une mission permanente sur la centrale, une requête que les Russes ne semblent pas décidés à leur accorder.
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