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Logement social : 20 ans après la loi SRU, les communes françaises toujours loin du compte
On savait déjà que les communes soumises à la loi SRU, qui oblige les grandes villes françaises à avoir 20 ou 25% de logement social, ne la respectaient que peu. On sait désormais dans quelle proportion : elles ne sont que 4 sur 10 à remplir leurs obligations légales.
Vingt ans après l'entrée en vigueur de la loi Solidarité et renouvellement urbain (SRU), qui oblige les villes concernées à avoir 20 ou 25% de logements sociaux, on est donc encore loin du compte. "Est-ce que ça m'étonne ? Non", répond franchement Thierry Repentin, maire PS de Chambéry et président de la commission nationale SRU.
"On est sur une année historiquement basse de construction de logements sociaux, avec à peu près 85 000 logements construits alors que, il y a trois ans, on en était à 115 000. Et l'an prochain, tous les spécialistes s'attendent à ce qu'on soit plutôt aux alentours de 60 000", détaille Thierry Repentin. C'est une division par deux en quatre ans.
"Un succès"
Dans le détail, ce sont 1 163 villes qui sont en deçà du seuil de logement social imposé, sur les 2 157 où cette loi s'applique. Elle ne concerne que les communes de plus de 3 500 habitants (ou 1 500 habitants pour la région parisienne), qui appartiennent à une agglomération de plus de 50 000 habitants, comportant une commune d'au moins 15 000 habitants. En clair, cette loi s'applique dans les moyennes et grandes villes situées dans les grosses agglomérations.
"Pour autant, je veux vous dire que c'est un succès. Plus de la moitié des logements sociaux construits aujourd'hui le sont sur des communes en rattrapage", ajoute Thierry Repentin. Et de fait, cette loi fonctionne. Depuis son entrée en vigueur, alors même que le nombre de communes concernées a augmenté, la proportion de villes avec un taux SRU de moins de 15% de logements sociaux a diminué. Cela représente désormais 30% des communes concernées, contre 43% en 2004.
Parmi les bons élèves, il y a la commune de Saint-Denis-les-Bourg, dans la périphérie de Bourg-en-Bresse, dans l'Ain. La commune est passée en 20 ans de 3 à 17% de logements sociaux. Le résultat d'une politique volontariste sur le sujet, assure le maire de la commune, Guillaume Fauvet. "Aujourd'hui, je vous mets au défi de regarder et d'identifier au premier coup d'œil ce qui est de l'habitat social ou ce qui est de l'habitat en accession à l'habitat privé", lance l'élu, qui défend des logements sociaux de qualité, dotés d'une place de parking et de rangements. Est-ce une fierté d'avoir ainsi progressé ? "Une fierté, je ne sais pas, mais c'est une satisfaction. Je considère que le droit d'habiter est un droit fondamental. Et puis, c'est une certaine forme de reconnaissance des efforts qu'on a pu réaliser. Ça ne s'est fait pas tout seul."
"La dernière opération qui a été livrée, on avait 21 logements, on a eu 400 demandes."
Guillaume Fauvet, maire de Saint-Denis-les-Bourgà franceinfo
À l'inverse, d'autres communes peinent à faire décoller leur taux SRU pour se rapprocher de leurs obligations légales. C'est le cas de Générac, dans le Gard, près de Nîmes. La commune de 4 000 habitants plafonne depuis 2011 entre 2 et 3% de logements sociaux, et paye "entre 100 et 120 000 euros par an", dit le maire LR, Frédéric Touzellier. "C'est une voirie tous les ans qui s'en va", déplore l'édile, élu depuis 2008. "Quand la loi est passée, le législateur a pris le nombre de logements, et a dit : 'il faut 20% de logements sociaux'. Comme il m'en manquait 350, je suis parti avec un déficit important", constate Frédéric Touzellier.
Il dénonce le mode de calcul de la loi SRU. "Sur l'existant, on part avec rien. On aurait dû dire, à partir de 2011, qu'on regarde ce qui se fait dans la commune et qu'il faut entre 20 et 25% de logements sociaux par rapport aux nouvelles habitations", plaide l'élu.
"Comment voulez-vous qu'on rattrape 350 logements ? Premièrement, on défigurerait le village, on ferait des ghettos. Deuxièmement, il y a pas assez de foncier. Dans cet État jacobin, on pose un truc et après on se démerde. Les cocus, c'est toujours les mêmes."
Frédéric Touzellier, maire LR de Généracà franceinfo
S'il y a bien des raisons qui peuvent complexifier la construction de logements sociaux, Thierry Repentin note surtout une forme de résistance à la loi SRU. "C'est sans doute, de la mandature Jospin, la loi qui a été la plus combattue", note le maire PS de Chambéry. "Il y a parfois des territoires où, pendant les campagnes électorales, on affirme qu'on veut une ville qui soit une ville où il n'y a pas de problème et donc pas de logements sociaux. Alors même que ces villes fonctionnent parce que vous avez des personnes qui se lèvent le matin pour nettoyer les bureaux dans lesquels vous travaillez, s'occupent de vos enfants à l'école pour les faire manger, s'occupent de vos personnes âgées dans les résidences autonomie pour les soigner."
"Aujourd'hui, un instituteur est éligible aux logements HLM, ajoute Thierry Repentin. Et dans mon département de la Savoie, le directeur de la police m'appelle en disant : 'Monsieur le Maire, est-ce que vous pouvez m'aider à loger des policiers' ?"
"Je ne sais pas si la résistance à la loi SRU est hypocrite, mais elle est politiquement engagée."
Thierry Repentin, maire PS de Chambéry, président de la commission nationale SRUà franceinfo
"Quand vous n'avez pas de foncier disponible, vous construisez où ?"
En région parisienne, la commune de Jouy-en-Josas, dans les Yvelines, n'a de son côté dû son salut qu'à HEC. La ville plafonnait sous les 10% de logements sociaux jusqu'en 2016, avant de faire un bond spectaculaire. Au 1er janvier 2022, la commune comptait ainsi 47,87%. Que s'est-il passé entre les deux ? "HEC a réhabilité et conventionné ses chambres d'étudiants, qui sont devenues du logement social", raconte la maire de la ville, Marie-Hélène Aubert. "On ne voyait pas le bout du tunnel", confie-t-elle, arguant des contraintes dans une commune où le foncier manque, est cher et les contraintes nombreuses à cause de nombreux bâtiments classés.
"Quand le préfet m'a dit : 'Vous êtes décarencée en 2020', j'ai eu l'impression qu'on m'ouvrait une cage."
Marie-Hélène Aubert, maire de Jouy-en-Josasà franceinfo
Le manque de foncier et la cherté des terres sont des contraintes que de très nombreux maires évoquent. Globalement, le contexte national est compliqué pour le logement social, explique Isabelle Le Callennec, maire de Vitré, en Ille-et-Vilaine, et coprésidente du groupe de travail Logement de l'Association des maires de France (AMF). "L'environnement national n'est pas du tout favorable à la construction de nouveaux logements sociaux", assène-t-elle. Elle cite notamment la baisse des APL, qui a grévé le budget des bailleurs et offices HLM, la suppression de la taxe d'habitation, qui a amputé les communes d'une partie de leurs moyens financiers, ou encore le "zéro artificialisation nette". "Quand vous n'avez pas de friches ou que vous n'avez pas sur votre territoire de foncier disponible, vous construisez où ?", interroge Isabelle Le Callennec. "La Première ministre a annoncé 1,2 milliard d'euros pour le logement social à Dunkerque sur trois ans. Mais ces chiffres-là, on les a déjà entendus des dizaines de fois", cingle l'élue LR.
Élargir la loi SRU, un bonus pour les bâtisseurs... Les maires ont des pistes pour changer les choses
Outre les contraintes, le maire de Générac dénonce aussi une injustice, une "inégalité" entre les communes. "Le logement social doit être partout. Moi, j'ai des communes à côté qui ont 10 000 ou 12 000 habitants, qui ne sont pas dans la loi et qui n'ont pas de logements sociaux, déplore Frédéric Touzellier. Nous, c'est prouvé, au niveau du Scot du Gard, qu'il manque des logements sociaux aussi dans les communautés de communes de moins de 50 000 habitants." Il voudrait donc supprimer ce critère d'agglomération pour une règle plus simple : toutes les communes de plus de 2 000 habitants devraient être soumises à la loi SRU. Ainsi, assure-t-il, il serait possible de résorber plus rapidement le manque de logement social.
"On pourrait, sur les dotations, avoir un bonus pour les maires bâtisseurs. Il faut qu'il y ait un encouragement, défend Isabelle Le Callennec. Aujourd'hui, rien n'est fait pour vous encourager à faire, vraiment."
"En supprimant la taxe d'habitation, le gouvernement nous a tiré une balle dans le pied. Donc c'est vraiment important, quand on respecte les engagements, qu'on soit récompensé financièrement."
Isabelle Le Callennec, maire LR de Vitréà franceinfo
L'objectif serait ainsi de passer de la politique du bâton à celle de la carotte en matière de logement social.
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