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Témoignage
"J’ai payé pour qu’ils m’oublient" : ces jeunes russes qui font tout pour ne pas se retrouver sur le front de la guerre en Ukraine
Roman*, 28 ans, vit dans une grande ville de Russie où il travaille comme éducateur. Jusqu'à présent, il a tout fait pour éviter l'armée. Préférant verser un pot de vin, l'équivalent de 250 euros, pour ne pas faire son service militaire. "J’ai payé pour qu’ils m’oublient. Disons… qu’ils ont perdu mes papiers d’identité… exprès !" Comment éviter d’être envoyé au front, en Ukraine ? C’est la question que se posent des milliers de jeunes russes, alors que la contre-offensive ukrainienne se profile. En septembre dernier, Vladimir Poutine avait annoncé une "mobilisation partielle" provoquant la fuite à l’étranger de centaines de milliers de personnes. Des craintes ravivées en Russie avec le vote, le 11 avril, d'une nouvelle loi permettant de mobiliser les réservistes par voie électronique.
Avant la guerre, le service militaire était obligatoire en Russie de 18 à 27 ans. Mais depuis la loi a changé : c'est de 18 à 30 ans, ce qui fait que Roman, à 28 ans, ne pourra pas échapper à la vague d'appel du mois d'octobre. "Je me sens dupé. Parce que tu planifies ta vie, tu fais des plans, tu as envie de te réaliser. Mais au final, ils te trompent, et tu deviens un jouet, la pièce d’un immense jeu sanglant et inutile. C’est pour ça que je veux fuir."
De plus en en plus difficile d'éviter les convocations
Avec la mobilisation électronique, il sera bientôt presque impossible d'éviter les convocations. Elles devraient arriver directement sur une plateforme de service public que tout le monde utilise en Russie. "Ouvert/pas ouvert... lu, ou pas", le document sera considéré comme reçu par les autorités. Jusque-là, les convocations devaient être remises obligatoirement en mains propres. Un réserviste pourra dorénavant être mobilisé par voie électronique même si l'ordre est remis à un tiers. "Pour l’instant, ce n’est pas en fonction. Mais quand ça va être le cas, on le saura vite, et ça sera effrayant. Ça va aller vite et ce sera le début des ennuis".
Il ne sera plus possible d'emprunter de l'argent auprès des banques, ni de vendre ou d'acheter une voiture ou un appartement. Ne pas se présenter au bureau de recrutement signera une sorte de mort sociale. Roman, lui, a décidé de quitter la Russie pour la Moldavie. Il prévoit de partir au moins de septembre, juste avant l'envoi des convocations.
>>> Guerre en Ukraine : ces Russes qui craignaient une deuxième vague de mobilisation
Ce jeune homme prévoit de quitter le pays par ses propres moyens. Mais il existe désormais beaucoup de groupes d'entraides, sur internet. Groupes qui ont fleuri sur Telegram, un réseau social très utilisé en Russie. Il y a par exemple cette chaîne idite lessom. En russe, ça veut dire, en gros : "partez, barrez-vous dans les bois". Créée au lendemain de la mobilisation, elle regroupe aujourd'hui des centaines de volontaires, juristes, psychologues, disponibles sept jours sur sept. Depuis le début du conflit, le groupe a aidé 8000 personnes à éviter l'armée et reçoit en ce moment 600 à 700 appels par jour. Grigory Sverdlin, réfugié en Géorgie, est à l'origine de l'initiative.
"Nous recommandons de ne pas aller dans les bureaux de recrutement, de ne pas vivre là où vous êtes domicilié."
Grigory Sverdlin, à l'origine d'un groupe d'entraide pour échapper à la mobilisation russesur franceinfo
"Malheureusement, il n'y a presque plus de moyens légaux d'éviter d'être convoqué, souligne Grigory Sverdin. Nous recommandons de faire une procuration chez le notaire au nom de vos amis proches ou à celui de membres de votre famille, pour avoir représentant légal au cas où on vous mobilise. Nous recommandons de faire un transfert de vos biens au nom de vos proches ou à des amis, pour que vous ne perdiez pas la possibilité de les gérer. Ce sont les recommandations essentielles. Pour le reste, il n'y a pas de généralités, ça dépend des cas personnels."
"Épuiser les ressources" de la Russie
Autre chaîne Telegram, avec plus de 40 000 abonnés, celle du mouvement Résistance féministe anti-guerre. Un mouvement dont fait partie Daria Serenko, elle aussi réfugiée en Géorgie de passage récemment à Paris. "La plupart du temps, les guerres prennent fin quand l’un des deux côtés n’a plus de ressources économiques ou en hommes, note Daria Serenko. Donc, selon nous, la tâche des mouvements anti-guerre est d’épuiser les ressources du pays, par tous les moyens, pour que Vladimir Poutine ait moins d’hommes sous la main, moins d’argent. C’est ce qu’essaie de faire de son côté la communauté internationale. Que Vladimir Poutine ait moins de ressources, et que l’Ukraine, au contraire, en ait plus. Il n’y a que ça qui peut aider."
En attendant, Roman, lui, ne peut parler à personne, ou presque de sa volonté de fuir le pays : "Non, c’est dangereux. Il faut que je choisisse mes mots, je dois parler au second degré. Si je me trouve avec quelqu’un qui partage mes points de vue, nous communiquons avec beaucoup de précautions, nous nous soutenons, mais cela ne dépasse pas ce cadre." Alors que les autorités russes s'en défendent, Roman, lui en est persuadé : il y aura bientôt, dit-il, une deuxième vague de mobilisation.
* le prénom a été modifié
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