Reportage
"C'est leur Vietnam" : à Berkeley, la mobilisation étudiante pour Gaza rappelle le passé contestataire de l'université américaine

La guerre à Gaza continue d'enflammer les campus universitaires américains. Le mouvement, qui a commencé à Columbia, s'est étendu à Los Angeles mais aussi à Berkeley, près de San Francisco.
Article rédigé par Sébastien Paour - édité par franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Des étudiants ont installé leurs tentes devant l'université de Berkeley, près de San Francisco, aux États-Unis. (SÉBASTIEN PAOUR / RADIOFRANCE)

Cela fait deux semaines que les premières tentes ont été dressées sur le campus californien de Berkeley, près de San Francisco, et il y en a désormais plus de 150. Alors que plus de 2 200 arrestations ont eu lieu lors des mobilisations étudiantes contre la guerre à Gaza aux États-Unis, les revendications à Berkeley se déroulent dans le calme. Il n'y a pas eu d'intervention de la police ou d'évacuation, comme à UCLA, à Los Angeles.

Berkeley est l'une des universités les plus prestigieuses du monde, liée à 114 prix Nobel et dont les anciens élèves ont fondé, par exemple, Apple ou Ebay. Mais c’est aussi sur cette place qu’est né le mouvement de libération de la parole étudiante. C’est là qu'ont eu lieu les premières arrestations d’étudiants qui distribuent des tracts en faveur des droits civiques pour les Noirs en 1964, mais aussi que Martin Luther King a appelé à une "révolution des valeurs" en 1967 devant la foule rassemblée contre la guerre du Vietnam. Et c'est encore sur ces marches qu’a lieu le mouvement contre l'apartheid en Afrique du Sud, dans les années 1980.

"Mettre la pression" à la direction

Un passé que les étudiants connaissent bien et auquel ils s'accrochent pour obtenir gain de cause. Comme Judy, en deuxième année de Sciences politiques, ils demandent notamment la fin des investissements liés à la guerre à Gaza.

"L'université l'a déjà fait pour le Vietnam, l'Afrique du Sud", énumère-t-elle, en citant aussi la décision prise par l'université, "il y a environ deux ans", de couper "les liens avec les entreprises de combustibles fossiles". "Elle l'a déjà fait, et elle peut le refaire", assure Judy. "Ils ont juste besoin qu’on leur mette la pression." L'étudiante cite, notamment, les 427 millions de dollars que Berkeley investit dans Blackrock, un gestionnaire d’actifs qui détiendrait des participations dans des fabricants d’armes. 

"On va continuer, jusqu'à ce qu'ils se débarrassent de certains investissements."

Judy, une étudiante de Berkeley

à franceinfo

Les manifestants discutent de leurs revendications avec la direction de l’université, dont certains enseignants considèrent qu'elles sont légitimes. C'est le cas de Jonathan Simon, qui reçoit dans son bureau au cinquième étage d’un autre bâtiment, plus haut sur le campus. Il enseigne le droit à Berkeley depuis 20 ans, où il a été élève et a manifesté dans le passé, notamment contre l’apartheid. Il tient à préciser qu’il est juif et qu’il soutient le mouvement contre la guerre à Gaza.

D'après lui, l’histoire montre que ce genre de mobilisation paye, même si "les manifestants étudiants ne sont presque jamais populaires". Ils ne l'étaient pas "pendant le Vietnam" et la mobilisation contre la guerre, "et je suis sûr qu’ils n'étaient pas populaires non plus en France en 1968", ni pendant " la lutte contre l’apartheid", énumère-t-il encore. "Mais à chaque fois, en tout cas aux États-Unis, les étudiants ont montré au pays la voie à prendre", assure Jonathan Simon, que ce soit "contre le Vietnam ou contre l'apartheid".  

"Nous assistons au début d'un véritable retournement contre le système d'apartheid en Israël."

Jonathan Simon, professeur de droit à Berkeley

à franceinfo

C’est aussi l’avis de Barry Thorton, la soixantaine. Il travaille dans une librairie et est venu soutenir le mouvement, keffieh rouge sur les épaules. "J'ai entendu des étudiants dire que c'était leur Vietnam, je pense que c'est aussi profond que ça", assure-t-il, même si ce "n'est pas aussi important" puisque le mouvement vient tout juste de commencer. "Mais quand les étudiants de Columbia, Stanford, Harvard font ce genre d'actions, c'est le signe qu’il y a une crise profonde dans la société", maintient le libraire.

Des conséquences sur l'élection présidentielle

Pour l’instant, Barry Thorton ne se sait pas pour qui il votera en novembre à la présidentielle, entre les candidats qu’il appelle "Trump le fasciste" et "Biden le génocidaire". En effet, l’élection du prochain président américain se joue peut-être aussi en ce moment sur les campus, alors qu'elle a lieu dans six mois. Selon certains sondages, l’électorat jeune se détourne en partie du président démocrate à cause de sa politique vis-à-vis d’Israël.

Ce qui est sûr, d’après le professeur Jonathan Simon, c’est qu’il y aura sûrement beaucoup de manifestants en août à Chicago pendant la convention démocrate, qui va officiellement désigner Joe Biden comme candidat. C’est là qu’avait eu lieu aussi la convention de 1968, pendant la guerre du Vietnam, avec des manifestations violemment réprimées par la police.

"J’espère que cela rappellera aux gens que Richard Nixon a été élu, en grande partie, parce que de nombreux démocrates anti-guerre étaient tellement en colère contre le parti démocrate, pour la brutalité de ce qui s'est passé lors de la convention, qu'ils ne sont pas allés voter ensuite", alerte-t-il, prenant l'exemple de ses parents. "Ils l’ont regretté toute leur vie", assure-t-il. 

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