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Reportage
Guerre en Ukraine : agents "isolés", informations détaillées, sabotages… Comment fonctionne Atesh, le réseau de résistance en Crimée
Ils sont les yeux et les oreilles des Ukrainiens en Crimée. Au prix d'énormes risques pour leur vie, des résistants dans ce territoire occupé depuis dix ans envoient des informations en Ukraine pour détruire des sites militaires russes. Ces résistants transmettent via une messagerie ou une application sécurisée tout type d'informations sur les positions russes ou des mouvements de troupes. La plupart de ces données sont effacées une fois vérifiées et exploitées.
Nous avons cependant obtenu dix enregistrements. Des résistants qui font remonter tout ce qui pourrait aider l'armée ukrainienne depuis le sol de Crimée. Voici deux retranscriptions d'enregistrement obtenues : "Trois minutes après le passage des citernes de carburant, il y avait un train passager. Il est passé dans le même sens en direction de Djankoï. Il y avait à peu près 15 wagons. J'ai regardé les horaires de train, il n'y a pas de train de passagers à cette heure-là. Ce sont des soldats dans ce convoi."
"Il y a des gros camions de type Oural sur l'aire de repos de la route M4. Ils doivent aller en Ukraine dans la nuit du 7 au 8 juillet mais je pense qu'avec du sable dans leur réservoir et avec encore quelques autres beaux cadeaux ils ne vont pas aller très loin."
Un résistant ukrainien
Ce type d'informations est-il suffisant pour avoir des résultats ? Parmi les plus grosses "prises", qu'Atesh met en avant, il y a la frappe sur le QG de flotte russe en mer Noire à Sébastopol en septembre. Il y a d'autres activités beaucoup moins spectaculaires mais qui mettent malgré tout le doute dans la tête des Russes. Comme le prouve un échange radio où l'on entend un commandant russe dans sa base, assez peu serein : "Ça commence ! Putain, il y a une info qui dit qu'il y a un incendie qui est planifié par les gars d'Atesh, par des saboteurs, par ceux qui attendent les Ukrainiens, putain !" Dans un autre enregistrement, on entend une femme russe demander à ses compatriotes d'arracher les affiches d'Atesh qui commence à apparaître dans les villes criméennes. Cette citoyenne russe parle de "groupe terroriste".
"Nos agents travaillent de manière isolée"
Difficile de savoir combien de personnes sont dans le réseau Atesh. Personne ne peut confirmer ce genre de données mais on nous a parlé de 1 800 personnes avec un réseau qui s'agrandit y compris sur le sol de la fédération de Russie en ce moment. Il y a deux catégories de résistants. Il y a les agents actifs, ce sont des infiltrés sur les bases russes. Ils sont amenés à mener des actes de sabotage. Et puis, il y a les informateurs qui, eux, envoient des photos, des données de géolocalisation. Ces informations sont ensuite transmises à leur coordinateur, qui lui se trouve en Ukraine souveraine, pas en zone occupée. Et c'est à lui de faire la liaison ensuite avec les forces armées.
Nous avons pu nous entretenir avec l'un des cinq coordinateurs en charge de la Crimée. Il se fait appeler Djokhar, il a 28 ans. Il s'agit d'un civil, il insiste sur ce point. "Nos agents travaillent de manière isolée, raconte Djokhar. C'est très rare qu'ils soient deux dans une action. Ils nous arrive de recevoir des informations de la part des officiers sur les bases militaires, des sergents ou bien des simples soldats qui travaillent à l'intérieur."
"Ce sont des informations plus détaillées et précises comme des horaires de travail sur des aérodromes, les décollages de leurs avions et quels types d'avions. Parfois cela peut être des détails sur des patrouilles et des unités qui protègent de sites stratégiques."
Djokhar, coordinateur en charge de la Criméeà franceinfo
Il faut comprendre à quel point c'est risqué pour ces résistants de faire passer ces informations. En Crimée, les portables et ordinateurs sont fouillés aux checks points, les communications sont surveillées, parfois même avec des logiciels qui récupèrent des fichiers supprimés. Même pour des Criméens pacifiques, sans aucun lien avec la résistance, il n'y a pas de parole libre. Osman a appelé sa famille en Crimée devant nous. Ils ont évoqué des banalités, la météo ou le coût de la vie mais pas un mot, jamais, sur la guerre. "On ne peut utiliser qu'un langage imagé avec nos propres codes, explique Osman. Par exemple, quand tu veux parler de Poutine, tu l'appelles par un prénom féminin qui commence par P. Un prénom pas très répandu comme Pakisé et tu dis par exemple : 'Oh que cette Pakisé meurt enfin !' C'est comme ça dans nos conversations privées que l'on crée ce genre de code."
Le réseau Atesh, qui veut dire le "feu" en langue tatare de Crimée, garantit qu'aucun de ses membres n'a été arrêté mais garde en tête l'image de résistants de Melitopol assassiné par les forces russes pour avoir publié des messages pro Ukraine sur les réseaux sociaux.
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