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Reportage
Le Rassemblement national lance son "école des cadres" pour se préparer à "arriver au pouvoir"

Avec cette "école des cadres" en ligne, le Rassemblement national veut former, avec des vidéos, une génération de militants destinés à devenir la "future élite". En charge de la formation, le politologue Jérôme Sainte-Marie met en pratique des recettes appliquées par les mouvements de gauche.
Article rédigé par Audrey Tison
Radio France
Publié
Temps de lecture : 6min
Le président du Rassemblement national Jordan Bardella, lors du lancement de "l'école des cadres" du parti, à Paris, le 21 mars 2023. (VINCENT ISORE / MAXPPP)

Le premier étage de "l'école des cadres" du Rassemblement national est une plateforme en ligne qui porte le nom de "Campus Héméra", du nom d'une déesse grecque qui incarne la lumière. Pour s'y connecter, il faut être adhérent au Rassemblement national.

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"Dès que vous êtes adhérent, vous recevez un e-mail donnant vos identifiants pour se connecter à la plateforme", décrit Enzo, 23 ans. Il lance alors une première vidéo, on y voit un député RN. "Bonjour, je suis Roger Chudeau. Le système éducatif est en miettes et la gauche porte une lourde part de responsabilité dans ce processus. Le Rassemblement national va se saisir de cette question capitale parce qu'en effet, s'y joue l'avenir de la Nation." La vidéo dure 40 minutes sur l'école en crise, avec un regard partisan, ce qui n'est pas une surprise. Dans la liste des cours, on retrouve par exemple "l'assimilation et la politique migratoire" ou encore "le fonctionnement du groupe RN à l'Assemblée nationale".

Faire émerger une "nouvelle élite populaire"

"Qu'est-ce que l'extrême-gauche ?" peut-on entendre dans une vidéo sur "l'histoire du trotskisme". Notre jeune militant est à l'écoute : voilà un sujet qui pourrait lui servir dans sa vie de tous les jours. "Surtout pour les jeunes dans les facultés qui sont confrontés à l'extrême gauche, réagit Enzo. Moi qui suis militant en Seine-Saint-Denis, on est parfois embêtés sur des marchés par cette extrême-gauche, il faut donc comprendre pourquoi ils sont comme ça avec nous." Enzo espère y trouver des arguments pour ses futures campagnes électorales, lui qui aimerait bien se présenter aux municipales dans trois ans.

L'objectif du parti est de donner à ses militants des armes idéologiques pour préparer l'avenir. Et celui qui en parle le mieux, c'est Jordan Bardella, qui a initié cette école. "Pour arriver au pouvoir, il faut évidemment que nous soyons prêts, détaille le nouveau président du parti. L'ambition de cette école, c'est aussi de faire émerger une nouvelle élite populaire connectée à ce que vivent les Français au quotidien, et qui a vocation, demain et après-demain, à prendre des responsabilités dans notre pays, à gouverner et surtout à redresser la France."

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La formule d'"élite populaire" est répétée par les cadres du RN. Comprenez : les vidéos se veulent pédagogiques pour parler à tous ceux qui n'ont pas fait de grandes études, et bientôt des cours en présentiel sous forme de séminaires viendront compléter, à Paris ou en région, avec, là aussi, de la diversité sociale parmi les élèves. "On démocratise, en réalité, cet accès à la connaissance des auteurs, insiste Marine Le Pen. L'accès aux idées politiques, aux concepts, aux méthodes de débats publics, pour que chaque militant adhérent soit le plus performant possible dans ce qu'on attend de lui pour le pays."

"Si on ne fait pas émerger une élite populaire, alors l'élite va toujours sortir des mêmes endroits avec les mêmes formation, et elle va s'autocongratuler."

Marine Le Pen

à franceinfo

Cette logique, le Rassemblement national l'avait déjà appliquée à ses candidats et élus, avec des formations pratiques et institutionnelles données par un organisme interne. Cette fois, la dimension idéologique est beaucoup plus marquée, avec une boussole. "La Nation, martèle Marine Le Pen. Quand vous avez cette grille de lecture du fait national, vous avez beaucoup de réponses à vos questions." Il ne s'agit pas donc pas de mimer une offre universitaire, les sujets sont clairement choisis en fonction des priorités du parti.

Difficile de trouver des intervenants chez les universitaires 

À la tête de cette école, on retrouve le politologue et sondeur Jérôme Sainte-Marie, qui n'a pas sa carte au RN, mais qui n'a eu de cesse de se rapprocher des thèses de Marine Le Pen ces dernières années. Aujourd'hui, il met en pratique des recettes appliquées depuis longtemps par les mouvements de gauche. "C'était la vocation de "l'école des cadres" du Parti communiste, mais également de la SFIO. Plus généralement, toutes les formations issues du mouvement ouvrier français visaient à doter les catégories populaires d'un savoir, non seulement idéologique mais aussi technique. Cela fait partie, au fond, 'des rétributions symboliques du militantisme' dont parlait le sociologue Daniel Gaxie."

Mais dans sa transformation en "parti de masse", le RN se heurte toujours à des restes de "digue politique", avec des interlocuteurs qui refusent de se retrouver sur un site du Rassemblement national. Ce phénomène est particulièrement visible chez les universitaires, déplore Jérôme Sainte-Marie. "C'est vrai que ce n'est pas forcément le public le plus facile à atteindre. Je constate que si vous allez sur le site de l'institut de formation de la France insoumise, vous trouvez énormément d'universitaires qui n'ont pas l'impression visiblement de rompre avec la neutralité axiologique demandée par leur profession. Cela en dit beaucoup plus sur l'état de l'université française que sur la réputation du Rassemblement national", analyse le politologue.

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Le coordinateur de l'école tente de contourner la difficulté, en tournant des interviews avec des personnalités hors RN : une philosophe, un ancien ambassadeur en Algérie (Xavier Driencourt), ou encore une Youtubeuse (Tatiana Ventôse) populaire chez les jeunes nationalistes, et qui avait appelé à voter Marine Le Pen il y a un an.

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