Témoignages
"Le téléphone portable est indispensable, sinon ce serait intenable" : des détenus se confient sur leur utilisation de smartphones en prison

Ils sont strictement interdits, pourtant, les téléphones portables sont devenus monnaie courante en prison. Franceinfo a pu s'entretenir avec des prisonniers.
Article rédigé par Gaële Joly
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Une vue de l'intérieur de la prison de Bonneville, en Haute-Savoie, en octobre 2023. (GREGORY YETCHMENIZA / MAXPPP)

"Vous vous rendez compte que dehors les gens en ont besoin, alors, imaginez, enfermé toute la journée dans une cellule de huit mètres carrés", témoigne Mickaël, incarcéré dans un établissement pénitencier d'Île-de-France. Bien qu'interdits, les téléphones portables sont partout en prison. Les chiffres sont impressionnants, en 2023, l'administration pénitentiaire a mis la main sur 53 000 smartphones et leurs accessoires pour un total de 79 000 détenus.

Il n'a fallu que quelques coups de fil à franceinfo pour être en ligne avec Mickaël, qui répond en plein repas, en train de se cuisiner une omelette. Quand les portes de sa cellule ferment pour la nuit, vers 17h, Mickaël dit passer ses soirées pendu au téléphone, jusqu’à minuit. Il appelle sa famille, les amis...

Il regarde aussi des vidéos sur les réseaux sociaux, visionne des films sur la plateforme Netflix. "C'est indispensable, ça nous permet d'évacuer, sinon, ce serait intenable et ça, ils le savent, tout le monde le sait", assure-t-il.

Obtenir un téléphone est facile

Franceinfo a pu joindre un autre détenu, ailleurs, dans un établissement du sud de la France. Samir possède trois téléphones, pour gérer un business qu'il prétend légal. Selon lui, pour obtenir un téléphone facilement, "il y a la corruption des surveillants, à qui on donne de l'argent et ils vous le ramènent directement dans la cellule, vous le payez 300 à 400 euros".

Les manières d'obtenir un téléphone portable en prison sont multiples. Il a aussi "les projectiles", "les gens de l'extérieur préparent un convoi, et lancent des colis dans la prison à un endroit dans la promenade ou près des cellules et les détenus vont essayer de les récupérer avec des lassos et des fourchettes et les revendre après", explique Samir. Puis, il y a le parloir, "mais c'est plus compliqué, il n'y a que les petits téléphones qui passent et si vous avez de la chance, ils ne le trouvent pas à la fouille", poursuit-il. 

"Pour cacher mon téléphone, je mets une serviette devant ma porte, comme si c'était un tapis, et je mets mon téléphone juste en dessous. Des fois, plus c'est gros, plus ça passe."

Samir, un détenu

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D'après Samir, qui enchaîne les incarcérations, les fouilles ont lieu deux fois tous les trois mois et celui qui se tient bien peut compter sur des fouilles très légères.

Arme ou instrument de "paix sociale" ?

Si le téléphone portable circule aussi facilement en prison, c'est que ça arrange tout le monde. Plusieurs directeurs d'établissements pénitentiaires nous ont confiés, hors micro, laisser-faire pour acheter la "paix sociale". Ça arrange aussi les policiers qui mettent certains détenus sur écoute.

"L'usage du portable en prison est inéluctable."

François Korber, de l'association Robin des lois

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François Korber, délégué général de l'association Robin des lois, qui soutient les détenus et qui milite pour la légalisation encadrée des portables dans les établissements pénitentiaires, avec un système où la carte SIM serait répertoriée. "Si une personne détenue se fait prendre avec une puce qui n'est pas répertoriée, elle sera sanctionnée, avec une attention particulière pour les personnes réellement dangereuses que l'administration pénitentiaire sait identifier", plaide-t-il. Une solution préconisée par l'ancienne contrôleuse générale des privations de liberté Adeline Hazan.

Mais du côté des syndicats de gardiens de prison, on affiche une tolérance zéro, surtout après l'attaque d'un fourgon, l'évasion de Mohamed Amra et la mort de deux gardiens de prison au printemps dernier. 

"Aujourd'hui un téléphone portable, c'est une arme."

Yannick Laserre, surveillant FO pénitencier

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"L'histoire dramatique du 14 mai à Incarville, avec le détenu Amra, nous avons retrouvé neuf portables, ça leur permet de continuer leur business depuis l'établissement pénitentiaire, s'insurge Yannick Laserre, surveillant FO pénitencier à la maison d'arrêt de Lille-Sequedin, dans le nord de la France. On a aussi des collègues hommes et femmes qui ont été suivis et agressés devant leur domicile".

Un plan d'urgence avec des dispositifs anti-drones

Face à ce fléau, le gouvernement veut agir, et vite. Le ministre de la Justice, Didier Migaud, a récemment annoncé un plan d'urgence et des mesures spécifiques, notamment contre les détenus condamnés pour narcotrafic.

"On sait que des détenus tentent de se faire livrer des contenus illicites, dont des téléphones portables, par des drones"

Cédric Logelin, porte-parole du garde des Sceaux

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Selon Cédric Logelin, le porte-parole du garde des Sceaux, "les dispositifs anti-drone vont s'accélérer". "On va faire du profilage de manière plus fine, avec des régimes de détention spécialisés pour le haut du spectre, c'est-à-dire les détenus, condamnés pour criminalité organisée, avec plus de place d'isolement pour garantir une étanchéité et les empêcher de continuer leurs activités délinquantes depuis la prison avec leur téléphone portable", explique-t-il.

Selon les derniers chiffres, sur un total de 187 prisons en France, 48 établissements sont équipés d'un système anti-drone et ça devrait monter à 90 d'ici fin 2025, sachant que les prisons françaises ont fait l’objet de 475 attaques de drone en 2023. Par ailleurs, 20 établissements sont équipés de brouilleurs fixes, cela devrait monter à 40 d'ici fin 2025, sans compter les 110 brouilleurs mobiles pour certains quartiers spécifiques comme les radicalisés ou les narcotrafiquants.

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