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Ces peuples qui luttent pour avoir accès à l'eau au Proche-Orient, dans les Territoires palestiniens et au Chili

Dans le club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qui se passe ailleurs dans le monde. Direction le Chili, le Proche-Orient et les Territoires palestiniens où se jouent des "guerres de l'eau".

Article rédigé par franceinfo, Justine Fontaine - Alice Froussard, Anne Andlauer
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
De jeunes palestiniens remplissent des bidons d'eau à un réservoir public à Gaza, dimanche 22 mars 2021. L'enclave palestinienne manque d'eau. (MOHAMMED ABED / AFP)

Lundi 22 mars, c’est la journée mondiale de l’eau. À cette occasion, les Nations Unies se livrent au difficile exercice de mesurer l’importance de cette ressource vitale et irremplaçable en matière économique et socioculturelle. L’eau est aussi une arme dans certains pays, si bien qu’on peut parler de "guerres de l’eau". Le Club des correspondants vous emmène au Proche-Orient, dans les Territoires palestiniens et au Chili.

La Turquie accusée d'accaparer l'eau des Irakiens et des Syriens

Au Proche-Orient, au confluent de la Turquie, de l’Irak et de la Syrie, l’eau est un outil de pression et, parfois, une arme de guerre. À ce jeu-là, la Turquie a l’avantage. Elle est située en amont des deux grands fleuves qui irriguent la région : l’Euphrate et le Tigre. C’est avec l’Irak que les tensions ont été les plus vives ces dernières années.

Ankara, non contente d’avoir l’avantage de la géographie – puisque ces deux fleuves prennent leur source dans le sud-est de l’Anatolie – y construit depuis plus de 30 ans barrage hydraulique sur barrage hydraulique, dans le cadre de son projet "GAP" de développement de la région. Bagdad l’accuse d’accaparer les eaux du Tigre et de l’Euphrate au détriment de la population irakienne, de son agriculture, de son environnement. Concrètement, cela se traduit par une baisse drastique du débit de ces fleuves côté irakien de la frontière, avec des sécheresses récurrentes dans un pays bien moins doté que son voisin en termes d’infrastructures. La Turquie refuse pourtant de réviser ses projets de barrage et de considérer ces fleuves comme des fleuves internationaux.

Mêmes accusations, tout aussi anciennes, en provenance de Syrie. Avec un élément nouveau, toutefois : la Turquie est accusée ces dernières années d’utiliser la carte de l’eau pour affaiblir les régions du nord-est syrien contrôlées par les forces kurdes. En effet, les autorités turques sont accusées d’entraver, voire de couper, l’accès à l’eau des zones tenues par ces forces kurdes, contre lesquelles elle a mené plusieurs offensives militaires. Début mars, l’administration kurde a affirmé que la Turquie avait divisé par quatre depuis début janvier les quantités d’eau provenant de l’Euphrate, avec des effets notamment sur l’approvisionnement et la production d’électricité. Ces mises en cause ne proviennent pas seulement des premiers concernés, mais aussi d’ONG internationales telles que Human Rights Watch, qui soupçonnait l’an dernier Ankara d’utiliser l’accès à l’eau comme une arme de guerre en pleine période de pandémie du Covid-19.

Israël contrôle et rationne l'eau des Palestiniens

En Cisjordanie occupée, l’eau est un enjeu majeur car Israël contrôle toutes les ressources hydrauliques et ne les répartit pas de façon équitable. Problèmes d’irrigations, coupures d’eau, pénuries, consommation trop faible pour subvenir aux besoins essentiels…l’accès à l’eau est une impasse en Cisjordanie occupée.

Pourtant, de l'eau, il y en a dans les réservoirs souterrains. Mais si les terres se dessèchent, c’est avant tout une question politique. Il suffit de se balader dans la vallée du Jourdain au milieu de l’été, quand les températures peuvent avoisiner les 50 degrés pour comprendre en un coup d’oeil la différence de traitement : des colonies israéliennes illégales selon le droit international, pelouses arrosées, piscine remplies et domaine agricole luxuriant… Et des fermes palestiniennes sèches, poussiéreuses, à la végétation jaunâtre.

>> À Gaza, une société israélienne transforme l'air en eau potable

Les Palestiniens n'ont pas l'autorisation de creuser dans le sol au-delà de 150 mètres. Ils ne peuvent pas creuser non plus de nouveaux puits sans autorisation israélienne, et celles-ci ne sont presque jamais obtenues. Israël contrôle aussi l’arrivée des camions citernes et les collectes d’eau de pluie sont souvent détruites. Tous ces quotas ne sont pas soumis aux colons, qui y ont un accès illimité. Et puis, à Gaza, il y a un problème de quantité, mais surtout de qualité. Presque 95% de l’eau fournie au territoire palestinien est contaminée et impropre à la consommation humaine. Or Israël n’autorise pas le transfert d’eau de la Cisjordanie vers Gaza. La seule ressource en eau est la nappe aquifère côtière qui s’épuise progressivement à cause de la densité et la surpopulation dans l’enclave. De l’eau de mer, ou des eaux usées s’y infiltrent.

L’eau est marronâtre à Gaza, et salée. Pour s'hydrater, la plupart des Gazaouis dépendent donc des importations d'eau en bouteille. La priorité est de dessaler l’eau de mer, et celle de l’acquière via des usines de dessalement, majoritairement financées par la communauté internationale. Mais le blocus israélien et les restrictions du matériel à l’entrée empêchent des progrès rapides.

Au Chili, les habitants voudraient nationaliser les ressources en eau

Le Chili est l'un des trois seuls pays au monde où l'eau est privatisée. Les droits d'usage de l'eau s'achètent et se vendent au prix fort sur le marché. Résultat : l'or bleu est très fortement concentrée entre les mains de quelques grandes entreprises et de riches agriculteurs. Dans le centre du pays, frappé par une grave sécheresse, les inégalités d'accès à l'eau sont criantes.

Dans les zones rurales, près de 400 000 personnes dépendent de camions citernes pour leur approvisionnement en eau. Leurs puits se sont asséchés, et beaucoup ne reçoivent que 50 litres par jour et par personne. L'OMS recommandait, avant la pandémie de Covid-19, au moins le double pour assurer les besoins essentiels. Dans le même temps, juste à côté on peut souvent voir d'immenses champs verdoyants, avec des avocats, des agrumes et d'autres fruits destinés à l'exportation.

>> Vidéo : au Chli, la culture de l'avocat prive les habitants

Au Chili, près de 80% de l'eau disponible est concentrée entre les mains de 1% des propriétaires de droits d'eau dans le pays. C'est une conséquence directe de la privatisation de l'eau sous la dictature du général Pinochet, en 1981. Et cela pourrait changer avec la rédaction bientôt d'une nouvelle Constitution. En octobre dernier, lors d'un référendum historique, près de 80% des électeurs ont voté pour la rédaction d'une nouvelle Constitution dans le pays.

L'Assemblée constituante doit être élue dans trois semaines à peine. C'est le fruit de plusieurs mois de mobilisation des Chiliens dans la rue pour en finir avec les inégalités sociales produites par le modèle économique néolibéral hérité de l'époque de Pinochet. La privatisation de l'eau, inscrite dans la Constitution, en fait partie.

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