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Comment la lutte contre les violences faites aux femmes s’organise au Mexique, en Turquie et en Albanie

Dans le Club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qui se fait ou se passe ailleurs dans le monde. Aujourd'hui direction le Mexique, la Turquie et l’Albanie pour faire le point sur l’action des autorités dans la lutte contre les violences faites aux femmes.

Article rédigé par franceinfo - Emmanuel Steels, Anne Andlauer, Louis Seiller
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Mobilisation pour la Journee internationale contre la violence faites aux Femmes, sur la Place de la Republique a Paris, le 25 Novembre 2020. (JULIEN MATTIA / LE PICTORIUM / MAXPPP)

Ce 25 novembre marque la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l'égard des femmes. En France Elisabeth Moréno, ministre déléguée à l'Égalité  entre les femmes et les hommes, annonce que 28 des 46 mesures du Grenelle sont effectives. Direction le Mexique, la Turquie et l’Albanie pour voir si la lutte contre les violences faites aux femmes est une priorité dans ces pays.

Les Mexicaines réclament plus de fermeté des autorités pour éradiquer la violence contre les femmes

Au Mexique, les femmes se préparent à manifester mercredi 25 novembre. Malgré la pandémie de Covid-19 qui a durement touché le pays, une grande marche aura lieu dans le centre-ville de la capitale, pour réclamer des actions plus fermes pour éradiquer les violences contre les femmes. Les Mexicaines sont révoltées : plus de 10 femmes sont tuées en moyenne chaque jour dans ce pays. Les chiffres dressent un panorama alarmant. À titre d’exemple, le nombre d’appels d’urgence pour signaler des violences contre les femmes a explosé cette année, plus de 200 000, qu’il s’agisse d’agressions à l’intérieur ou en-dehors du foyer. Le gouvernement minimise en affirmant que beaucoup d’appels ne portent pas sur des incidents réels. Pourtant, la réalité c’est que le pays s’achemine vers de nouveaux records : plus de 3000 meurtres de femmes depuis le début de l’année, dont 800 considérés comme des féminicides. En majorité, ceux-ci ne sont pas élucidés. Et l’impunité favorise les crimes, plaident les féministes.

Les Mexicaines demandent à la police de ne pas se montrer lors des manifestations parce qu’elles considèrent que la police est une composante de cette violence envers les femmes. Elles sont choquées par ce qui s’est passé il y a deux semaines, à Cancun, dans le sud-est du pays : la police a tiré à balles réelles pour disperser une manifestation contre les féminicides, deux personnes ont été blessées. A Mexico, les rassemblements des féministes sont régulièrement encerclés par la police. Certains cas de féminicides ont été très médiatisés et ont provoqué des mobilisations sans précédent au Mexique. Le mouvement féministe est en plein essor. Les jeunes femmes sont résolues, elles poursuivront leur combat et elles demandent à la police de faire son travail, de les protéger, au lieu de les agresser.

En Turquie le rôle de la police et des juges pointé du doigt par les féministes

En ce 25 novembre, Journée internationale pour l’élimination de la violence à l'égard des femmes, les principales organisations féministes de Turquie organisent des rassemblements à travers le pays. Elles réclament notamment des mesures concrètes pour empêcher les féminicides – au moins 234 ont été commis dans le pays depuis le début de l'année. Les féministes turques restent mobilisées malgré la répression quasi-systématique des manifestations. Elles sont les seules à avoir maintenu une présence continue et massive dans la rue ces quatre dernières années – malgré la répression qui a suivi le coup d’État manqué de l’été 2016 et la chape de plomb qui s’est abattue sur la société civile en Turquie.   Les principales organisations féministes appellent donc à manifester ce mercredi 25 novembre dans toutes les grandes villes du pays. Elles ne réclament pas de nouvelles lois, simplement que les lois existantes soient appliquées. Elles dénoncent les policiers qui pressent encore les femmes victimes de violences à "se réconcilier" avec leur mari plutôt que d’enregistrer leur plainte et de les protéger. Elles s’insurgent contre les juges qui se montrent cléments parce que le tueur ou le violeur s’est « bien comporté à l’audience », qu’il a exprimé des "regrets". Et puis elles exigent que le gouvernement ne revienne pas sur les droits existants, et renonce par exemple à modifier la loi sur les pensions alimentaires en cas de divorce.  

En restant mobilisées, ces féministes turques remportent parfois des batailles. L’un des cris de ralliement des rassemblements de ce soir sera "Appliquez la convention d’Istanbul". La convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes. L’été dernier, le président Recep Tayyip Erdogan avait sérieusement envisagé de retirer son pays de ce texte fondamental au motif qu’il encouragerait l’homosexualité. Face à la mobilisation et au tollé dans l’opinion, y compris dans les rangs du parti au pouvoir, le projet semble abandonné pour l’instant. Mais les féministes restent vigilantes et seront dans les rues, ce mercredi 25 novembre, pour le montrer.

En Albanie la situation est dramatique

Les femmes Albanaises subissent encore trop le poids de traditions très patriarcales. Dans ce pays de 3 millions d’habitants, les violences faites aux femmes sont une réalité particulièrement diffuse. En Albanie, une femme sur deux déclare avoir subi des violences au cours de sa vie, comme le montre une étude de l’ONU de 2019. Des statistiques qui font du pays l’un des pires en Europe. L’Albanie a longtemps été isolée du reste du monde et les traditions y ont la vie dure : dans cette société très patriarcale, la femme mariée est souvent perçue comme la "propriété" du mari. Quitter le foyer familial pour fuir les violences du conjoint n’est pas facile pour les femmes, car les divorces restent très mal vue par la société.  

La parole des femmes a du mal à se libérer. Pour l’instant le pays n’a pas connu de mouvements type  "me too" et la plupart des femmes ont peur des conséquences de leurs témoignages. Mais petit à petit la nouvelle génération commence à donner de la voix. Les jeunes albanaises protestent et écrivent des slogans sur les murs des grandes villes pour dénoncer ces violences. Militante des droits humains de longue date, Elga Mitre veut croire au changement des mentalités. Elle vient de lancer un livre de témoignages. "En tant que société, nous avons d’abord besoin d’accepter que ces phénomènes violents nous concernent et que ce sont des phénomènes qui concernent tout le monde. Ces violences peuvent concerner toutes les femmes et les filles de ce pays. Donc c’est pour ça qu’il faut parler, il faut en parler tous les jours, pour ne pas taire le problème et ne pas être indifférent." Le parlement albanais vient de durcir la législation contre les auteurs de violences conjugales mais l’État reste encore très absent de la question.

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