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Éthiopie, Papouasie indonésienne : ces conflits séparatistes oubliés

Dans le club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qui se passe ailleurs dans le monde. Aujourd'hui, les tensions entre le gouvernement et les populations indépendantistes en éthiopie et en Papouasie indonésienne.

Article rédigé par franceinfo - Noé Hochet-Bodin
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des étudiants papous qui manifestent contre le plan du gouvernement indonésien de diviser cette région de Papouasie en six provinces, le 21 mars 2022. (PUTRI / AFP)

Le 23 février, Vladimir Poutine reconnaissait les deux régions de Lougansk et de Donetsk, toutes deux situées dans le Donbass ukrainien, en proie à la guerre et aux tensions depuis 2014 entre pro-russes et pro-ukrainiens. Cette déclaration a alors enclenché le début de la guerre en Ukraine. Mais d'autres régions du monde font aussi face à des conflits entre le gouvernement national et les populations séparatistes. Direction l'Éthiopie et la Papouasie indonésienne.

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En Éthiopie, la désescalade entre les belligérants est entamée

Depuis novembre 2020, une guerre oppose le gouvernement fédéral du Premier ministre Abiy Ahmed aux rebelles tigréens du TPLF. Une trêve humanitaire a été décrétée en mars pour entamer une désescalade. La région du Tigré, ravagée par les combats et sous blocus humanitaire pendant de nombreux mois, commence tout juste à recevoir de l’aide alimentaire. 

Il y a trois semaines, 20 camions du Programme alimentaire mondial (PAM) sont arrivés, la semaine dernière, 50 de plus. Après plus de quatre mois de blocus humanitaire, ces convois sont un signe que le Tigré s’ouvre petit à petit, et que cette trêve humanitaire donne des résultats concrets en Éthiopie. Mais c’est bien trop peu. Les Nations Unies estiment qu’il faudrait, en fait, une centaine de camions par jour pour répondre aux besoins des 5 millions de Tigréens piégés dans la région. Or, à l'heure actuelle, seulement 70 camions au total ont fait le trajet en 4 mois : le bilan sur le terrain montre qu'ils couvrent à peu près 1% des besoins. De l’avis de nombreux diplomates et observateurs, cette situation de semi-blocus humanitaire est d’ailleurs volontairement entretenue par le gouvernement éthiopien pour notamment éviter de donner l’opportunité aux rebelles de se réorganiser.

Des Ethiopiens issus du Tigré vivants en Afrique du Sud qui manifestent devant l'ambassade des Etats-Unis pour demander le retrait des forces éthiopiennes et amharas du Tigré, le 26 janvier 2022. (PHILL MAGAKOE / AFP)

Ces convois sont pour le moment le seul résultat des négociations entre les autorités et les rebelles tigréens. Les pourparlers, qui se déroulent en coulisses, restent pour l’instant assez sommaires. La région est donc toujours prise au piège, sous blocus, mais surtout sans électricité, sans médicaments, ni essence ni télécommunications. Une situation de siège, ni de guerre, ni de paix, un conflit larvé en quelque sorte. Signe de la fragilité de la situation, les deux camps continuent de repositionner leurs troupes pour préparer peut-être une nouvelle offensive.

Et alors que le conflit connaît une accalmie, un rapport d’Amnesty International et de Human Rights Watch accuse les autorités éthiopiennes de nettoyage ethnique dans l'Ouest du Tigré. Dans un territoire grand comme le Liban, disputé car appartenant à la région du Tigré avant la guerre et qui est ensuite passé sous contrôle de la région voisine Amhara. Le rapport pointe la responsabilité de ces autorités amharas et éthiopiennes, qui auraient systématiquement effacé la présence de centaines de milliers de citoyens tigréens de cette terre. Les exemples sont nombreux : exécutions sommaires, torture, et la déportation par bus d’au moins 700 000 personnes. Un possible crime contre l’humanité selon les deux organisations de défenses des droits de l’homme. 

Un conflit silencieux en Papouasie indonésienne

Il est quasiment impossible aux journalistes étrangers de se rendre en Papouasie indonésienne ; le réseau téléphonique et internet y est souvent très mauvais ou inexistant. C’est donc sans grand bruit qu’un conflit s’y éternise entre le gouvernement central indonésien et des populations indépendantistes. Rien de nouveau, car cela fait 50 ans que la Papouasie est le théâtre d’affrontements réguliers.

Pour comprendre la colère des populations papous, il faut remonter à 1969. La partie Ouest de cette île sous ancienne domination coloniale néerlandaise est alors rattachée à l’Indonésie suite à un vote contesté. Seuls 1025 papous choisis par l’armée indonésienne ont pu participer à ce scrutin à main levée. La Papouasie indonésienne est depuis très militarisée et ses nombreuses ressources naturelles éveillent beaucoup de convoitises. Les Papous de leur côté sont de moins en moins puissants sur leurs terres ancestrales car un mouvement intense de migrations de population a eu lieu depuis les îles indonésiennes de Java ou Sumatra vers la Papouasie. Un contexte de plus en plus explosif pour le Conseil des Droits de l’homme de l’ONU qui évoquait justement le mois dernier dans un communiqué des exactions commises par l’armée indonésienne, des meurtres d'enfants, des disparitions, des tortures et des déplacements massifs forcés de jusqu'à 100 000 personnes depuis décembre 2018. Des allégations que le gouvernement de Jakarta s’est empressées de qualifier de "non professionnelles, mal intentionnées et unilatérales".

Depuis ce communiqué, les violences s'exacerbent, d'un côté comme de l'autre. Par exemple, huit techniciens de l’entreprise nationale de télécommunication tués par des rebelles papous, et deux papous tués lors d’une manifestation. Celles-ci se multiplient pour protester contre le plan du gouvernement indonésien de diviser cette région de Papouasie en six provinces.

Un projet de fragmentation qui a des airs de déjà-vu, explique Veronica Koman, avocate indonésienne spécialiste de la Papouasie, à Amnesty International. "Les Papous voient ça comme une tactique pour militariser encore plus leur région, car de nouvelles provinces, cela signifie de nouveaux états-majors militaires, de postes de police. Et puis ces nouvelles provinces seraient un nouveau facteur d’attraction pour que des Indonésiens issus d’autres îles viennent s’installer en Papouasie."

"Dire cela ce n’est pas seulement théorique, c’est ce qu’il s’est passé quand on est passé d’une seule région administrative en Papouasie à deux régions. Après cela les Papous sont devenus de plus en plus minoritaires en Papouasie Occidentale.”

Veronica Koman, avocate

à Amnesty International

Amnesty International s’inquiète également de l’exploitation d’une mine d’or et de conflits fonciers potentiels à venir, car celle-ci se situe sur des terres ancestrales papoues.

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