Existe-t-il une "diplomatie du vaccin" en Inde, en Russie et en Chine ?
Dans le Club des correspondants, franceinfo passe les frontières pour voir ce qui se fait ou se passe ailleurs dans le monde. Aujourd'hui direction l'Inde, La Russie et la Chine pour voir si ces pays utilisent le vaccin contre le Covid-19 pour étendre leur influence.
Aucun vaccin contre le Covid-19 n’a pu être développé en France jusqu'à présent. “Nos entreprises apparaissent comme des sous-traitants de la grande industrie innovante”, déplore la chercheuse Nathalie Coutinet, économiste de la santé, enseignante-chercheuse à l’Université Sorbonne Paris-Nord. Le vaccin est-il devenu une arme diplomatique dans la compétition mondiale ? Direction l'Inde, la Russie et la Chine.
L’Inde considérée comme la pharmacie du monde
En temps normal, le pays produit plus de la moitié des vaccins du monde. Cela est d’autant plus important en ce moment. New Delhi a commencé à envoyer ses vaccins contre le Covid-19 à l’étranger, et les utilise même comme une arme de sa diplomatie, pour montrer son soutien aux pays du Sud. l’Inde a d’abord offert, gratuitement, ces vaccins aux pays voisins. le Bangladesh, le Népal ou la Birmanie, par exemple, ont déjà reçu plusieurs millions de doses ces derniers jours. Puis New Delhi a décidé d'en vendre à d’autres pays du Sud : 2 millions de doses au Brésil et au Maroc, 1 million à l’Afrique du Sud qui les a reçues lundi 1er février.
Cette diplomatie du vaccin permet ainsi à l’Inde de devancer la Chine dans plusieurs pays, comme l’explique Harsh Pant, directeur du programme d’études stratégique à the observer research foundation de New Delhi. "En aidant ces pays quand ils sont vulnérables, l’Inde peut espérer renforcer ses liens avec eux. La Chine a aussi promis aux nations africaines de leur fournir son vaccin. L’Inde a l’avantage d’avoir de grandes capacités de production et veut les utiliser pour se projeter dans le monde. À la différence de beaucoup de pays européens, l’Inde ne retient pas ses vaccins pour sa seule population."
Il n'est pas certain néanmoins que l'Inde ait assez de vaccins pour sa propre population. L’Inde va avoir besoin de plus de 2 milliards de doses pour vacciner toute sa poplation. Si jamais des doses arrivent à manquer dans les mois à venir, la population indienne pourra en vouloir au gouvernement d’en avoir tellement envoyé à l’étranger. Mais c’est un risque calculé car les industries indiennes devraient produire 3 milliards 600 millions de doses contre le Covid-19, rien que cette année 2021. Il y a donc peu de chances que le pays manque de vaccins à court terme.
Le vaccin Spoutnik V pour étendre l'influence internationale de la Russie
La réussite scientifique du vaccin Spoutnik V se profile mais le Kremlin doit mettre néanmoins quelques bémols dans son discours triomphaliste. Entre problèmes de stocks et difficultés à honorer les commandes, la Russie n’a pas les moyens seule de produire son antidote à grande échelle. Elle a clairement besoin d’une aide internationale pour y parvenir. Faute de quoi elle risque de se retrouver, très vite, dans l’incapacité très vite de fournir ses clients. Même les plus prioritaires comme ses alliés directs, au premier rang desquels on trouve évidemment la Biélorussie, le Vénézuela et l’Iran. Mais il y a aussi d’autres pays vers lesquels Vladimir Poutine souhaite se tourner, en espérant en tirer un bénéfice stratégique. C'est le cas par exemple avec la Hongrie de Viktor Orban, en attendant peut-être, un jour, d’être en mesure de fournir d’autres pays européens.
Le fonds souverain qui développe Spoutnik V à Moscou affiche un carnet de commandes évalué à 1 milliard 200 millions de doses. Mais à l’heure qu’il est, moins de 2 millions de personnes à l’étranger auraient bénéficié du vaccin russe. Et certains pays commencent à s’impatienter. La Bolivie n’aurait reçu que 20 000 doses, contre 80 000 en Hongrie par exemple. Quant au volume de livraisons de Spoutnik V accordé à la Biélorussie de Loukachenko, il reste inconnu. Enfin, mardi 2 février, Vladimir Poutine a eu un échange téléphonique avec le président argentin qui a commandé près de 20 millions de doses, et a fait déjà état de certains retards. Le Kremlin ne s’en cache plus et le porte-parole Dmitri Peskov l’a dit mercredi 3 février, la Russie cherche des pays partenaires pour produire son vaccin. Sous entendu : sans cela, elle ne pourra pas honorer les pré-commandes.
La Chine exporte deux vaccins contre le Covid
Comme toutes les grandes puissances telles que les États-Unis et la Russie, la Chine s'est engagée dans une opération commerciale et de prestige à l’étranger qui ne se limite pas à "la diplomatie du vaccin". La Chine rejette d'ailleurs ce terme. Les médias officiels chinois considèrent que cette formule sert à dénigrer les contributions chinoises dans la lutte contre la pandémie. La Chine a mis de gros moyens financiers dans la mise au point de vaccins. Trois vaccins sont actuellement produits, le coronavac developpé par le laboratoire Sinovac, le vaccin de Sinopharm le seul validé à ce jour par les autorités à Pékin et le vaccin de la compagnie cansino fait en coopération avec l’Armée populaire de libération.
La Chine est à l'offensive sur tous les continents . Au Brésil, un accord bilatéral prevoit la fourniture de 100 millions de doses d’ici la fin août. Elle exporte au Pakistan. Elle est très active au Proche-Orient ou des pays alliés des États-Unis comme l'Égypte ont commandé le vaccin Sinopharm. Mercredi 3 février, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères a annoncé que Pékin avait décidé de fournir 10 millions de doses au dispositif covax de l’ONU qui fournit des vaccins aux pays défavorisés, notamment en Afrique.
L' Europe a fait savoir qu’elle était intéressée par les vaccins chinois à condition que Sinopharm ouvre le dossier en toute transparence. Le vaccin est un élément de la politique étrangère chinoise d’autant plus que les États-Unis ont été en retrait sous l'administration Trump. Dans la bataille, la Chine via ses médias officiels sait se montrer agressive en dénigrant un vaccin concurrent comme celui de l’Américain Pfizer. Mais c' est aussi une puissance scientifique qui est en marche, ce qui inquiète les grands laboratoires pharmaceutiques dans le monde.
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