Zabou Breitman : "La notoriété fait très peur parce que c'est quelque chose qui s'arrête du jour au lendemain"
Zabou Breitman est une touche-à-tout, curieuse et passionnée. Tour à tour elle est actrice, réalisatrice, metteure en scène, césarisée dans la catégorie meilleure première œuvre pour le film Se souvenir des belles choses en 2003. Ce qui ressort de son travail, c'est son regard juste sur la société, sur les émotions, les rapports humains. Dans le cadre de la 6ème édition de Paroles citoyennes qui se déroule du 20 mars au 18 avril 2023, elle sera au théâtre Antoine ce 26 mars pour la pièce : Je ne serais pas arrivée là si… avec Sylvie Testud. Ce festival qui est consacré au récit contemporain a pour thème cette année : maux d'enfant, mots de femme avec des témoignages d'existences ébranlées, suspendues, saccagées.
franceinfo : Êtes-vous heureuse de faire partie de cette 6ème édition et de représenter la parole des femmes ?
Zabou Breitman : Bien sûr. Quand les mots nous traversent pour qu'on les serve comme ça sur un plateau, à ce moment-là on est extrêmement touchés et concernés quand on les dit car quand on les dit, on les entend. Je vais vous raconter une toute petite histoire. En prenant le métro pour aller voir une amie, je me suis fait serrer, j'ai rouspété très fort et là, je me suis fait insulter et j'ai vu que les regards sur moi disaient : "Ben oui, c'est ce que tu espères, si tu rouspètes, c'est ça qui va t'arriver". Il y avait donc deux choses, la première, c'est une agression. Mais la deuxième, qui est encore plus angoissante, c'est la non-réaction des gens ou en tout cas le visage des gens qui me signifiaient que c'était une chose normale. C'est à cet endroit-là, que j'ai été le plus abîmée et chargée probablement de tous les mots qu'on venait de dire. Je suis sortie du métro et j'ai pleuré.
Effectivement, ce sont ces moments de vie que vous racontez à travers : Je ne serais pas arrivée là si... au théâtre Antoine avec Sylvie Testud. Ces mots anodins qui donnent le titre à la pièce invitent à la réflexion et au questionnement, finalement, qu'est-ce qui m'a faite ou défaite ? Vous, qu'est-ce qui vous a faite ou défaite ?
D'abord le regard féministe de mes deux parents. Ma mère, qui était une enragée, a eu des expériences, on va dire, pas très sympas de jeune fille au Québec. Issue d'une fratrie de onze enfants avec une éducation catholique par des bonnes sœurs qui n'avaient de bonnes que le nom, on comprend qu'elle n'avait pas envie d'être mère. En 1960, vous n'avez pas le droit de dire ça. Et je comprends aujourd'hui beaucoup mieux sa position. Mon père était aussi un féministe. Pour lui, la parité est absolument évidente. Il m'a dit : "Tu peux tout faire" et je veux tout faire.
L'autre chose qui m'a certainement formée à être aussi engagée dans tout ce que je fais, c'est probablement l'échec cuisant qui a suivi le succès phénoménal de Thierry La Fronde. Ce n'est pas le succès qui m'a fabriqué, c'est l'échec qui a suivi, l'échec et la misère.
Zabou Breitmanà franceinfo
Quand le film La crise de Coline Serreau sort, c'est un succès. Votre notoriété à ce moment-là, explose. Comment l'avez-vous vécu ?
Il faut le savoir, je n'en ai pas conscience. Pour moi, je n'ai pas de notoriété.
Vous avez cette pudeur et cette humilité aussi !
Je ne sais pas si c'est de l'humilité ou si c'est juste parce que je suis formée comme ça, parce que ça fait trop peur d'être connue. Donc la notoriété n'existe pas pour moi. C'est très gentil de me dire que c'est par humilité. Je pense que, plus profondément, c'est aussi parce que c'est quelque chose qui fait très peur, parce que c'est quelque chose qui s'arrête du jour au lendemain.
Quand on regarde bien toutes vos participations, créations, rôles, ils sont liés à un travail de mémoire, à ce mot 'mémoire'. Ce qui est complètement fou d'ailleurs, c'est que c'est exactement le cas dans cette pièce-là où on demande à des femmes d'aller travailler leur mémoire et revenir dans leurs souvenirs.
Exactement. Mais oui bien sûr, quand on transmet tout ce qu'elles ont vécu avec Sylvie Testud, c'est très intéressant parce qu'évidemment on joue parfois la journaliste et parfois la personne interviewée. Et quand je l'écoute, c'est absolument formidable parce que tout à coup, c'est la mémoire convoquée de tous ces gens. Et c'est ça peut-être qui est le plus bouleversant.
Dans cette pièce, ce qui est surtout abordé, c'est le patriarcat. Emma Thompson parle de patriarcat qui imprègne notre littérature, y compris celle écrite par des femmes. Peut-on donc se libérer du patriarcat ?
Ce n'est pas du jour au lendemain. Par exemple, l'histoire de la parité à tout prix peut avoir des aspects un peu absurdes par moments, mais c'est la seule façon d'aller vite. Donc on peut être pour et contre en même temps. Et ce n'est pas oui ou non. Malheureusement, il y a encore le patriarcat qui est très fort, car ce sont des millénaires de fabrication de pensée et donc, c'est bouts par bouts, avec certaines lois qu'on arrivera un peu à trancher.
D'ailleurs, est-ce que vous trouvez, depuis toutes les grosses histoires qui ont eu lieu, que le regard sur les femmes, les rôles proposés aux femmes évoluent ?
Ça évolue de manière un peu bancale. C'est un petit peu, parfois n'importe comment.
Les rôles pour les femmes vieilles n’évoluent pas, non. Je peux vous le dire ! Je peux vous en parler, j'en suis une !
Zabou Breitmanà franceinfo
Ça veut dire qu'on ne vous propose pas de rôles ?
Non, non, non, ben non. À part là, je vais tourner avec Maxime Gasteuil qui me propose un rôle vraiment fun où on s'en fout qu'elle ait 60 balais ou pas. Et là, c'est intéressant. Je veux dire c'est exactement comme ce que disait mon père dans les années 70 et qui me faisait rigoler : "Noir, ce n'est pas un métier" eh bien Vieille, ce n'est pas un métier non plus. C'est exactement pareil.
Donc le principe, c'est "Je ne serais pas arrivée là si..." Je voulais ce compléter.
"Je ne serais pas arrivée là si..." je n'avais pas connu un échec familial à la hauteur du succès.
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