Vrai ou faux
Est-ce vrai que 80% des personnes menacées de famine dans le monde se trouvent à Gaza ?

En plein conflit entre Israël et le Hamas, le député insoumis Thomas Portes écrit sur X : "L'ONU estime que 80% des personnes menacées de famine dans le monde entier se trouvent dans la bande de Gaza". Ce n’est pas faux mais il faut bien préciser de quoi on parle exactement.
Article rédigé par Lise Roos-Weil
Radio France
Publié
Temps de lecture : 5min
Plus d’un quart des Gazaouis sont menacées de famine aigue, selon l'ONU. (- / AFP)

La Bande de Gaza est "menacée d’une famine imminente", a alerté mardi 23 janvier le Programme alimentaire mondial, en plein conflit entre Israël et le Hamas. L’agence de l’Organisation des nations unies (ONU) fait état d’une situation "catastrophique", alors que l’aide humanitaire a du mal à être acheminée dans le territoire palestinien. À ce sujet, une publication fait beaucoup réagir sur les réseaux sociaux. Le député La France insoumise Thomas Portes a écrit dimanche sur X : "L'ONU estime que 80% des personnes menacées de famine dans le monde entier se trouvent dans la bande de Gaza". Un message vu près de 500 000 fois. De nombreux internautes réagissent, assurent que c'est impossible, que le député se "trompe complètement dans les ordres de grandeur". Qu’en est-il vraiment ? La cellule Vrai ou Faux a vérifié.

Ce que dit Thomas Portes n’est pas faux mais il faut vraiment préciser de quoi on parle exactement, de quel grade d’insécurité alimentaire on parle. Le député insoumis reprend les propos écrits dans une chronique, publiée dans le journal Le Monde. L’auteur de cette chronique, un chercheur, s’appuie lui-même sur une interview donnée au magazine The New Yorker par l’économiste en chef du programme alimentaire mondial de l’ONU, Arif Husain, le 3 janvier.

Cinq grades différents d'insécurité alimentaire aigüe

Cet économiste s’est focalisé sur la pire situation de famine recensée par l’agence internationale, le niveau 5 sur l’échelle du Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC). La faim dans le monde est une notion difficile à définir et qui fait souvent débat mais pour tenter d'être objectif, l’ONU a mis en place plusieurs outils de mesure de l’insécurité alimentaire : un modèle pour analyser l’insécurité alimentaire modérée ou sévère dans la population globale, un modèle pour mesurer la faim chronique dans le monde et enfin un modèle pour estimer l’insécurité alimentaire aigue dans les territoires en crise. Ce dernier modèle d’analyse s’intitule le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC).

L’IPC propose cinq grades différents, du stade 1, une situation satisfaisante, au stade 5, quand "les niveaux d'inanition, de décès, de dénuement et de malnutrition aiguë critiques sont évidents". Pour être classée en phase famine, une zone doit avoir "au moins 20 % des ménages confrontés à des pénuries alimentaires sévères et une capacité limitée pour y faire face, la malnutrition aiguë globale doit excéder 30%, et le taux brut de mortalité doit être supérieur à deux décès pour 10 000 personnes par jour". À l’échelle mondiale, le stade 5 de l’IPC est donc extrêmement rare.

Dans l’interview donnée au magazine The New Yorker, l’économiste en chef du programme alimentaire mondial affirme qu’il y a "environ 129 000 personnes, hors de Gaza" qui sont menacées de famine aigue, qui "sont dans le stade 5", et "577 000 à Gaza". D’après ses calculs, cela correspond donc à 577 000 habitants sur un total de 706 000 personnes dans le monde confrontés à ce risque de famine aigue. On retombe bien sur le chiffre de 80% des personnes menacées de famine critique dans le monde entier qui vivent à Gaza. Ces données par pays et dans le monde entier sont actualisées sur le site du programme alimentaire mondial.

7% de la population mondiale confrontée à une urgence alimentaire ou à un risque de famine se trouvent à Gaza

Le chiffre de 577 000 Gazaouis confrontés à un risque de famine aigue provient d’un rapport publié le 21 décembre dernier par l’ONU. Il s’agit d’une projection, sur trois mois, du 8 décembre 2023 au 7 février 2024. Ces données peuvent donc évoluer. Mais l’agence onusienne a l’habitude de se baser sur ces projections dans sa communication.

Cela semble tout de même énorme que la famine mondiale soit autant concentrée sur la bande de Gaza, qui abrite environ 2 millions d’habitants. C’est parce que souvent, quand on parle de la faim dans le monde, on utilise d’autres critères de mesures. Le dernier rapport de l’Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture précise ainsi qu’"entre 691 millions et 783 millions de personnes dans le monde ont souffert de la faim en 2022". La faim au sens large, ce qui est différent de la famine aigue, le stade 5 de l’IPC.

Par exemple, si l’on prend en compte le stade 5 mais aussi le stade 4 de l’IPC, c’est-à-dire l’urgence alimentaire, plus de 24 millions de personnes sont concernées dans le monde. Là, les Gazaouis ne représentent plus que 7% de la population mondiale concernée. La situation humanitaire n’en reste pas moins alarmante dans le Bande Gaza : près de 80% des Gazaouis sont aujourd’hui en situation d’urgence alimentaire (stade 4 et 5) selon l’ONU et plus d’un quart des habitants sont menacées de famine aigue (stade 5).

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