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Vrai ou faux
Est-ce vrai que deux-tiers des enfants juifs ne vont pas à l’école publique ?
"Depuis des années, deux tiers des enfants juifs en France ne vont plus à l’école publique laïque et républicaine, parce qu’ils se font molester, parce qu’ils sont Juifs", assure mercredi 29 novembre le député LR Philippe Juvin sur Sud Radio. En plein conflit entre Israël et le Hamas et alors que plus de 1 500 actes antisémites ont été constatés en France depuis l’attaque du 7 octobre , le député Les Républicain dénonce "un État défaillant" et assure que les familles juives "ne se sentent plus protégées" au point qu’elles refusent d’inscrire leurs enfants dans des établissements publics. Est-ce vrai ? Est-ce que deux-tiers des enfants juifs en France ne vont pas à l’école publique ? Et notamment parce qu’ils sont victimes de harcèlement et d’antisémitisme ?
Impossible de l’affirmer car il n’y a pas de chiffre sur le sujet. Le ministre de l’Éducation nationale, contacté par franceinfo, confirme qu’il n’a aucune donnée en sa possession, parce que les statistiques ethniques et religieuses sont interdites en France.
On retrouve néanmoins ce chiffre de deux tiers des enfants juifs qui ne vont pas à l’école publique dans une estimation du Fonds social juif unifié (FSJU), association créée en 1951 dans le but de promouvoir la reconstruction de la communauté juive de France après la Shoah. Cette estimation a été mise en avant dès 2007, dans en enquête menée par le sociologue Erik Cohen en partenariat avec l’association (Erik H. Cohen, Heureux comme juifs en France ?, Akadem, 2007), citée dans un article publié en 2017 par la plateforme Cairn . Mais l’estimation est toujours valable aujourd’hui, selon le Fonds social juif unifié, qui actualise ses chiffres à chaque rentrée scolaire.
Une estimation du Fonds social juif unifié
L’association dénombre 34 700 enfants scolarisés en écoles, collèges ou lycées confessionnels juifs en France à la rentrée de septembre 2023, assure le président du FSJU, Ariel Goldman, à franceinfo. L’association évalue par ailleurs à 100 000 le nombre d’enfants juifs en âge d’être scolarisés en France. En faisant des projections, elle considère donc qu’un tiers de ces enfants sont inscrits dans des établissements confessionnels juifs, un tiers scolarisé dans le public et le tiers restant dans des établissements privés sous contrat, laïques ou catholiques. On retrouve donc le chiffre de deux tiers des enfants juifs en France qui ne vont pas à l’école publique. Mais c’est le résultat d’une estimation et de projection.
Ce chiffre a d’ailleurs été régulièrement remis en avant après des attaques contre la communauté juive, comme ça a été le cas après les attentats de Mohammed Merah, après l’attaque de l’Hyper Casher, ou encore en ce moment, en plein conflit au Proche-Orient. Le Fonds social juifs unifié précise a franceinfo qu’il a noté une augmentation ces deux dernières années du nombre d’enfants scolarisés dans un établissement confessionnel juif : ils étaient 32 990 en 2021, contre donc 34 700 en 2023. "Il est clair qu’il y a un vrai malaise qui nous est remonté par nos équipes et associations concernant les écoles de la République", insiste Ariel Goldman, président du FSJU.
Un audit demandé au Conseil des Sages de la laïcité
Comment expliquer justement que ces enfants juifs quittent l’école publique ? Peut-on dire, comme le député des Hauts-de-Seine Philippe Juvin, que c’est parce que les enfants sont victimes d’antisémitisme ? On ne peut pas l’affirmer comme ça, mais il s’agit bien d’une raison évoquée par le Conseil représentation des institutions juives de France (Crif). Une explication également avancée par l’ancien inspecteur général de l’Éducation nationale, Jean-Pierre Obin, dans un article publié en 2017 et dans un rapport datant de 2004.
"Si le racisme le plus développé dans la société reste le racisme antimaghrébin, ce n’est plus le cas dans les établissements scolaires, où il a été très nettement supplanté par le racisme antijuif."
Jean-Pierre Obin, ancien inspecteur général de l’Éducation nationaledans un article publié en 2017
"Il est en effet, sous nos yeux, une stupéfiante et cruelle réalité : en France les enfants juifs – et ils sont les seuls dans ce cas – ne peuvent plus de nos jours être scolarisés dans n’importe quel établissement", écrit-il. Emmanuel Macron a d’ailleurs demandé en 2019 un audit sur le sujet à son ministre de l’Éducation de l’époque, Jean-Michel Blanquer. Son successeur Pap Ndiaye a relancé le sujet en mai 2023, en demandant au Conseil des Sages de la laïcité de se pencher sur la question.
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