Escroquerie numérique : 10 millions de dollars récoltés grâce à des mélodies composées par des IA et écoutées par des auditeurs fictifs

Un tribunal fédéral américain juge un fraudeur à la musique en ligne qui a automatisé, avec des faux comptes, l'écoute de ses propres chansons inscrites sur les grandes plateformes internationales. Afin de toucher les droits d'auteur.
Article rédigé par Nicolas Arpagian
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Le fraudeur utilisait l'intelligence artificielle pour créer à la fois des musiques et des comptes d'auditeurs fictifs. (DA-KUK / GETTY IMAGES)

"Quand la musique est bonne", chantait Jean-Jacques Goldman en 1982. Ce n'est pas l'avis des juges du Tribunal fédéral de l'État de New York qui ont publié le 4 septembre les chefs d'accusation à l'encontre d'un certain Michael Smith. 

Il lui est reproché, entre 2017 et 2024, d'avoir perçu frauduleusement plus de 10 millions de dollars (9 millions d'euros) de droits d'auteur, grâce à ses publications musicales sur les principaux sites que sont Amazon Music, Apple Music, Spotify ou YouTube Music. 

Un hold-up numérique

Pour commencer, il n'avait pas besoin d'être musicien. Il a déposé sur ces applications des centaines de milliers de titres créés de toutes pièces par des intelligences artificielles. Ils ont été produits et mis en ligne à raison de plusieurs milliers de titres chaque semaine. 

Michael Smith leur a donné des noms avec un algorithme qui générait automatiquement les titres de chacun des morceaux. "Titre" c'est beaucoup dire puisqu'il s'agissait essentiellement de mots fabriqués sans signification particulière : Zymogenic, Zymoplastic, Zymotechnical ou Zymes ; rien de vraiment artistique. Même les noms des "interprètes" étaient générés à la chaîne. Sans véritable recherche de crédibilité : ils s'appelaient par exemple "Calm innovation", "Calm Identity", "Calorie Event" ou "Calm Baseball".

Restait à créer des batteries de comptes d'utilisateurs, là encore en milliers d'exemplaires, pour constituer le prétendu public d'auditeurs. Michael Smith a sous-traité cette activité à des prestataires étrangers qui effectuent à la demande des tâches répétitives de grande ampleur. Ils élaboraient les faux profils à partir d'adresses e-mail achetées en masse. 

Un public de fans, composé de faux auditeurs

Grâce à la technologie des VPN, les réseaux privés virtuels qui permettent de modifier l'origine géographique d'une connexion, les plateformes avaient l'impression que les inscrits venaient de multiples endroits à travers la planète. Histoire de passer inaperçu. Débutait alors la valse des automates : des machines cliquent sur des morceaux numérisés pour créer des volumes d'audience, rémunérés par les royalties dues aux compositeurs et aux interprètes. 

Outre ce type de fraude, les commerçants numériques de la musique se préoccupent de ces compositions générées par des algorithmes : elles affaiblissent et relativisent selon eux la raison d'être d'un abonnement, surtout quand il est payant. Et donc ils procèdent régulièrement à des purges. Ainsi au printemps 2023, Spotify a retiré environ 7% des titres qui avaient été édités via Boomy, une start-up permettant de fabriquer des musiques à la volée. Soit l'équivalent de dizaines de milliers de morceaux. 

Une batterie d'automates pour simuler l'audience

Dans les e-mails que les enquêteurs ont trouvés dans ses ordinateurs, l'escroc expliquait en 2017 que ses 20 automates d'alors sollicitaient quotidiennement plus de 630 chansons. D'ailleurs, il avait reçu dès 2018 des messages d'alerte de la part de plusieurs plateformes qui, régulièrement, le menaçaient de supprimer les titres jugés suspects. Ce qui fut fait pour certains d'entre eux. 

Son idée de départ était de considérer que concentrer les écoutes sur un seul titre qui attirerait un milliard de vues serait beaucoup plus visible que répartir ce même milliard de connexions sur des dizaines de milliers de chansons à travers le catalogue général des grandes plateformes. Lui-même, dans ses messages avec ses fournisseurs, s'inquiétait de la nécessité de produire en continu "des tonnes de chansons", selon ses mots, afin de passer sous les radars de la surveillance des diffuseurs. 

Des peines de prison bien réelles

Si les moyens utilisés ici sont virtuels, les peines encourues sont bien réelles. Michael Smith doit faire face à plusieurs chefs d'accusation, notamment la fraude électronique et le blanchiment d'argent. Avec des sanctions pouvant aller jusqu'à 60 ans de prison. Pour un gain estimé à 9 millions d'euros. 

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