Marioupol, de l’autre côté de la guerre
Marioupol, ville meurtrie, ville martyre de la guerre en Ukraine. La Russie a entrepris de reconstruire la ville pour en faire un symbole de la "Nouvelle Russie" voulue par le Kremlin. Sylvain Tronchet, correspondant de Radio France à Moscou s’est rendu sur place, il a travaillé avec Alain Barluet, correspondant du Figaro à Moscou. On a entendu les reportages de Sylvain Tronchet, toute la journée du 5 juin sur l’antenne de franceinfo.
De Marioupol, on gardait des images d’horreur, une maternité bombardée, des femmes enceintes et des nouveau-nés tués, un théâtre écroulé sous les bombes, avec des civils à l’intérieur, des ruines, du sang, des morts par milliers. Des scènes de guerre immortalisées par les photographes et vidéastes ukrainiens, Mstyslav Chernov et Evgeniy Maloletka, lauréats du dernier Prix Bayeux des correspondants de guerre, des scènes de guerre que les nouvelles autorités veulent effacer de la mémoire locale. Les ruines du théâtre sont recouvertes d’une bâche.
En arrivant à Marioupol, Sylvain Tronchet est tout de suite frappé par l’étendue du chantier : infrastructures routières, immeubles flambant neufs et colorés, hôtels pour touristes. L’objectif du nouveau Marioupol vise à effacer son passé industriel, pour devenir une station balnéaire sur la mer d’Azov. Avec une chaîne de télévision locale, dont la ligne éditoriale repose sur l’avancée des chantiers.
La guerre, on ne veut plus en entendre parler
La contre-offensive ukrainienne serait un désastre. Et on peut comprendre ces témoignages de la population recueillis par Sylvain Tronchet ; des gens usés par neuf ans de guerre dans le Donbass. Les Ukrainiens ou pro-Ukrainiens sont, dans une grande majorité, morts ou partis ; ne restent que les pro-Russes ou des familles qui ne s’identifient même plus telles quelles, mais affichent une seule envie : la paix. Et la promesse de lendemains meilleurs est incarnée par cette ville nouvelle que les pelleteuses et les grues russes font sortir de terre.
Ce "techno-parc" qui aimerait pousser sur l’ancienne usine d’Azovstal , là où les affrontements les plus sanglants ont eu lieu. Un techno-parc, sur ce lieu de bataille, en dit long sur la volonté d’effacer la mémoire résistante, qui s’était matérialisée ici. Contourner le site demande 15 à 20 minutes de voiture, cela montre l’étendue du périmètre, mais difficile d’aller encore au-delà du stade de projet, le site n’est pas déminé, et les missiles volent au-dessus, qu’importe.
Le message de la propagande : la guerre, c’était hier, c’est là-bas maintenant. Ce déni se heurte à un contexte social qui reste celui de la guerre. Pas de revenus, pas de travail, faibles indemnités, pour ne pas dire dérisoires. Le reportage dans les rues de Marioupol est à lire ici.
Sylvain Tronchet et Alain Barluet, correspondant du Figaro à Moscou, ont travaillé ensemble. Depuis la guerre, les journalistes occidentaux peinent à se rendre à Marioupol, c’est derrière la ligne de front. Le seul accès possible, c’est côté russe. Encore faut-il avoir les accréditations. Mais rattachée à la région de Donetsk – que la Russie a officiellement "annexée" en septembre dernier – Marioupol est considérée par Moscou comme une ville russe. Et les journalistes qui disposent d’un visa russe peuvent donc – si l’on se réfère à ce principe – entrer dans les faubourgs de la ville, et y circuler très librement.
C’est ainsi que les deux journalistes français ont pu exercer leur métier dans d’excellentes conditions. Que ce soit d’un point de vue sécuritaire ou éditorial. Ils n’ont jamais été empêchés de travailler. Les autorités locales ont simplement décliné les interviews. Les habitants qui ne sont pas à l’aise avec des reporters de pays dits "inamicaux", refusent de discuter. Seuls quelques-uns se prêtent au jeu des questions-réponses, dans une franchise toute relative. La parole n’est pas forcément libre. Et dans l’expression publique, chacun pèse ses mots.
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