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Profession : reporter d'une guerre qui n'en finit pas

Les reporters de Radio France, Omar Ouahmane et Gilles Gallinaro, rentrent d'un périple au Donbass, cette région d'Ukraine que les Russes tentent de conquérir dans son intégralité. C'est une guerre, d'une violence inouïe.
Article rédigé par franceinfo - Eric Valmir
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Volodymyr (à droite) et son frère d'arme nous disent que l'armée russe gagne du terrain, autour de Bakhmout. (GILLES GALLINARO / RADIO FRANCE)

L’actualité de la guerre en Ukraine a beaucoup tourné, ces derniers jours, autour de la stratégie de l’Occident, et des tergiversations portant sur la livraison de chars. Une couverture géopolitique. Mais sur le terrain, la guerre de tranchée continue, avec des pertes inouïes de part et d’autre. Une guerre d’artillerie d’une forte intensité, de plus en plus difficile à couvrir sur les lignes de front. Omar Ouahmane et Gilles Gallinaro étaient au plus près des batailles dans le Donbass.

On meurt en masse dans cette guerre

La guerre, c’est dégueulasse, les soldats meurent dedans. Et si l’on n’a pas les chiffres, le sujet restant tabou, d’un côté comme de l’autre, on sait qu’il s’agit d’un carnage. Dans les colonnes du Monde, l’été dernier, le grand reporter Rémy Ourdan raconte le cimetière militaire de Dnipro, et toutes ces morts que l’on tait : "Dans la période récente, le conflit ukrainien est l’un des rares où les combattants meurent davantage que les civils. Or, si le monde a vu les bombardés de Marioupol et d'Izioum, les exécutés de Boutcha et Irpin, il ne voit pas qu’une génération de jeunes hommes est en train de sombrer."

"Partout le carnage se murmure, se sent, se devine. Il s’entend aux sirènes des ambulances qui foncent sur les routes du Donbass vers les hôpitaux, il se voit aux camionnettes siglées du chiffre "200" (code militaire pour le transport de cadavres) qui roulent à travers le pays, tels des corbillards. Il se comprend aux mines effarées des combattants qui ont déjà perdu un quart, un tiers, la moitié de leur unité, de leurs frères d’armes, et qui en général refusent d’en parler."

Rémy Ourdan, journaliste au "Monde"

Extrait d'un reportage publié le 18 juin 2022, "Le cimetière de guerre de Dnipro, miroir du carnage ukrainien"

Le chef du service médical de la 57e brigade, Oleg Kravchenko, déplore un nombre important de blessés et de morts dans cette guerre. (GILLES GALLINARO / RADIO FRANCE)

Les réseaux sociaux deviennent alors des pages nécrologiques de la mémoire combattante. Et dans les marges de la récente bataille de Soledar, au micro d’Omar Ouahmane, la parole se relâche un peu. C’est nouveau. Elle n’est pas encore libérée. Mais oui, on meurt en masse dans cette guerre, une boucherie qui rappelle les deux conflits du XXe siècle. La fameuse chair à canons. Des Russes, les mercenaires de Wagner, mais aussi des soldats, et des combattants ukrainiens qui viennent pour libérer leur pays, et ça se joue dans des tranchées, entre deux villes qui ne sont plus que des amas de ruines désertés de ses habitants.

La colère, la sidération, la peur, sont les sentiments des Ukrainiens après le bombardement d'un immeuble résidentiel dans le centre-ville de Dnipro. (GILLES GALLINARO / RADIO FRANCE)

Dans ces immeubles délabrés, sans eau et électricité, il ne reste plus que les vieux et les pauvres, ceux qui n’ont pas pu partir, faute de moyens ou d’énergie. Les vieux et leurs descendants, car par endroit, la structure familiale est la seule qui tient encore debout. Alors pour ces quelques locaux, qui vivent dans l’obscurité, les Ukrainiens ont mis en place des centres d’invincibilité. De la lumière, de la boisson chaude, à manger et même des points de connexion pour donner et recevoir des nouvelles de celles et ceux qui sont partis.

Dans un centre d'invincibilité de Bakhmout, où les habitants ont accès à l'électricité, au chauffage, au réseau web et de téléphonie mobile et à des médicaments. (GILLES GALLINARO / RADIO FRANCE)

Les crépitements toujours au loin, et par moments, une déflagration plus forte qui s’approche à la manière d’un orage. Il faut gagner les abris. A Dnipro, ils n’ont pas eu le temps, le missile a éventré l’immeuble. Omar et Gilles ont laissé derrière eux les tranchées du Donbass pour explorer des nouvelles scènes de désolation, d’enfants morts, de civils qui n’avaient rien demandé, qu’à rester chez eux, survivre, et finalement mourir presqu’au moment où l’on ne s’y attend plus.

Mais cette guerre n’en finit pas, la mort n’en finit pas, et les reporters aux âmes de plus en plus grises ne renoncent pas à raconter l’horreur, la raconter pour qu’elle s’arrête.

Léna et sa mère Luba ont fui leur village de Paraskoviivka, près de Soledar, car leur vie était en danger. (GILLES GALLINARO / RADIO FRANCE)

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