Violence routière : " Le droit à la mobilité, il est pour tout le monde, c'est une des règles de base de la démocratie", estime Jean Viard

Comment cohabiter sur la route ? Le sociologue Jean Viard décrypte cette question de société, après le nouveau drame du cycliste de 27 ans, écrasé par un automobiliste, mardi 15 octobre, à Paris.
Article rédigé par franceinfo - Mathilde Romagnan
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Temps de lecture : 7min
Samedi 19 octobre 2024, à Caen dans le Calvados, devant l' Abbaye aux Hommes, rassemblement pour l'hommage national à Paul Varry , un cycliste de 27 ans, tué par un automobiliste à la suite d'une altercation, mardi 15 octobre à Paris. (MARTIN ROCHE  / MAXPPP)

Mardi dernier, le 15 octobre, en fin d'après-midi, un cycliste a été tué par un automobiliste, après un différend entre les deux hommes. Ça s'est passé à Paris, ville où les tensions entre les usagers de la route sont de plus en plus vives, entre cyclistes et automobilistes, mais aussi avec les bus, les deux roues, les trottinettes et les piétons. Le sociologue Jean Viard est avec Mathilde Romagnan.

franceinfo : Il va bien falloir partager cet espace commun qu'est la route, comment faire alors ?

Jean Viard : Ce qui s'est passé est absolument monstrueux, donc ce n'est pas le moment d'oublier qu'il peut se passer des choses comme ça, qui heureusement sont rarissimes. Après, la mobilité change : il y a 40 ans, on parcourait cinq kilomètres par jour et par Français. Aujourd'hui, on en fait à peu près 70, et en plus, il y a 40 ans, on était à peu près 50 millions, aujourd'hui, presque 70 millions. On est plus nombreux, on se déplace beaucoup plus, et les rues des villes n'ont pas tellement été élargies. Avec une chose qu'on oublie toujours de dire, c'est que ce qui se développe le plus, c'est la marche à pied. Donc un des grands enjeux, c'est d'élargir nos trottoirs.

J'étais à Copenhague il n'y a pas longtemps, à un congrès sur la mobilité, et le maire de Copenhague disait : "Je ne comprends pas bien les Français", parce que Copenhague, ils sont à 30% en déplacement en vélo, c'est vraiment le modèle en Europe. "Chez nous, on dit simplement aux gens depuis la guerre : le vélo, c'est commode et pas cher". Et donc on a une logique de pratique économique – on dit aux gens ils vont gagner de l'argent. Il y a effectivement à apprendre un partage entre des cultures différentes.

Alors la ville a été dominée par la voiture depuis 40/50 ans, et là, on est dans une autre période, il y a  une idéologie de la domination du vélo. On se fait bousculer par des cyclistes. À mon âge, si vous voulez, je traverse les trottoirs, je suis d'une grande prudence. Il m'arrive de me faire bousculer par des vélos. Donc, il n'y en a pas un qui est gentil, et les autres qui sont méchants. Sauf que celui qui est en voiture est plus puissant et beaucoup plus dangereux. Donc, il faut appliquer des règles de citoyenneté. Moi je ne comprends pas, quand je mets à un feu rouge parfois, il y a 10 ou 15 vélos qui passent et c'est rouge ! Donc tout le monde doit appliquer la règle, parce qu'on ne peut pas avoir de "vivre ensemble", si on n'a pas des règles.

Dans le nord de l'Europe, ils sont en train de faire quelque chose que je trouve très intéressant. Il n'y a plus de pistes cyclables, voitures, piétons... Il y a des vitesses, vous avez des rues à 10km/h, des rues à 20, 30km/h, et 50, 70. Ça signifie qu'une rue à 10km/h est une rue piétonne ! Mais si vous voulez passer avec votre voiture, c'est votre problème, sauf que vous allez mettre un temps infini. Donc, c'est une idée de la ville par la vitesse, il faut regarder ce qui se passe dans le nord de l'Europe.

Je pense qu'il y a aussi des pistes à étudier, à savoir trouver des façons de vivre ensemble en n'ayant peut-être pas la vision très française de dire, là on sépare, on met des clous, là, c'est les vélos, là, c'est les mobylettes, les bus, etc. Et il faut que la police municipale fasse son travail, c’est-à-dire qu'on soit tous confrontés aux mêmes règles, le piéton qui traverse hors des clous, le cycliste qui brûle le feu rouge, et bien évidemment la voiture qui ne respecte pas les règles.

Donc il faut changer les mentalités pour repenser les villes où il faut d'abord repenser les villes et ça va changer les mentalités ? 

Les deux ! Les nouvelles générations sont beaucoup plus "vélo". Moi, je suis d'une génération un peu ancienne, nous, on passait le permis de conduire. Le chic, c'était de le passer le jour de son anniversaire parce qu'on avait le droit de vote à 21 ans. C'était le premier signe qu'on était adulte. On avait le droit de conduire.

Aujourd'hui, la majorité des jeunes sont dans les villes puisque les facs sont toutes dans les villes et aussi la plupart des formations. Donc les jeunes n'ont pas besoin de voiture. Après, effectivement, il faut qu'ils apprennent, et puis va arriver la voiture autonome, sans doute adaptée pour les taxis, mais peut-être aussi pour les personnes âgées, parce que la mobilité des gens âgés, c'est un problème énorme. Quand on fait une ville toute piétonne, regardez le centre de Bordeaux quand vous avez 80 ans, ce n'est pas évident, parce que ce sont des kilomètres de zone piétonne.

Moi je pense que les gens apprennent, évoluent, et c'est terrible à dire, mais ce n’est pas parce qu'il y a un abruti qui fait quelque chose de monstrueux, que pour autant les choses ne fonctionnent pas. Je pense qu'il y a une évolution des mœurs. Regardez à Paris le nombre de pistes cyclables qui ont été faites, y compris qui traversent la ville et la région. Il y a un énorme boulot d'aménagement, d'urbanisme. Le droit à la mobilité, il est pour tout le monde, c'est une des règles de base de la démocratie. Chacun choisit son outil et sa vitesse et puis, après, c'est aux élus de réguler ces flux.

C'est un sujet de citadins ou ça concerne aussi les campagnes ?

Les campagnes, on a des problèmes un peu différents, parce que la campagne, c'est un monde de voitures. 63% des Français ont une maison et jardin. En gros, ils partent presque tous de chez eux en voiture. Donc la voiture est l'objet premier de circulation. Donc ça signifie que demain, peut-être que la voiture hybride, c'est l'objet de l'avenir de la ville, et que la voiture électrique, c'est l'objet d'avenir des campagnes, parce qu'on aura toujours besoin d'énormément de la voiture. La voiture ne va pas disparaître. Il y a autant de voitures en France qu'il y a 20 ans. On s'en sert moins, et ne croyons pas qu'il y en a moins, et une partie de ceux qui n'en ont pas, aimeraient bien en avoir.

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