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Crise climatique : François Gemenne déplore "une certaine forme de populisme anti-écolo", "un peu partout en Europe"

Tous les samedis, nous décryptons les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC et membre du Giec, spécialiste du climat et des migrations. Samedi 14 octobre : le ressentiment anti-écolo qui s'insinue dans la politique.
Article rédigé par franceinfo
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Publié
Temps de lecture : 7min
"Le système climatique nous impose un très grand décalage dans le temps et dans l’espace entre nos actions et les effets de nos actions", François Gemenne. (ZEKE EAGAN / 500PX / Getty images)

Alors que le Pacte vert européen prône une transition écologique assez radicale pour devenir le premier continent au monde à être neutre sur le plan carbone, des voix s'élèvent contre des mesures restrictives qui selon elles rendent la vie impossible, comme les passoires thermiques remises en cause par Édouard Philippe, ou la loi Zéro artificialisation Nette limitant la bétonisation des sols, dont Laurent Wauquiez ne veut pas pour sa région.

>> ÉDITO. Le positionnement anti-écolo de Laurent Wauquiez pour la présidentielle de 2027

Ainsi François Gemenne nous fait part de son inquiétude et de son agacement face une ambiance climatosceptique de plus en plus décomplexée qui monte en Europe.

franceinfo : Cette semaine, François, vous êtes un peu inquiet…

François Gemenne : En effet, parce que je constate, partout à l’œuvre en Europe, une grande offensive contre les politiques écologiques. En France, Édouard Philippe dit s’opposer à l’interdiction des passoires thermiques, Laurent Wauquiez veut sortir la région Auvergne-Rhône-Alpes de la loi Zéro Artificialisation Nette, et ce n’est pas qu’en France. Un peu partout en Europe, on voit fleurir une certaine forme de populisme anti-écolo, un vrai ressentiment contre les politiques climatiques, et plus globalement contre les mesures de protection de l’environnement. C’est sans doute aux Pays-Bas que le mouvement est le plus marqué, avec un parti ouvertement anti-écolo, le BBB, qui bénéficie d’excellents sondages à l’approche des élections du 23 novembre prochain. 

"À l’inverse, quand on regarde les premiers sondages en vue des élections européennes, c’est la bérézina pour les partis écologistes, alors que la situation du climat s’aggrave chaque jour…"

François Gemenne

à franceinfo

Qu’est-ce qui explique ce paradoxe ?

Il y a plusieurs explications je crois. D’abord une certaine forme de ressentiment, notamment dans les classes populaires, face à l’impression que l’effort est inégalement réparti, qu’on vise toujours les mêmes tandis que d’autres ne feraient rien, et que l’écologie ne serait qu’une suite d’efforts, d’interdictions et de taxes dont on ne verrait guère les effets. Et il certain qu’ici, nous ne sommes guère aidés par la physique du climat…

 

Comment ça ?

Le système climatique nous impose un très grand décalage dans le temps et dans l’espace entre nos actions et les effets de nos actions. Parce que le changement climatique est un problème de stock, d’accumulation des gaz à effet de serre, plutôt qu’un problème de flux, et aussi parce que le climat se fiche que les émissions viennent de Paris, de New York ou de Shanghai. Donc il n’y a aucun rapport entre les émissions de gaz à effet de serre que nous produisons aujourd’hui à Paris, et les impacts du changement climatique qui se produiront demain à Paris.

"On n’a pas la possibilité de faire l’expérience directe des conséquences de nos actions, et ça, c’est un très gros obstacle à surmonter…"

François Gemenne

à franceinfo

C’est peu de le dire ! Pour changer, on a besoin de voir les résultats du changement, non ?

Exactement : on n’est pas aidés par la physique du climat. Une autre raison qui explique cette vague réactionnaire anti-écolo, je crois, c’est aussi la montée du climato-scepticisme.

Cela interroge, quand même. On a l’impression que plus les impacts du changement climatique sont visibles, plus le déni augmente. Comment peut-on être climato-sceptique aujourd’hui ?

En tout cas, les sondages sont assez nets. Selon les instituts, entre 34% et 45% de Français n’acceptent pas le consensus scientifique sur le climat : 37% selon l’Ipsos en avril dernier, 43% selon l’OCDE en juin 2022… C’est énorme. Et c’est particulièrement marqué sur Twitter : selon une étude du CNRS, 30% des comptes actifs sur le sujet portent un discours de déni, qui peut être très violent et confine parfois au harcèlement.

Vous expliquez ça comment ?

D’abord, je crois que nous avons eu la naïveté de penser que la manifestation concrète des impacts du changement climatique éteindrait naturellement le déni climatique. C’était une erreur, parce que les offensives climato-sceptiques des années 1990 et 2000 ont porté leurs fruits : elles ne cherchaient pas à convaincre l’opinion que le changement climatique n’existait pas, mais bien qu’il subsistait des doutes dans la communauté scientifique. Et donc, quand nous allions porter la contradiction aux climato-sceptiques, comme on les appelait alors, on ajoutait de l’eau à leur moulin : on donnait l’impression aux gens qu’il y avait un vrai débat dans la communauté scientifique, qu’il n’y avait pas de consensus. Et cela reste aujourd’hui : les 35% ou 40% de gens qui se disent climato-sceptiques ne nient pas tous la réalité du changement climatique, mais pensent qu’on n’est pas sûrs de la responsabilité des activités humaines, qu’il y a une part de variation naturelle, etc.

 

Il y a aussi des gens qui nient aussi carrément la réalité, non ?

C’est certain : une partie d’entre eux sont complotistes, et vivent dans une réalité alternative, parfois en pensant que la lutte contre le changement climatique est le cheval de Troie de la mise en place d’un régime totalitaire fasciste.

"Il y a un récit politique très fort derrière le complotisme, ce n’est pas simplement de la bêtise."

François Gemenne

à franceinfo

On peut craindre que plus les effets du changement climatique seront marqués, plus ces gens vont s’enfermer dans une réalité alternative, complètement détachée du réel… Et ils vont évidemment s’appuyer des évènements isolés qui conforter ce récit : une journée pluvieuse sera le signe qu’il n’y a pas de risque de sécheresse, et de la neige à Noël sera le signe que le changement climatique n’existe pas.

Vous parliez aussi d’une troisième raison : l’idéologie.

Oui. Ces dernières années, le discours sur le climat dans l’espace public, y compris le discours scientifique, est parfois devenu plus militant, plus idéologique. On a vu l’instrumentalisation des travaux du GIEC, et aussi un grand relativisme de l’expertise, avec des militants qui étaient volontiers présentés comme des experts objectifs, voire comme des chercheurs… Je pense que parfois, les débats idéologiques sur le climat prennent le pas sur la recherche pragmatique de solutions, et surtout amènent une partie de la population à rejeter le consensus scientifique : "Comme je ne partage pas l’idéologie de ceux qui en parlent, je vais rejeter en bloc le discours climatique, y compris la science sur laquelle ils s’appuient." Si la science devient une affaire de croyance, on est sur une pente très dangereuse, en démocratie…

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